Majid Bouden, avocat franco-tunisien et ancien actionnaire de la Banque franco-tunisienne (BFT), se dit victime depuis 36 ans d’une machination judiciaire en Tunisie. Toujours selon lui, “exproprié” et “contraint” à l’exil, Majid Bouden, s’est tourné vers un tribunal arbitral, le Cirdi, pour obtenir réparation. Chronologie d’une affaire qui a des relents de scandale d’Etat.
1- Le feuilleton de la Banque franco-tunisienne commence en 1981 avec sa privatisation à dessein. Nationalisée et confisquée à son ancien propriétaire, le Français Raoul Daninos, en 1964, la BFT a évolué depuis dans le sillage de la doyenne des banques tunisiennes, la Société tunisienne de banque (STB), principale banque publique du pays.
2- Mansour Moalla, alors ministre des Finances et du Plan (25 avril 1980 – 18 juin 1983), décide de la privatiser et lance une souscription pour faire passer son capital social à 5 millions de dinars.
3- En novembre 1981, le holding ABCI, immatriculé aux îles Caïmans, manifeste son intérêt et demande l’agrément au ministère des Finances. Il est codétenu à parts égales par le fils du roi d’Arabie saoudite, le prince Bandar Ibn Khaled Ibn Abdelaziz Al Saoud, et par un avocat tunisien, Majid Bouden.
4- Cet agrément lui est accordé le 23 avril 1982. L’opération doit porter sur 50% des actions, représentant 53,6% des droits de vote.
5- Les fonds, soit l’équivalent de 2,5 MDT, sont virés à la BCT le 27 juillet 1982.
6- Le lendemain, les autorités tunisiennes se rétractent. Les fonds d’ABCI sont placés sous séquestre. L’explication officielle: l’agrément accordé en avril n’était qu’un “accord de principe” et non un accord définitif.
7- L’ABCI découvre le non-dit: le ministère des Finances et du Plan de l’époque travaille pour une fusion entre la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT), l’Arab Bank et la BFT. L’idée était de créer une grande banque.
8- L’ABCI contre-attaque et actionne son lobbyisme. Elle demande au chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, qui était basé à Tunis, d’intervenir auprès de la première dame de Tunisie, Wassila Bourguiba, pour stopper la machination.
9- En juillet 1984, l’ABCI voit ses droits reconnus, en dépité des fortes pressions exercées sur la BFT. Le président Bourguiba a dû intervenir pour débloquer l’affaire.
10- En 1986, Majid Bouden, représentant légal d’ABCI, finit par accéder à la présidence du conseil d’administration de la BFT – entre-temps, Bandar s’est retiré. La première chose qu’il a faite. Il accuse la STB d’avoir siphonné une partie des fonds propres de la BFT, exige la restitution de 1 million de dinars et demande l’arbitrage de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP).
Il obtient gain de cause, mais le verdict n’est pas exécuté. Entre temps, un audit interne à la BFT révèle que les bilans de la banque ont été maquillés, avec la complicité d’un commissaire aux comptes, Mourad Guellaty. Au total, 17,5 millions de dinars de créances douteuses initialement détenues par la STB ont été discrètement logés dans les comptes de la BFT. ABCI ne veut pas de ce cadeau empoisonné.
11- Le 10 septembre 1987, ses représentants alertent officiellement les autorités de tutelle ainsi que la brigade économique.
12- Le 11 novembre 1987, quatre jours après le renversement de Bourguiba, la machination judiciaire se met en branle. La STB dépose plainte contre les dirigeants de la BFT. La BCT, le ministère des Finances, ainsi que le commissaire aux comptes épinglé, lui emboîtent le pas.
En cause, l’arbitrage de la CCIP, constitutif, selon les plaignants, d’une infraction à la réglementation des changes.
13- La BFT est placée sous administration judiciaire et ses dirigeants sont évincés. Bouden est interdit de sortie de territoire.
14- En mars 1989, il est condamné à six ans de prison et à 30 MDT d’amende, une peine assortie d’une clause suspensive : la sanction pénale peut être levée si l’intéressé renonce, par écrit, à son droit de propriété.
15- Le 7 juin 1989, Bouden signe, au nom d’ABCI, un protocole de renonciation. Mais il n’était pas au bout de ses peines. Il est visé par une autre plainte, pour faits de mauvaise gestion commis durant son mandat de président non exécutif du conseil d’administration de la BFT.
16- En 1991, il parvient à quitter le territoire tunisien.
17- Trois ans plus tard, il est condamné, par contumace, à vingt ans de prison.
18- Bouden décide de reprendre le combat judiciaire, mais à Londres, car ABCI relève de la juridiction britannique. Il veut obtenir des tribunaux l’annulation du protocole de renonciation, qu’il a signé sous la contrainte, et demande réparation du préjudice subi, qu’il évalue à 167 millions de dollars. Le litige s’internationalise.
19- Le 1er novembre 1991, Mounir Klibi, juriste, issu de la BCT, intègre la BFT et y reste jusqu’en 1996 avec pour mission: organiser la défense de la banque contre les prétentions de son ancien propriétaire spolié. Ce round britannique dure près de dix ans. Des milliers de pièces sont versées à la procédure, et les frais d’avocat commencent à grimper dangereusement.
