Le hasard fait bien les choses ou encore rien n’arrive par hasard ! Ces deux maximes collent parfaitement à Lamia Rezgui, journaliste tunisienne installée depuis les années 90 au cœur de la capitale politique mondiale. Là où on fait et ont refait le monde : Washington.
Washington où elle a été sacrée «Meilleure journaliste internationale 2017», au «Multicultural Media Correspondents Dinner» et «Vote It Loud». La consécration du parcours d’une combattante qui s’est investie sans compter dans sa carrière de journaliste d’investigation et de correspondante de Radio Sawa dans les zones de conflit. Elle s’est construit une réputation de journaliste aussi crédible qu’intègre car elle s’est fait un devoir de «transmettre la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. Les informations sont diffusées sans aucune prise de position et dans une neutralité absolue. Les récolter auprès de différentes sources afin de faire les recoupements les plus plausibles et avoir les réponses les plus convaincantes correspondant aux faits, c’est la garantie de leur impartialité».
La décision de lui octroyer ce prix a été le fruit d’une longue “investigation“: «J’ai été suivie pendant des mois, mon parcours journalistique a été passé au peigne fin et je ne me suis jamais doutée que je serais la lauréate. On m’avait contactée et posé des questions de manière assez “innocente“, et j’ai réagi assez spontanément sans m’attendre à cette consécration. Des questions m’ont été posées à propos de l’assassinat de Ben Laden et celui de l’ambassadeur US en Libye. La nuit où Ben Laden avait été tué par un commando américain des SEAL à Abbottabad, j’avais, avant même que l’information officielle ne soit annoncée, compris qu’il avait été liquidé».
Elle avait sur son plateau deux invités, le conseiller à la sécurité nationale du gouvernement Bush, Steven Hadley, et un autre. Le président Obama avait annoncé un discours impromptu et l’on se doutait qu’un grand événement avait eu lieu. Steven Hadley lui avait posé la question: “quel est votre sentiment et par quoi expliquez-vous cette sortie inattendue du président. Pensez-vous que c’est pour annoncer la liquidation de Gueddafi?“. Elle avait répondu : non. A l’époque, pour les Etats-Unis, le plus important était de se débarrasser définitivement de Ben Laden et non de Gueddafi.
«Comment je l’ai su? Eh bien, c’est simple, j’ai essayé de contacter les ambassadeurs de l’Afghanistan et du Pakistan à Washington et ils étaient constamment occupés. J’ai essayé la même chose avec les ministres des Affaires étrangères des deux pays, mêmes réactions, je n’ai pas eu de retour. Je travaille de nuit et généralement je peux contacter ces hauts responsables dans leurs pays où il fait jour. Le fait qu’on ne pouvait pas les avoir prouvait que quelque chose d’important a eu lieu. Pareil pour ma couverture de l’assassinat de l’ambassadeur américain à Tripoli. Grâce à une source fiable, j’en ai eu les échos assez tôt mais je n’en ai parlé que lorsque tout a été officialisé. Vous voyez, nous pouvons avoir nos propres analyses et anticiper les faits mais nous ne publions rien avant de nous en assurer et aussi objectivement que possible. Pas de twitter et de FB. Nous préférons laisser à nos auditeurs la liberté de lire les infos à leur manière».
La carrière de Lamia Rezgui en tant que journaliste et correspondante de Radio Sawa n’a pas été que le fruit des hasards, elle a également beaucoup travaillé pour se faire une place dans l’univers médiatique américain très compétitif.
Une carte verte grâce à la loterie
C’est grâce à la sortie de son nom à la loterie “carte verte US“ que Lamia s’est trouvée sur place avec sa petite famille. A l’époque, elle était la jeune mère de deux petits diables devenus depuis des jeunes hommes accomplis.
Elle n’avait aucune expérience des médias, peut-être un peu dans le management et la gestion des entreprises mais sans plus. A son arrivée, elle a eu la chance de rencontrer un recruteur qui lui avait proposé de participer à un concours d’animatrices dans la chaîne de télévision locale «ANA». Elle a procédé à un screen test et a été recrutée illico presto. Et puis il y a eu beaucoup d’interventions et aucune des animatrices qui avaient réussi le test n’avait pu avoir un poste. Mohamed Badraoui, un Saoudien qui avait vendu la chaîne au Groupe saoudien MBC, a créé une société de production et a fait appel à elle. «Pour vous dire la vérité, je ne sais pas à ce jour comment ils ont pu avoir mes contacts».
