«Ghaltouni» (On m’a induit en erreur). Rappelez-vous cette expression célèbre prononcée par Ben Ali lorsque le château Tunisie qu’il croyait solide comme un roc s’est avéré être de cartes!
Qui sont ceux qui l’ont induit en erreur? Ce sont ceux-là mêmes qui étaient proches, très proches, les plus proches de lui. Ceux qui s’évertuaient à maquiller la réalité de plus en plus douloureuse du pays alors qu’ils étaient censés éclairer leur «patron», l’orienter et le conseiller dans le bon sens. Ceux qui agissaient avec le «Roi-président» comme des sujets et non comme des hauts commis de l’Etat dont la responsabilité est avant tout de le protéger de lui-même, du pouvoir et de préserver le pays de ses excès.
Il y en a parmi les anciens compagnons de Ben Ali qui sont morts, d’autres qui vivent encore mais qui ont péché par plus d’allégeance envers la personne qu’envers le pays, et une servilité hideuse dont le but était surtout de préserver leurs postes.
Ils l’ont isolé du peuple, de ses ministres qui faisaient plus de la figuration lors des conseils ministériels qu’autre chose, et qui donnaient le change au peuple, faisant croire que le président se préoccupait réellement des problèmes du pays.
Depuis la naissance de l’héritier du trône, Ben Ali commençait à s’ennuyer dès qu’un conseil des ministres dépassait les 30 mn. Tout ce qu’il voulait était s’occuper de son fils. Du coup, les ministres qui osaient interpeller le président sur une question importante étaient remis à leur place. Il ne fallait surtout pas déranger le grand manitou.
Les conseillers formaient autour de Ben Ali une sorte de ceinture de sécurité imperméable qui visait surtout à le protéger de tout désagrément. En évitant de le contrarier et de le mettre en face de ses responsabilités, ils ont mis le pays en déroute.
Nicholas Machiavel avait écrit dans son ouvrage culte “Le Prince“: «Il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, que celui qui tient pour réel et pour vrai ce qui devrait l’être sans doute, mais qui malheureusement ne l’est pas, court à une ruine inévitable».
Batailles rangées via médias interposés
C’est une tradition que celle de transmettre de vrais faux rapports aux dirigeants dans notre pays. Dirigeants qui ne sont certainement pas au-dessus de tous soupçons.
Je me rappelle une discussion avec Mohamed Jegham, à l’époque chef de cabinet de Ben Ali et largué par Leila Trabelsi et Co parce que ne correspondant pas au profil type apprécié par Madame:
- Comment ça se passe dans le pays?
- Mais si Mohamed, vous avez des rapports quotidiens qui vous parviennent non? Vous avez des agents de renseignements dans les cafés et partout, les rapports du ministère de l’Intérieur, ceux des RG et j’en passe…
- Je voudrais que vous me donniez, vous, votre appréciation réelle des choses sur le terrain, je n’ai pas une confiance aveugle dans les rapports.
Et M. Jegham a eu raison. D’ailleurs, ce sont d’autres conseillers fourbes et serviles qui ont tout fait pour le déboulonner et servir plus madame que la Tunisie.
Une autre scène vécue et relatée par un ancien ministre est révélatrice à plus d’un titre.
Lors du dernier Conseil ministériel tenu par Ben Ali et sentant la Tunisie lui échapper, l’ancien président avait fait signe à un ministre de le suivre pour discuter avec lui. Ce dernier, étonné car la question sécuritaire ne le concernait nullement, était sur le point de s’exécuter lorsqu’un conseiller très proche, l’a sommé: «Pourquoi ne feriez-vous pas le tour du palais, nous vous retrouverons tout à l’heure?». Le monsieur voulait prendre le ministre de vitesse et découvrir les raisons de l’intérêt soudain de Ben Ali envers sa personne alors que le pays était à feu et à sang. Les rejoignant un peu plus tard, ce dernier avait trouvé l’ancien président en pleine crise, insultant conseillers et interpellant le ministre de l’Intérieur: «Vous vous occupiez de la vie privée des ministres, de leurs femmes alors que l’on complotait contre la Tunisie et que des valises remplies d’argent rentraient à travers ports et aéroports? Je vais prendre les choses en main à partir d’aujourd’hui».
En fait, il ne pouvait plus rien contrôler, la situation lui avait totalement, entièrement, complètement échappé. Pendant des années, Ben Ali s’était terré dans son cabinet, entouré de conseillers plus briefés par sa femme et sa famille que par ses ministres et ses hauts responsables.
Ghaltouh! Mais il était lui aussi prédisposé à tous ces courtisans qui lui faisaient les yeux doux et se comportaient avec lui comme s’il était Dieu le père!
Ces pratiques n’ont malheureusement pas disparu aujourd’hui. Elles sont les mêmes et ont envahi toutes les sphères des pouvoirs.
Gouverner n’est pas facile et le pouvoir est démoniaque, il ensorcelle et aveugle!
Jacques Ellul, un élu français après la Libération, s’en est vite rendu compte et s’était définitivement retiré de la vie politique. Il pondit un ouvrage intitulé «Sacrilège à l’époque du tout politique» où il parle de «l’illusion politique».
Pour lui, la fonction de la politique est de définir les finalités du vivre ensemble, alors que de nos jours, ce sont «les moyens techniques qui déterminent les fins». Ces moyens-là, ce sont ces pseudo-technocrates omniprésents dans toutes les sphères du pouvoir qui en usent des fois à bon et très souvent à mauvais escient.
Les médias qui ont pris du pouvoir dans notre pays sont aujourd’hui utilisés comme des armes. Certains conseillers évoluant dans les trois présidences se défont de leurs obligations de réserve et se livrent des batailles rangées via leurs relais médiatiques aux dépens des hauts intérêts de la nation et du prestige des institutions.
Qui gouverne la Tunisie aujourd’hui? Les conseillers ou les présidents?
«Ce n’est pas une chose de peu d’importance que de choisir ses ministres. Car c’est par les gens que le prince tient auprès de sa personne que l’on juge de son esprit et de sa prudence». Machiavel désigne par ministres, les conseillers de l’époque plus proches du Roi que tout autre notable.
Le pouvoir corrompt, le pouvoir altère, le pouvoir transforme, le pouvoir convertit.
Comment faire du pouvoir un instrument de construction et de création plutôt qu’un outil de destruction et de mort?
C’est quand le Chef entend une seule voix: celle de la nation.
C’est quand le Chef répond à un seul impératif: celui de l’intérêt du pays.
C’est quand le Chef impose la voie en convainquant le peuple que c’est lui qui l’a tracé.
Nelson Mandela disait : «Je n’ai jamais oublié l’axiome du régent: un chef disait-il est comme un berger. Il reste derrière son troupeau, il laisse le plus alerte partir en tête, et les autres suivent sans se rendre compte qu’ils ont tout le temps été dirigés par -derrière».
Méditer et oser !