Les cas de ministres qui ne savent pas communiquer et qui ne savent tenir des discours cohérents et persuasifs sont devenus, ces temps-ci, une monnaie courante. Au regard de leur incohérence manifeste, les propos de deux ministres, en l’occurrence Slim Khalbous, ministre de l’Education par intérim, et Taoufik Rajhi, ministre conseiller du chef du gouvernement tunisien chargé des Réformes majeures et des négociations avec le FMI, qui se sont exprimés, dernièrement, de manière incohérente sur deux dossiers sensibles, méritent qu’on s’y attarde.
Le premier s’est exprimé sur les appareils de brouillage anti-triche installés aux centres d’examen du baccalauréat, et le second sur l’augmentation du prix du tabac.
Si le brouillage est une bonne technique, pourquoi penser à la changer?
Interpellé, le 8 juillet 2017, par les députés sur les conditions dans lesquelles les appareils de brouillage anti-triche à l’examen du baccalauréat ont été acquis, Slim Khalbous a démenti l’existence de toute présomption de corruption dans l’appel d’offres relatif à l’acquisition d’équipements de brouillage pour contrer la fraude à cet examen national. “Cette opération a été menée en toute transparence et légalité”, a-t-il dit. Dont acte.
Néanmoins, dans cette même réponse aux questions des députés, le ministre ne s’est pas montré aussi convaincant, surtout quand il dit: “pour lutter contre les tentatives de fraude lors des examens nationaux, le ministère a prévu pour l’année prochaine un plan d’action, en vertu duquel les élèves ne seront plus autorisés à accéder aux salles d’examens avec leurs téléphones portables”.
Il a ajouté qu’“il s’agira, également, d’installer des portes électroniques à l’entrée de chaque centre d’examen, lesquelles émettront des signaux d’alerte si elles détectent des appareils en métal”.
Cette déclaration suscite deux interrogations majeures. La première consiste à se demander si le département de l’Education est persuadé qu’en sommant les candidats au bac à se délester de leur mobile à l’entrée des centres d’examen, les tentatives de triche seront réduites de manière significative, pourquoi ne l’a-t-il pas fait jusque-là, d’autant plus qu’elle ne coûte rien pour le contribuable.
La seconde est de savoir si l’appel d’offres précité s’était déroulé dans la transparence. Par voie de conséquence, si cette technique du brouillage est toujours efficace, pourquoi penser déjà à la remplacer et à engager l’Etat dans de nouveaux investissements pour les prochaines années (achat de nouvelles portes électroniques…)?
Autre zone d’ombre que le ministre se doit d’éclaircir quand il dit: “Le ministère n’a pas encore réglé les frais d’acquisition de ces équipements”, avant d’ajouter que son département peut se permettre de ne pas payer ces frais s’il s’avère qu’il existe des preuves de corruption.
Cela laisse entendre clairement que les résultats de l’enquête sur ce dossier ne sont pas encore connus et définitifs. Son démenti de tout soupçon de corruption n’engagerait donc que sa propre personne.
Moralité : il n’y a vraiment pas de cohérence dans les propos de M. Khalbous.
Pour mémoire, le 14 juin dernier, l’organisation “I Watch” avait accusé le fournisseur de ces appareils, la société “Get Wireless” d’avoir remporté de manière “douteuse” l’appel d’offres lancé par le ministère de l’Education pour la fourniture de 400 brouilleurs de signaux pour un montant de 2 MDT”. Pour “I Watch”, les appareils fournis sont défaillants pace qu’ils ne sont pas conformes aux normes internationales.
I watch a appuyé ses dires par les fuites qui ont eu lieu à l’examen du bac en 2017 et par l’absence de test et de validation de ces appareils par les organismes compétents. Elle se réfère à une correspondance du directeur général du Centre d’études et de recherches des télécommunications (CERT), Naoufel Ben Said, dans laquelle ce dernier “assure que son établissement n’a émis aucun rapport concernant l’approbation du test technique des brouilleurs utilisés lors des épreuves du baccalauréat 2017”.
La lutte contre le tabagisme est un package de mesures
Quant à Taoufik Rajhi, qualifié à juste titre de “l’homme des augmentations de prix douloureuses”, il semble avoir commis l’erreur de minimisé l’effet de la récente augmentation du tabac et d’avoir fait assumer, dans la précipitation, à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la responsabilité.
Dans une déclaration faite le 3 juin 2017, sur les ondes de la radio Shems FM, il avait révélé que «l’augmentation du prix des cigarettes est une décision conforme à une recommandation de l’OMS». Il avait ajouté que l’OMS recommande une augmentation annuelle du prix des cigarettes afin de freiner la consommation. La cigarette n’étant pas un produit de première nécessité pour lui…”.
Seulement ce ministre conseiller a omis de rappeler que quand l’OMS suggère une augmentation de prix du tabac, c’est dans le cadre de tout un package de mesures, voire tout un programme de prévention et de lutte contre le tabagisme, un programme qui touche tous les lieux publics et l’ensemble des sphères à effet multiplicateur tels que les médias, la culture et les lieux de partage (restauration, cafés, salles de cinéma…).
La question qui se pose dès lors est la suivante: quelles dispositions a prévu ce ministre qui se dit “soucieux de la santé des Tunisiens“ pour accompagner cette augmentation du prix du tabac? A-t-il prévu d’appliquer la loi sur la réservation dans les espaces publics pour les non-fumeurs? A-t-il prévu une loi interdisant dans l’audiovisuel, comme c’est le cas aux Etats-Unis et ailleurs, toute publicité sur le tabac, fût-elle passive (cas d’un acteur qui fume)? A-t-il prévu une campagne de sensibilisation d’envergure nationale sur la lutte contre le tabagisme, dans les établissements scolaires?
Malheureusement, rien de tout cela. Juste une augmentation du prix du tabac dont les méfaits et le coût exorbitant en matière de santé sont, du reste, bien connus.
Cela pour dire que les propos de ce ministre sur les récentes augmentations des prix sont, le moins qu’on puisse dire, incohérents et fort réducteurs des nobles objectifs assignés aux réformes qui devraient les intégrer.
Ils n’ont de but que de servir la carrière ministérielle de la personne qui les profère et nullement une quelconque réforme viable. C’est hélas le profil de nos ministres actuels, plus enclins à se servir qu’à servir.