La Tunisie a cru assez tôt en le pouvoir de l’informatique et des Technologies de l’Information ou d’une manière plus générale des TIC, Technologies de l’Information et de la Communication, et en l’importance de l’utilisation de ces technologies au sein de l’administration, faisant de la Tunisie un exemple que beaucoup de pays ont voulu suivre à l’échelle internationale, offrant ainsi des opportunités aussi bien aux entreprises privées que publiques. Malgré cela, la Tunisie est restée au stade de pionnier et, malgré quelques évolutions réalisées par la suite, le retard enregistré est devenu un facteur limitatif de l’efficacité de l’administration et très pénalisant pour le pays eu égard aux opportunités offertes par ces technologies et le degré de leurs utilisations au niveau mondial, même de la part de pays considérés comme moins avancés que la Tunisie.
Cependant, ces applications, malgré leur niveau technologique au moment de leur développement et les nombreux services rendus, présentent de nombreuses limites :
Elles ont été développées avec une approche traitement et automatisation d’un processus ou d’une obligation légale, ce qui était le top au moment de leur développement, et n’ont pas été conçues pour pouvoir fournir de l’information qui permettrait ou faciliterait une prise de décision ou pour pouvoir établir des tableaux de bord évolutifs et comportant des informations consolidées issues de différentes applications métier.
Ces applications, bien qu’elles aient évolué dans le temps, ne répondent plus vraiment aux besoins, leur évolution est lente et devient handicapante, ajouté au fait que plusieurs des personnes qui ont eu à gérer ces projets et à y travailler sont déjà arrivées à l’âge de la retraite ou y sont presque.
Les tentatives d’ouverture de ces applications sur le web, à l’instar de la télédéclaration, ont pu être réalisées. Cependant, ces ouvertures restent limitées et difficiles à réaliser.
Ces applications sont cloisonnées, elles ne communiquent pas entre elles alors qu’un enrichissement important pourrait être introduit par le biais de l’échange de données ou du croisement des informations entre ces applications métier. Ces cloisonnements sont tels que certaines consolidations mensuelles exigées par la comptabilité publique se font manuellement alors qu’une intégration régulière de ces données offrirait la possibilité d’obtenir des données en temps réel.
Il est désolant de voir qu’un ensemble de projets qui avaient été initiés au sein de différents ministères et dont le but est le renforcement de la transparence et/ou la consolidation et le croisement de données ont été tout simplement abandonnés sous différents prétextes alors qu’ils ont fait l’objet de textes de lois et que la Constitution tunisienne, dans sa version 2014, a accordé une importance capitale à la bonne gouvernance et à la transparence.
Tout comme l’utilisation de l’informatique a évolué au sein de l’entreprise, passant de l’obligation légale de tenue de comptabilité, par exemple, à la fourniture d’états de gestion et de tableaux de bord, il est nécessaire à ce que l’usage de l’informatique au sein de l’administration évolue. Ceci nécessitera certes un changement d’approche, voire des outils et solutions exploitées, mais le retour sur investissement est plus qu’évident.
A ce titre, TTN est un cas de réussite dans le domaine de la dématérialisation des procédures et d’e-gov qui mériterait d’être pris comme exemple pour l’instauration des services gouvernementaux en ligne et le développement de l’interaction avec le citoyen et l’entreprise.
Le cas de TTN est doublement intéressant car il a permis d’aborder les formalités de commerce extérieur sous forme de processus et non de procédures, de pouvoir interconnecter les différentes parties prenantes, publiques et privées, et de pouvoir ouvrir SINDA, SI de la douane, aux utilisateurs et de le rendre facilement accessible tout en maintenant un niveau de sécurité certain tout en libérant les utilisateurs des choix technologiques de SINDA et en se permettant plus de latitudes pour introduire de nouveaux services. Il est évident qu’aujourd’hui les SI de certains partenaires de TTN, dont SINDA, doivent évoluer, mais cela sera transparent à l’utilisateur final.
