Après avoir pendant longtemps été entrepreneur, Salma Elloumi Rekik a choisi d’embrasser une carrière politique. Aujourd’hui elle est à la tête du ministère du Tourisme et de l’Artisanat. Elle a répondu à l’”Appel de la Tunisie post-janvier 2011″.
La peur de perdre l’édifice construit depuis 1956 l’a encouragée à devenir un membre actif dans le parti Nidaa Tounes et à se porter candidate aux élections législatives dans la région de Nabeul.
Présidant aujourd’hui aux destinées du secteur du tourisme, elle parle peu, agit beaucoup, efficacement et dans la discrétion la plus totale.
Au bout de deux années d’exercice, c’est un plan pour la métamorphose totale du produit touristique qu’elle a mis en place dans le cadre des “Assises nationales sur le tourisme“: «La Tunisie est trop riche et trop racée pour se limiter uniquement au tourisme balnéaire ou encore au produit de masse. Nous réussirons la gageure d’en faire une destination de haute et moyenne gammes avec une diversité attrayante de produits».
Motivée par l’amour du pays et sa foi en lui, Salma Rekik croit dur comme fer que tout est possible à condition d’oser.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
WMC : Sur quelles mesures ont débouché les assises du tourisme en Tunisie?
Salma Rekik Elloumi : l’importance de ces assises est que la réflexion menée a débouché sur des projets et de propositions concrètes qui permettront de relancer le tourisme en tenant compte des spécificités dans les régions.
Cette réflexion a été menée conjointement par les professionnels, les représentants de la société civile, les départements ministériels…
Six thèmes stratégiques pour le développement et l’avenir du secteur ont été débattus :
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- La communication et la promotion
- L’accessibilité de la destination tunisienne
- Le tourisme durable
- Une offre de qualité
- Une offre diversifiée et innovante
- Le redressement et le développement du secteur
Les assises ont débouché à l’identification 25 projets importants qui serviront à redéfinir le paysage du tourisme tunisien. Nous les soumettrons pour approbation au conseil ministériel
Le secteur touristique a été malmené en 2015 à cause des attentats du Bardo et de Sousse. Comment avez-vous réussi à tenir le coup?
Le secteur a connu des difficultés depuis 2011 et furent aggravées par les actes terroristes de 2015.
Tout au long de la première année passée au ministère, je n’ai pas eu de vie et pas de temps à me consacrer à moi ou à ma famille. Pas de dimanche et pas de congé, rien. Le rythme était soutenu. Fort heureusement, nous avons réussi à remettre un peu les choses en place. J’ai trouvé du répondant au niveau du ministère. Les cadres qui travaillent avec moi ont été très présents et très coopératifs qu’il s’agisse de ceux du ministère que de ceux de l’ONTT.
Mon premier challenge était de rétablir la confiance, d’encourager les compétences à exprimer leurs points de vue et les inciter à être proactifs et s’investir plus dans leurs missions respectives.
Il fallait passer à la restructuration et s’attaquer aux réformes qui auraient dû être faites depuis longtemps. Il fallait aussi donner à l’information l’importance qu’elle mérite, repenser la stratégie, relancer les axes “tourisme durable, tourisme vert, tourisme culturel“ et revoir les outils promotionnels en veillant à mettre en place une stratégie pour la mise à niveau de l’infrastructure qui existe.
Le ministère a carburé ces derniers mois bien que nombre de médias ne paraissent pas en être édifiés?
Nous avons beaucoup travaillé et peut-être que nous n’avons pas assez communiqué. Toutefois, les informations sont disponibles et personnellement j’encourage les médias à contacter les services concernés tout en les priant à veiller avec nous à la préservation de l’image de notre pays à tous. Des fois, malheureusement, nous descendons au niveau du dénigrement et nous accordons foi aux commérages. Et ce n’est pas ce que mérite notre pays.
Pour moi, le rôle d’un journaliste est d’établir la vérité, il faut juste dire la vérité.
Quels sont les socles sur lesquels s’adossera le plan de
restructuration du tourisme?
