Naïfs et constamment bernés, les Tunisiens ont cru lorsque le gouvernement a décidé de promulguer, fin avril 2017, les textes d’application de la nouvelle Loi sur l’investissement, que l’acte d’entreprendre et d’investir allait être enfin être libéré des entraves d’antan, après six ans d’attente.
Seulement, 25 jours après, en déni de toute cohérence économique, le Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT) tient une réunion exceptionnelle et décide d’augmenter le taux d’intérêt directeur de la Banque de 50 points de base pour se situer à 4,75%.
Pis, un mois après cette première augmentation, plus exactement le 23 mai 2017, le même conseil décide de relever le taux d’intérêt directeur de la Banque centrale de 25 points de base pour le porter à 5%.
Ces deux augmentations ont eu lieu à la même période au cours de laquelle “le très sérieux” Institut national des statistiques (INS) annonce une légère reprise de l’économie avec un taux de croissance de 2,1% au cours du premier trimestre 2017 et d’un léger recul du chômage avec la création, au cours de la même période, de 15.000 emplois. Elles sont intervenues également au moment où les négociations avec le FMI ont abouti à l’acceptation du décaissement de la deuxième tranche (350 millions de dollars) du crédit (2,9 milliards de dollars) accordé en mai 2016 par le Fonds à la Tunisie.
L’argumentaire de la Banque centrale
Pour la BCT, cette décision est justifiée par la montée des pressions au triple niveau de l’inflation (5% à 5,9% fin avril 2017 contre 3,4% au cours de la même période en 2016), de l’épargne dont le taux a reculé de 19% à 12% actuellement, et des paiements extérieurs. Le déficit commercial s’est aggravé pour dépasser les 5 milliards de dinars au cours des quatre premiers mois de l’année en cours, contre 4,04 milliards de dinars une année auparavant.
Mention spéciale ici pour les tensions inflationnistes dont les prémices sont apparues au cours des derniers mois à cause entre autres au recours, depuis décembre 2016, à la planche à billet. Ces tensions risquent, toutefois, de s’aggraver à la veille de trois périodes de grande consommation: le mois de ramadhan, les vacances estivales, festivités nuptiales et autres. La demande de crédits de consommation auprès des banques a généralement tendance à augmenter au cours de ces périodes.
L’objectif officiel recherché consiste, justement, à décélérer et à contenir la demande sur le financement bancaire, à alléger la pression sur la liquidité et à booster l’épargne dont le taux minimum de rémunération a été augmenté de 50 points de base, le portant ainsi à 4%.
Abstraction faite de ces explications et justificatifs officiels, cette double augmentation, en l’espace d’un mois du taux d’intérêt directeur de la BCT, n’est pas passée inaperçue, en dépit du buzz créé par l’arrestation spectaculaire des barons de la contrebande.
Elle n’a pas été, surtout, du goût des chefs d’entreprise. La centrale patronale y a vu une nouvelle pénalisation de l’acte d’entreprendre.
La fronde des patrons?
Pour l’UTICA, ces augmentations rapides et rapprochées dans le temps du taux d’intérêt directeur, conjuguées à la forte dégringolade, depuis début avril 2017, du dinar face aux principales monnaies d’endettement et d’investissement (euro, dollar…) auront pour effet immédiat l’accroissement du coût de l’investissement et de celui de son financement.
Réagissant à ces augmentations, Farid Abbès, entrepreneur à la tête d’un grand groupe, estime qu'”il est vrai que l’économie subit aujourd’hui une certaine pression inflationniste mais ce n’est pas une raison pour pénaliser l’investissement. Il aurait peut-être fallu penser à une politique plus sélective d’encadrement du crédit”.
Selon Abbès, “l’inflation doit être combattue par l’accroissement de la croissance, par l’accroissement de la production, par l’accroissement de l’offre”.
Il ne faut pas tuer la poule qui pond de l’or
Par-delà les argumentaires des uns et les réactions des autres, il faut reconnaître qu’il y a, depuis quelques temps, une tendance à plomber les entreprises du pays et à les pénaliser par diverses manières.
Faut-il rappeler que ces augmentations du taux d’intérêt directeur interviennent après d’autres mesures traumatisantes et contraignantes pour les entreprises. Pour en rappeler quelques-unes, nous citerons la contribution exceptionnelle (7,5%) des entreprises dans la Loi de finances 2017, la hausse des salaires, la dévaluation surprise du dinar et le relèvement des taxes douanières et du taux de la TVA.
Par ailleurs, l’entreprise, comme le souligne l’UTICA, est aussi victime de l’instabilité de la législation, du commerce parallèle et de la contrebande.
Pour certains entrepreneurs crédibles dans le pays, c’est le-ras-bol. Ils aiment rappeler au gouvernement que le taux de croissance de 1 à 1,5% réalisé jusque-là par le pays est à leur actif, au regard d’un secteur public (administration, établissements publics, entreprises publiques) à l’agonie et constamment confronté à des déficits récurrents.
Moralité, pour eux, il ne faut pas tuer la poule qui pond de l’or. On l’aura dit.