TTN a aussi permis la généralisation de la signature électronique sur toutes les déclarations en douane, en octobre 2016, préalable à la suppression de la copie papier de la déclaration qui n’est autre qu’une impression de la version électronique faite via TTN, soit un double emploi, tout en étant en conformité avec le Code des Douanes exigeant la signature de la déclaration par le propriétaire de la marchandise ou son représentant. Elle a aussi permis d’endiguer des cas de fraudes.
Dans le même sens, il est nécessaire de faire évoluer les applications existantes au sein de l’administration tunisienne, en attendant leur refonte, en commençant par augmenter de façon drastique les services en ligne et les interactions avec le citoyen et les entreprises, à commencer par les déclarations fiscales, mensuelles ou annuelles, qui sont actuellement faites principalement en format papier.
Il existe certes une partie télédéclaration, mais elle ne concerne que le formulaire, et les parties plus volumineuses et utiles, déclaration de l’employeur par exemple, sont fournies sur CD exigeant des déplacements, des vérifications,… tout en ne perdant pas de vue que ce document électronique remis sur CD n’a pas de valeur probante car non signé par l’émetteur et doit donc être accompagné d’une version papier dont il sera difficile de vérifier la conformité avec la version électronique.
Le développement de ces échanges de données électroniques peut aussi donner lieu à plus d’états détaillés fournis lors des déclarations, des informations qui seront directement introduites dans le SI de l’Etat et pouvant être directement traitées, rapprochées, comparées,… avec d’autres informations issues d’autres sources (dans le respect total de la protection des données personnelles), ou tout simplement d’autres déclarations faites par d’autres personnes, physiques ou morales. Il y a là un gisement important d’informations utiles et pouvant permettre d’améliorer la situation de trésorerie de l’Etat et de limiter et d’isoler certains cas de fraude ou tout simplement d’abus. Ceci ne sera pas non plus très pénalisant pour les entreprises vu que presque toutes sont informatisées et peuvent générer ces données directement de leurs SI propres.
Ainsi, la modernisation du SI de l’Etat doit permettre :
1- de fournir au gouvernement, à l’administration et aux différentes parties prenantes une meilleure visibilité de la situation économique, sociale et financière de la Tunisie à travers l’établissement d’un ensemble de tableaux de bords et d’indicateurs et disposer d’aides à la décision,
2- de faire évoluer la manière de travailler des différents services administratifs de manière à être proactif plutôt que réactifs, en anticipant sur la collecte d’informations et de manière à travailler plus intelligemment à travers un meilleur ciblage, et
3- de s’ouvrir vers une dématérialisation et une facilitation des procédures afin de réduire les délais administratifs et améliorer la compétitivité de la Tunisie à travers une administration plus efficace.
Cette modernisation, pour le cas Système d’Information de Gestion Financière, dont la portée est aussi horizontale et touche toutes les structures administratives, nécessiterait un investissement de l’ordre de 300 à 400 MDT entre investissement matériel et logiciel, soit l’équivalent de moins de 50 km d’autoroute avec un retour sur investissement beaucoup plus rapide car il permettra un meilleur recouvrement des impôts et taxes ainsi qu’une meilleure gestion de trésorerie et l’optimisation de l’endettement de l’Etat avec la possibilité de disposer de tableaux de bord et d’outils de gestion. En raison de l’importance du retour sur investissement, investir dans un tel outil permettra d’améliorer la capacité d’investissement dans les infrastructures physiques en plus de la trésorerie qui pourrait être générée rien que par une meilleure gestion de ladite trésorerie.
A ce titre, l’exemple coréen est édifiant. Ce projet qui ne devrait pas durer plus de deux à trois ans (18 mois dans le cas de la République de Corée) peut démarrer par un investissement moindre de l’ordre de 10 MDT pouvant rapporter jusqu’à 200 à 300 MDT de recettes additionnelles la première année, en plus de la diminution d’endettement issue d’une meilleure gestion de trésorerie.
Sachant que le ministère des Finances est pris à titre d’exemple, en tant que ministère horizontal, mais que ce qui est valable pour le ministère des Finances est tout aussi valable pour les autres ministères.
Mustapha Mezghani
expert TIC, ex-PDG de TTN et ancien chargé de la digitalisation du ministère des Finances