20- En 2003, les juridictions britanniques se déclarent finalement incompétentes. Pour la Tunisie, c’est une victoire, mais seulement en trompe-l’œil, car ABCI se tourne alors vers le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi).
21- La Tunisie conteste la compétence de ce dernier. En vain. Le 11 février 2011, le tribunal arbitral du Cirdi se déclare compétent. Bouden est conforté: juridiquement, le rapport de force tourne à son avantage.
22- Béji Caïd Essebsi (BCE), chef du gouvernement provisoire à l’époque, comprend qu’il faut changer d’approche avec la BFT. Bouden, de son côté, n’est pas hostile à un compromis, mais il veut d’abord voir son nom inclus dans la liste des personnes éligibles à l’amnistie générale des crimes et délits politiques en vertu du décret-loi de février 2011 pour faire annuler sa condamnation de 1994, qui l’empêche de retourner en Tunisie.
23- Le dossier est traité par Ridha Belhaj, secrétaire général du gouvernement. Ce dernier demande, pour «instaurer la confiance», que Bouden et ABCI s’engagent à ne pas poursuivre en justice les anciens dirigeants de la BFT ni à leur demander réparation. Les représentants d’ABCI donnent leur accord de principe, et la procédure devant le Cirdi est suspendue pour permettre la recherche d’une solution à l’amiable. Mais rien ne vient.
24- Fatigué et déçu par ces tergiversations, Bouden se tourne alors vers la Cour de cassation tunisienne pour faire reconnaître son droit.
26- La haute juridiction rend sa décision le 16 octobre 2012. Les jugements prononcés à l’encontre de Bouden sont effacés, car ils résultaient d’une «instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif, dans le but de contraindre la société britannique [ABCI] à céder le contrôle de sa filiale tunisienne au rabais».
27- Toujours en 2012, les islamistes accèdent au pouvoir. Au commencement, les négociations semblent s’acheminer vers un règlement à l’amiable, mais, en avril 2013, elles s’enlisent à nouveau.
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28- Le ministre des Domaines de l’État de l’époque, Slim Ben Hmidane (CPR), accuse les représentants d’ABCI d’avoir «soudoyé» un haut fonctionnaire, en la personne de Hamed Nagaoui, pour hâter un règlement.
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29- La bataille judiciaire reprend de plus belle, devant le Cirdi. La Tunisie conteste la compétence de ce dernier. Le tribunal arbitral du Cirdi se déclare compétent.
Institué par la Convention de Washington en 1965 et ratifié par la Tunisie en 1966, le Cirdi relève de la Banque mondiale et traite les contentieux entre les investisseurs privés étrangers et les États.
30- Le tribunal s’est déclaré compétent en février 2011 et a reconnu la «qualité à agir» du plaignant en septembre 2014. Il statuera sur le fond du litige avant la fin de l’année 2017. Certaines parties la prévoient pour les jours qui viennent. Ses décisions s’imposent aux États. La société ABCI Investments a fait valoir ses droits devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) afin de se voir restituer sa position d’actionnaire, propriétaire du bloc majoritaire de contrôle de 50% des actions du capital de la BFT ainsi qu’une restitution de plus d’un milliard de dollars à titre de dommages et intérêts et compensations après la nationalisation de la BFT en 1989.
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31- À plusieurs reprises, la possibilité d’un règlement à l’amiable s’est présentée, notamment après la révolution. Personne n’a voulu la saisir. La Troïka a essayé de persuader les représentants d’ABCI de s’associer à un nouveau partenaire, Abdelilah Malki, un financier islamique proche de Rached Ghannouchi et de Noureddine Bhiri.
En 2008, puis en 2010, le libanais de Bank Audi avait même été à deux doigts de conclure, avant de se raviser, à cause du risque juridique lié au litige pendant avec ABCI.
Des rumeurs ont prêté à la Poste tunisienne l’intention de reprendre la BFT.
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32- La liquidation paraît donc inéluctable. Le Conseil ministériel restreint du 15 décembre 2015, sous la présidence de Habib Essid, a suggéré cette solution. Cette liquidation que certains experts rejettent ne sera pas facile. Elle suppose qu’on indemnise les déposants, au nombre de 9.000, et reclasser les 214 salariés de la banque. L’État ayant apporté sa garantie aux 140 millions de dinars prêtés par les banques publiques à la BFT, quand celle-ci était au bord de l’asphyxie financière, il va devoir, ici encore, régler la facture.
33- L’Etat tunisien est aujourd’hui face à un gros problème en rapport avec l’affaire de la BFT. Il s’agit de l’injonction –une énième fois- que vient de lui adresser le CIRDI pour l’obliger à payer sa part des frais relatifs à la procédure arbitrale concernant la BFT. Sur les 500.000 dollars qu’elle est tenue d’acquitter, la Tunisie n’a payé à ce jour que 75.000 dollars, le reste ayant été avancé par la société ABCI.
(Source: Enquêtes sur cette affaire)
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