Déchiré entre sa diabolisation par l’opposition politique tunisienne -qui le tient pour responsable de tous les maux que connaît le pays- et sa bénédiction par les gouvernements tunisiens -qui ont constamment trouvé, dans ses prêts, une perche de salut et une marge de manœuvre salutaire pour traverser les zones de turbulences-, le FMI, soucieux de son image de marque et de la perception que doit se faire de lui le Tunisien moyen, a décidé de sortir de ses réserves et de communiquer sur son partenariat avec la Tunisie.
Pour ce faire, il a choisi une démarche originale. Celle-là même qui consiste à imaginer, dans un document questions-réponses, un certain nombre de questions clés que tout Tunisien aurait pu poser au Fonds et que ce dernier aurait été tenu d’y répondre.
Les questions portent, entre autres, sur la nature de l’aide qu’apporte le FMI à la population tunisienne, le type de prêt accordé à la Tunisie, l’impact de ces prêts sur l’alourdissement de la dette, le degré de détérioration de la situation économique, le poids de la masse salariale, le rôle du FMI dans la dépréciation du dinar…
Pour revenir à la teneur de ce long document, le FMI a tenu, dès le départ, à rappeler, en termes diplomatiques et voilés, qu’il ne s’immisce guère dans les affaires tunisiennes. Il précise que “les conseils que le Fonds fournit aux autorités tunisiennes s’appuient sur l’expérience accumulée par l’institution auprès de nombreux autres pays qui cherchaient à relancer la croissance dans des conditions comparables”.
Il ajoute que ces conseils visent uniquement à créer un environnement favorisant la stabilité macroéconomique et renforçant la croissance inclusive.
Les crédits du FMI sont très avantageux
Le Fonds devait ensuite défendre la qualité de ses crédits. Pour lui, “les prêts qu’il fournit à la Tunisie n’ont d’objectif que “de lui accorder une marge de manœuvre financière à l’heure où elle adopte les changements nécessaires pour relancer la croissance et promouvoir une prospérité partagée”.
Le Fonds s’est employé, ensuite, à défendre les avantages engrangés par ses crédits. Selon les termes du FMI, “ils sont moins coûteux que les financements des marchés privés“. Ainsi, le taux d’intérêt annuel de ces prêts est de l’ordre de 2% alors que le taux d’une récente émission euro-obligataire de l’État tunisien était de 6% (sortie de la Tunisie sur le marché financier internationale privé au mois de février 2017 (850 millions de dollars).
Mieux, les concours du FMI présentent un autre avantage et non des moindres, ils ont un effet catalyseur voire un effet d’entraînement puisque dès que le FMI décaisse une tranche de crédit, tous les autres bailleurs de fonds suivent le mouvement, y compris les marchés de capitaux privés.
Pour le FMI, l’ensemble de ces avantages permettent à la Tunisie “d’épargner des ressources budgétaires pouvant ainsi être allouées au financement de l’éducation, de la santé et des investissements publics”.
La crise économique en Tunisie préoccupe le FMI
Concernant la situation économique, le FMI en dresse le diagnostic suivant: “le pays a été touché par une succession de chocs liés à des attentats terroristes (qui ont pesé sur le tourisme et l’investissement), à la chute des cours des produits de base qu’il exporte et au repli de la croissance des principaux partenaires commerciaux, dont l’Europe. Il s’en est suivi un ralentissement de la croissance, une augmentation du chômage et une poussée de la dette publique et extérieure”.
Le Fonds est particulièrement préoccupé du chômage en Tunisie qu’il estime “trop élevé: il dépasse 30% chez les jeunes et les femmes”.
Il se préoccupe également de l’investissement qu’il trouve “trop faible pour créer suffisamment d’emplois”. Idem pour les déficits budgétaires et extérieurs qui sont, à ses yeux, “obstinément élevés”.
Last but not least, le FMI s’inquiète des retombées négatives des inéquités sociale et fiscale.