Le tourisme ne se limite pas à l’hôtellerie. Il faut accorder de l’importance à tout ce qui a rapport avec le secteur. Le tourisme de masse ne peut pas nous donner les moyens de nous perfectionner ou encore de préserver les infrastructures touristiques, notre patrimoine archéologique et historique et civilisationnel, encore moins nos sites naturels. La commercialisation du produit à des prix anormalement bas ne peut pas assurer la maintenance de notre parc hôtelier ou améliorer nos prestations.
Il y a des normes en matière de maintenance des unités hôtelières, et elles ne sont pas respectées. Le problème est financier et le secteur est surendetté. Il n’empêche, c’est un pilier de l’économie du pays même après la crise de 2015.
Pensez-vous revoir également la qualité du produit touristique comme signifié au début de l’entretien?
Nous devons exploiter tout notre potentiel, notre culture, notre histoire et tous ces sites archéologiques qui couvrent la Tunisie, du Sud au Nord. Il faut valoriser et promouvoir notre patrimoine matériel et immatériel.
Aujourd’hui, nous n’avons que huit sites inscrits inscrits dans le patrimoine culturel mondial. C’est peu au regard de l’énorme richesse et du nombre des sites Historiques qui existe en Tunisie et qui sont évalués aujourd’hui à plus de 40 000.
L’artisanat tunisien figure parmi les plus riches dans la région, c’est aussi un grand pourvoyeur d’emplois. Quelle est sa place dans la stratégie d’enrichissement du secteur touristique?
Beaucoup d’efforts ont été déployés pour redresser le secteur de l’artisanat qui a connu au cours des dernières années des difficultés d’ordre conjoncturel et structurel.
Ceci nous a amené à mettre en place une stratégie nationale et ce à la lumière du plan national de développement de l’artisanat (PNDA) dont l’exécution va s’étaler sur les cinq prochaines années.
Les axes essentiels de ce programme portent sur :
-la formation et le développement des connaissances te des compétences
-la promotion de la qualité et la commercialisation
-la création davantage de villages et d’espaces dédiés au secteur et l’innovation
– la renforcement de l’approvisionnement du secteur en matières premières de qualité.
Notre ambition est d’explorer les meilleurs moyens permettant d’évoluer sur des bases solides et pérennes s’agissant d’un secteur d’une grande importance aux plans économique et social et des ses incidences positives en matière d’emploi et de développement régional.
Nous ferons le nécessaire pour protéger les droits de nos créateurs, et la propriété intellectuelle tunisienne de par le monde et faire en sorte que les auteurs d’œuvres artisanales soient protégés et reconnus internationalement.
Ceci étant, les produits artisanaux doivent évoluer et accompagner les goûts du jour. C’est le but de la compétition nationale la «Khomsa d’or».
L’artisanat fait travailler 350.000 personnes dont 80% de femmes.
Comment comptez-vous assurer le décollage de ce secteur?
En plus de la généralisation de la formation à toutes les branches d’activité en relation avec le secteur touristique, il n’est pas question de se limiter à l’hébergement. Il faut investir dans le para-touristique. Le secteur est appelé à diversifier son offre et ses marchés
Le tourisme intérieur doit également être encouragé et soutenu. C’est aujourd’hui une composante des droits de l’Homme –la Constitution tunisienne a mentionné le droit au divertissement et aux loisirs.
Nous avons des conditions climatiques exceptionnelles, nos plages figurent parmi les plus belles de la région. Nos voisins Algériens et Libyens choisissent la Tunisie, ce sont nos frères, nous sommes un seul peuple avec nombre de similitudes dans notre histoire.
Du travail a été fait sur les plans local et international. Maintenant, les professionnels ont ainsi l’occasion de jouer pleinement leur rôle, le ministère est là pour fixer la stratégie, pour réguler, pour donner les orientations, encadrer et contrôler le respect de la réglementation ainsi que la protection des sites touristiques.
Les professionnels sont une force de propositions et d’action. Ils l’ont d’ailleurs prouvé au cours des assises du tourisme tunisien.