Il lui a proposé de lui offrir un emploi dans des émissions destinées aux télévisions arabes, aux Emirats arabes unis et au Koweït. «Il m’a proposé tout de suite la télévision, ce que j’ai refusé poliment en lui disant préférer commencer à apprendre le métier de journaliste depuis le début. Je voulais en maîtriser les concepts et les fondamentaux, j’ai suivi aussi des cours du soir en sciences politiques et de langue».
Lamia est férue de politique et a toujours été attentive aux informations. Elle a commencé par le montage des vidéos et s’est mise ensuite à la rédaction des rapports, pour terminer par leur présentation sur plateau. Après le 11 septembre, Voice of America qui était diffusée sur une plage horaire de 4 heures max a voulu étendre ses programmes pour faire parvenir sa voix au monde arabe.
«J’ai fait un test avec cette radio, bien que pas très intéressée au début, car je produisais une émission pour Abu Dhabi. Mon patron m’avait dit que Voice of America était une occasion que je dois saisir. Je suivais mes cours du soir et m’occupais de mes enfants. J’ai été retenue après une série d’entretiens et au bout d’une année, Voice Of America a changé d’appellation en devenant Radio Sawa. Une radio au contenu très léger destiné aux jeunes avec beaucoup de musique et d’informations aussi courtes que percutantes. Quand j’étais à la télévision, j’étais tout le temps à la Maison Blanche, au Pentagone, enfin partout. A la Radio, toutes les informations nous parvenaient et je travaillais sur tous les sujets allant de la défense à la politique nationale en passant par les relations étrangères et les campagnes électorales ainsi que la couverture des guerres dont celles de l’Afghanistan et du Pakistan.
Lamia Rezgui se spécialisait de plus en plus dans les zones de conflit mais pas uniquement. Pour elle, un journaliste doit être multidisciplinaire. Elle a couvert la guerre en Irak et a axé ses reportages et ses correspondances sur la région arabe et l’Asie centrale. Le dénommé “Printemps arabe“ qui avait démarré en Tunisie a été l’occasion pour elle pour prouver définitivement ses talents de journaliste de guerre. «Ce qui rend les choses plus faciles chez nous ici à Washington, c’est que lorsque nous nous adressons aux responsables dans d’autres pays, ils réagissent rapidement».
Après avoir couvert la Tunisie, elle est partie en Libye et elle y a passé beaucoup de temps. Un terrain qu’elle maîtrise à la perfection grâce à un large réseau de connaissances d’alliés à l’ancien régime et d’opposants. Elle avait auparavant interviewé Seif al Islam El Ghaddafi et nombre d’opposants libyens.
L’expérience libyenne en 2011 a été éprouvante pour la correspondante de Radio Sawa. Elle y a frôlé la mort et a vécu des situations insoutenables de souffrance humaine. Elle a assisté de près aux batailles entre différentes factions et milices libyennes dans sa route entre Tripoli et Djerba.
La couverture de la guerre en Libye a, en 2012, valu à la correspondante tuniso-américaine le «Prix du Courage». Celui de la Broadcasting Board of Governors qui regroupe nombre de stations radios de l’Asie, d’Europe de l’Est, de la région MENA et de l’Afrique.
Elle a été également primée pour un article d’investigation sur le mariage précoce au Soudan qui a été fait à partir de son bureau à Washington et où elle raconte l’histoire de deux jeunes filles qui ont subi le joug de traditions cruelles dans une société rétrograde. Lamia a décrit les souffrances des jeunes femmes sans fards et sans démesure, ce qui toucha un grand nombre d’auditeurs. Elle a toujours fait un point d’honneur d’être dans la proximité sans tomber dans la dramatisation.
Dans sa couverture des grands événements aux Etats-Unis dont les élections présidentielles ou législatives, elle évite le buzz et colle de très près aux véritables préoccupations des citoyens. «Quand je pose mes questions à un candidat, celles-ci concernent généralement le quotidien de l’Américain lambda dont le véritable souci est de savoir comment il va faire vivre ses enfants, comment assurer leur éducation et améliorer leur qualité de vie. J’évite les détails pour voir global, qu’il s’agisse d’élections, de guerres ou de faits socioéconomiques aux Etats-Unis ou ailleurs».
Lamia Rezgui a été sacrée pour son engagement en tant que journaliste et sa capacité à transmettre les faits sans s’y impliquer. Le hasard l’a aidée mais ses capacités intrinsèques y ont été pour beaucoup. Aux Etats-Unis d’Amérique, les compétences sont reconnues et non ignorées ou écartées.
In fine, la meilleure citation qui corresponde à Lamia Rezgui est celle de Pierre-Claude-Victor Boiste: «Le hasard est l’enchaînement des effets dont nous n’apercevons pas les causes».
Amel Belhadj Ali