Le G20 convie l’Afrique à un exercice d’exploration des voies d’un partenariat avancé. Et, si au lieu de se contenter d’un partenariat fragmenté en projets, l’Afrique proposait un plan global de décollage économique?
En deux rounds, d’abord à Berlin -les 12 et 13 juin-, puis à Hambourg -au cours du mois de juillet prochain-, le sommet entre le G20 et l’Afrique apparaît comme un rendez-vous historique. La Tunisie y était et elle a récolté un effet en retour, bénéficiant d’une aide de 300 millions d’euros dans le cadre du “partenariat d’investissement“. C’est un pas en avant par rapport aux promesses antérieures, non honorées, autour du Plan jasmin. Cela a effacé la réputation d’effet mirage de ces grandes messes de l’investissement. Après tout, il ne faut jamais injurier l’avenir.
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Le continent le plus convoité aura, en compagnie du “directoire mondial“ (surnom donné au G20), une opportunité pour aller vers un “partenariat d’avenir“, selon les termes du communiqué officiel final des organisateurs.
Les promesses d’un New Deal
Plus qu’un plan Marshall, on évoque les termes d’un New deal qui pourrait transformer définitivement la physionomie économique du continent. En effet, quand le bloc qui réalise plus de 70% du PIB mondial manifeste une disponibilité à investir sur ce continent, 5ème du classement mondial, qui se contente d’exporter ses immenses richesses quasiment à l’état brut, qui réalise à peine les 2/3 du PIB de la France, il y a effet d’aubaine. Cette asymétrie, en dépit de la bienveillance des initiateurs du Sommet, ne dissipe pas le doute sur d’éventuelles tentations de convoitise.
Peut-on, en toute bonne foi, aller vers un partenariat équitable, dans des conditions aussi déséquilibrées? Il est vrai que l’Afrique se présente libre et indépendante à ce sommet. Mais pas totalement affranchie, économiquement. Le continent, atomisé avec ses 54 états, semble démuni de tout pouvoir de peser sur les négociations. Les pays africains sont conviés à présenter des fiches de grands projets, à l’instar de ce qui s’est fait lors de la Conférence internationale sur l’investissement “Tunisia 2020“. Le G 20 se propose d’y apporter des solutions de financement. L’offre tient la route. On se laisse enthousiasmer par une proposition d’investir dans un avenir commun d’autant que le message d’accompagnement précise bien que “la mondialisation n’est pas une destinée et que le développement mondial nécessite la participation de tous les pays“.
L’esprit de “Compact With Africa“ paraît chargé de promesses. Et on imagine bien qu’Alpha Condé, chef de l’Etat guinéen et président de l’Union Africaine, ne peut décliner une offre aussi alléchante. L’Afrique de l’abondance, devenue l’espace de toutes les pénuries, ne peut faire la sourde oreille à ce volontarisme du G20. Mal partie, selon les termes du prospectiviste français, René Dumont, l’Afrique tient une occasion de rectifier le tir et de revenir dans la partie. Et malgré les expériences douloureuses de la détérioration des termes de l’échange et les déboires de la mondialisation, en bonne logique, le président Alpha Condé doit parier sur l’avenir.
Et si au lieu de faire comme le lui demande le G20 il créait la surprise d’arriver avec un plan à soi. Certes, ce serait hasardeux. Mais, jouable. Qui ne tente rien, n’a rien. Les contraintes du continent sont connues. Il faut réformer, investir dans l’infrastructure et activer le secteur privé. Ce sont là les fondamentaux qui procureraient à l’Afrique les fondements d’une base économique locale, qui lui a toujours fait défaut. Et quand on observe les réalisations des grands ensembles économiques, telle l’UE, celles-ci tiendraient en quelques institutions. Pourquoi ne pas les répliquer en Afrique?
L’aide du G20 pour un ”African Currency Unit”
En mal de développement, le continent souffre d’une anémie de ses échanges intra continentaux, et ce en dépit de leur fort potentiel. Les mêmes facteurs qui ont gêné l’électrification de l’Afrique, retardant son décollage, empêchent aujourd’hui son accès généralisé au haut débit et sa digitalisation entravant son basculement dans le XXIème siècle. Malgré ses précieuses ressources humaines, souvent happées par le “brain drain“ et naturelles. Cette contradiction est handicapante. L’une des réponses à ce blocage réside dans l’accroissement des échanges intra africains. Rappelons, à titre d’illustration, que le coût du non Maghreb est chiffré à deux points de croissance, c’est dire. Booster les échanges permettrait de faire d’une pierre deux coups : il nécessiterait de l’infrastructure et une stabilité monétaire.