Pour y remédier, le Fonds rappelle qu’“il travaille en étroite collaboration avec les autorités tunisiennes depuis 2011 pour les aider à remettre l’économie sur la bonne voie tout en évitant que les populations pauvres n’aient à assumer le gros des ajustements nécessaires”.
Le Fonds évoque des mesures convenues avec le gouvernement tunisien. “Ces mesures, note-il, sont ambitieuses et devraient permettre d’opérer les ajustements propices à la croissance et à l’emploi dont la Tunisie a besoin pour stabiliser son lourd déficit budgétaire, réduire les emprunts extérieurs et orienter le ratio d’endettement sur une trajectoire baissière”.
Inéquité sociale et injustice fiscale, les principaux soucis du FMI
Mention spéciale pour deux réformes auxquelles il semble tenir particulièrement. Il s’agit de l’inéquité fiscale, considérée par le Fonds comme un pilier fondamental du programme de réformes du gouvernement. “De manière plus générale, note le Fonds, l’actuel accord au titre du MEDC (Mécanisme élargi de crédit, 2,9 millions de dollars), en place depuis mai 2016, insiste fortement sur les mesures fiscales que les autorités tunisiennes envisagent pour 2018 et qui visent à rendre l’impôt plus équitable et à accroître les recettes, y compris grâce au renforcement des activités de recouvrement qui s’étaient affaiblies durant ces dernières années”.
La deuxième réforme porte sur la protection sociale. Dans le cadre du même programme, FMI et autorités tunisiennes suivent de près les dépenses sociales… Un intérêt particulier est accordé aux options qui permettront de rendre les politiques sociales plus justes et plus efficaces, par exemple en utilisant un identifiant social unique afin de mieux cibler l’aide en faveur des ménages vulnérables”.
Le fonds attire également l’attention sur la part élevée de la masse salariale dans le PIB de la Tunisie. Il l’a qualifiée de “l’une des plus élevées parmi les pays émergents” et estime qu’elle “ne saurait être soutenable dans le contexte d’une augmentation rapide des niveaux d’endettement. Elle est passée de 10,7% du PIB en 2010 à 14,5% du PIB en 2016, et si les réformes ne sont pas mises en œuvre la masse salariale se hissera à 15% du PIB en 2018“. Elle représente en outre environ 50% de la totalité des dépenses publiques, réduisant l’espace budgétaire pour l’investissement public et les transferts sociaux.
Le dinar ne serait surévalué qu’à hauteur de 10%
Et pour ne rien oublier, dans ce document, le FMI évoque, brièvement et timidement, deux questions majeures: la lutte contre la corruption et la dévaluation du dinar.
Au sujet du premier thème, le FMI dit “avoir engagé les autorités tunisiennes à rendre opérationnelle le plus rapidement possible la haute autorité de lutte contre la corruption”.
Concernant la dépréciation du dinar, le Fonds a révélé deux éléments d’information de grande importance. Premièrement, le dinar ne serait pas aussi surévalué qu’on le pense. “D’après nos estimations, actuellement le dinar n’est que légèrement surévalué, aux alentours de 10%”, relève le FMI, avant d’ajouter qu’”il n’est toutefois pas nécessaire de procéder à une correction brutale et nous n’en avons pas fait la demande”. Sans commentaire!
Ensuite, le Fonds dit seulement avoir recommandé aux Tunisiens “d’évoluer vers un régime de change plus flexible, qui permette au dinar de réagir au jeu de l’offre et de la demande de devises. Le niveau sans précédent des déficits de la balance des biens et des services, dit-il, souligne la nécessité d’une certaine dépréciation dans le temps”.
Moralité: en termes diplomatiques, à travers ce message adressé directement à l’opinion publique tunisienne, le FMI donne l’impression qu’il est très déçu par le rendement de la classe politique tunisienne et semble renvoyer dos à dos opposants (nihilistes) et officiels (nuls en communication). Il prend en charge tout seul la défense auprès des Tunisiens du bien-fondé de son partenariat avec la Tunisie.