Et si le G20 permettait à l’Afrique de se doter d’une unité de compte propre, un “African Currency Unit“ (ACU). Rappelons que l’ECU a joué un rôle déterminant dans l’intégration européenne. L’ACU supprimerait une grande entrave aux échanges commerciaux et économiques sur cet espace.
Un “Mercantile Stock Exchange“
Le continent est exportateur net de matières premières. Il est vrai que les cours mondiaux lui ont été quelques fois favorables. Mais son indépendance n’est pas pour autant acquise. Sans compter que les matières premières exportées en l’état, c’est autant de valeur ajoutée qui file chez le partenaire commercial et une chance ratée d’accélérer l’intégration économique africaine.
Une optimisation de ce commerce commencerait par une opportunité de pricing, à l’écart des pressions des groupes mondiaux. Une Bourse de marchandises, à l’instar du Chicago Mercantile Exchange, rendrait l’Afrique plus maîtresse de la valorisation de ses richesses naturelles. Une Bourse africaine pour la fève de cacao, le coton ou l’énergie, coterait des cours plus en ligne avec les priorités du continent. Il n’existe, à ce jour, aucun cartel africain pour aucune matière ni des produits agricoles, ni des minerais, ni de l’énergie. N’est-ce pas le moment d’y aller?
Une SFI africaine à l’instar de la BM
Quand Donald Kaberuka, ex-président de la BAD, réunissait le Conseil des gouverneurs de la Banque, il ne manquait jamais d’avancer ses deux sujets de fierté. La BAD veille à préserver son rating triple A qui lui permet de se financer, avantageusement, sur le marché international. Outre que ses engagements, en faveur de l’économie africaine, ont dépassé ceux de la BM.
Et si le G20 décidait de doter la BAD d’une SFI à l’instar du groupe de la BM. Rappelons que le groupe de la BM est ainsi structuré. La BM prête aux Etats et la SFI au secteur privé. A titre d’illustration, la SFI a pris récemment une participation importante pour un montant d’environ 70 millions de dinars tunisiens dans le capital d’Amen Bank. Il n’est pas besoin de plaider pour démontrer le bienfondé d’une telle institution. La cause du secteur privé africain parle d’elle-même.
Un fonds Ajiyal pour le Continent
A l’évidence, le capital-risque constitue un levier de financement des plus efficaces, notamment pour un continent à gros appétit d’investissement et de développement. Le véhicule de fonds propres est, de tous les instruments, le plus approprié à propulser l’investissement privé. Un Fonds souverain africain pourrait essaimer sur tout le continent et doperait l’incubation de l’innovation et des start-up.
Un marché continental de la dette
Au vu des contraintes des finances publiques des Etats africains, des plus puissants aux plus démunis, un marché africain de la dette serait un soulagement réel. Les pays africains excédentaires et ceux en déficit peuvent, a priori, entretenir un marché dynamique de la dette. Ce serait une occasion d’éviter à l’Afrique d’exporter passivement son épargne et de la convertir au service du financement de son développement. Les compétences continentales en la matière sont réelles. Et un affranchissement du financement de la dette serait un élément de résilience, supplémentaire, pour le continent.
Africa Digitale
Ne nous leurrons pas. La digitalisation de l’économie africaine devient une priorité, une urgence. L’Afrique, en programmant un plan digital à horizon proche, apparaîtrait dans la position d’un véritable partenaire d’avenir. Cela tombe sous le coup du sens, et le G20 trouverait la demande tout à fait recevable et bien assortie à ses attentes.
Créer la surprise
Comme nous tous, le président Alpha Condé, à Berlin les 12 et 13 juin, devait avoir en mémoire le triste souvenir de cet autre congrès de Berlin de 1884 (au temps de Bismarck). La presse satirique française de l’époque parlait du “Congrès du partage de l’Afrique“. A ce jour, le continent souffre des séquelles de la colonisation. Ni la Francophonie ni le Commonwealth n’ont modifié la donne.
L’Afrique manque d’une poussée autonome de développement. La BAD avait créé le haut panel, présidé par le Nobel d’économie Pr Joseph Stiglitz et son rapport intitulé “Investir en Afrique au XXIème siècle“ contenait des propositions certes concrètes, mais timides. Aux grands maux les grands moyens. Le Continent doit avoir du cran.
Le président Condé, s’il proposait un tel ballon d’essai, n’aurait pas pris ses partenaires à contre-pied. Il montrerait un visage proactif pour le continent. Les grandes réalisations partent toujours de grandes utopies. Sinon comment convaincre les Africains que le G20 n’entend pas satelliser l’Afrique et la mettre sur sa propre orbite? On aurait un destin aussi limité que celui dont souffre l’Amérique du Sud, mise sur périphérie nord-américaine.