Trois projets agricoles pilotes de valorisation des acquis de la recherche dans le domaine de l’eau sont en cours de réalisation dans les régions du Kef, Béja, Bizerte et Médenine.
Le stress hydrique que traverse la Tunisie, les précipitations mal réparties sur les différentes régions, les effets des changements climatiques ont marqué le contexte du lancement du projet “Valorisation des acquis de la recherche dans le domaine de l’eau PAPS-Eau/Valorisation”, géré par l’Institution de la recherche et de l’enseignement supérieur agricoles (IRESA).
L’objectif consiste à instaurer un processus participatif d’appropriation des technologies, devant permettre une meilleure adaptation à la problématique de l’eau. Ce sont là les principales informations qui transparaissent dans un entretien accordé à l’agence TAP par le coordinateur national, Hichem Ben Salem.
Ben Salem précise que “ce projet s’inscrit dans le cadre du Programme d’appui aux politiques publiques de gestion des ressources en eau pour le développement rural et agricole, avec un coût global qui s’élève à 1,175 million d’euros, financé à hauteur de 85% par l’Union européenne et de 15% par l’IRESA.
Il a démarré en janvier 2015 pour une durée initiale prévue de 30 mois. Il aurait dû prendre fin en juin 2017 mais vu le retard accusé dans l’exécution de certaines activités, il a dû être reportée au juin 2018.
Les trois projets pilotes retenus
Le premier projet pilote s’intéresse à l’agriculture de conservation en pluvial chapeauté par l’Ecole supérieure de l’agriculture du Kef (ESAK), en collaboration avec l’Institut national des grandes cultures (INGC). Il cible essentiellement les régions du Kef et de Béja et vise à consolider les travaux et les résultats des recherches sur l’agriculture de conservation menés sous la responsabilité de l’ESAK et l’INGC, à appuyer leur diffusion et à explorer davantage les nouvelles options de développement permises des scénarios agronomiques, a-t-il précisé.
Le deuxième projet vise le renforcement de l’agriculture pluviale au travers les ouvrages hydro-agricoles. Il est piloté par l’Institut national de recherches en génie rural, eaux et forêts (INRGREF) et concerne essentiellement la région de Bizerte.
Ses principaux objectifs consistent à élaborer et éditer des supports techniques liés aux facteurs de l’érosion hydrique et aux aménagements CES des versants, transférer le savoir et le savoir faire scientifique et technique vers les différents intervenants (secteur de l’eau, la société civile), promouvoir la production agricole pluviale dans un contexte de stratégies culturales basées sur les aménagements hydro-agricoles et à mieux adapter les concepts d’aménagement CES et les bonnes pratiques agricoles tout en impliquant la population dans leurs mise en œuvre.
Quant au troisième projet, Ben Salem a indiqué qu’il s’intéresse à l’identification de l’itinéraire technique pour une céréaliculture biosaline durable au sud-est tunisien. Il est coordonné par l’Institut National Agronomique de Tunisie (INAT) et il est réalisé dans la région de Médenine.
Ce projet vise essentiellement à mettre en œuvre pour et avec les agriculteurs des solutions d’intensification agro-écologique de l’utilisation des ressources hydriques chargées, et ce à travers l’adoption des espèces et variétés tolérantes, la mise en place de pratiques culturales de conservation et de bonnes pratiques d’irrigation par l’eau chargée.
Toutes ces pratiques devraient, selon le responsable, permettre l’amélioration du taux d’occupation du sol, la réduction du déficit fourrager de la zone, l’augmentation des effectifs du cheptel de petits ruminants, le renforcement de la sécurité alimentaire et économique des agriculteurs, l’amélioration de la fertilité des sols et du niveau de vie des petits exploitants.
Pour une coopération durable et efficace chercheurs-développeurs-agriculteurs
Le directeur de l’IRESA a, par ailleurs, souligné que le projet “Valorisation des acquis de la recherche dans le domaine de l’eau PAPS-Eau/Valorisation”, vise globalement à contribuer à la construction d’une coopération durable et efficace entre chercheurs, développeurs et agriculteurs pour une meilleure orientation et valorisation des acquis de la recherche et des bonnes pratiques agricoles dans le domaine de l’eau et à expérimenter de nouveaux mécanismes de collaboration entre les acteurs de la recherche agronomique (Chercheurs – Développeurs et Agriculteurs), afin de développer des chaines de valeur répondant aux besoins des agriculteurs en matière de gestion de l’eau.
Une approche triangulaire
Les partenaires du projet ont opté pour une approche triangulaire qui implique dès le début tous les acteurs concernés (scientifiques, organismes de développements, organismes de vulgarisation, agriculteurs).
Des fermes pilotes ont été retenues pour chaque composante du projet, pour permettre aux agriculteurs concernés de prendre conscience de l’impact des technologies utilisées sur les rendements, les sols, les revenus, etc.
L’idée est d’identifier les mécanismes et les procédures à même de faire réussir cette relation et cette interaction entre les différents acteurs et de tester, par la pratique, le modèle de transfert des technologies à travers une approche triangulaire.
Hichem Ben Salem pense également qu’un suivi doit être envisagé pour maintenir en marche cette démarche participative et profiter à d’autres régions et agriculteurs.
Les dernières décisions du ministère de l’agriculture des ressources hydrauliques et de la pêche visant une meilleure économie d’eau, devraient être selon lui, une motivation pour poursuivre l’investissement dans ce domaine.
Les différents types de recherche à envisager
Concernant le type de recherche à retenir, le coordinateur national du projet souligne que les établissements de recherche devraient jouer un rôle central dans cette approche, en faisant le bon dosage entre les différents types de recherches qui doivent être menées à cette fin (recherche descriptive visant à améliorer les connaissances scientifiques, recherche d’urgence intervenant dans le cas d’un problème conjoncturel, recherche prospective qui aide à anticiper les stratégies à mettre en place ou recherche participative qui implique tous les intervenants en relation avec l’objet de recherche).
Le projet repose sur ce dernier type de recherche, qui implique dès le départ toutes les parties prenantes du projet du scientifique à l’agriculteur, pour une meilleure appropriation de la technologie, dans l’objectif final de trouver des réponses à la problématique de l’eau qui se pose de plus en plus en Tunisie.
Sécurité alimentaire
La question de l’eau soulève une problématique plus globale qui concerne la sécurité alimentaire qui n’est autre que la résultante de plusieurs autres facteurs à savoir, la sécurité du sol, a-t-il estimé. En Tunisie, nous sommes à 0,5 tonne de matières organiques par hectare alors que les normes se situent aux alentours de deux tonnes. Cela va évidemment affecter les rendements des cultures et par conséquent la sécurité alimentaire. Il s’agit, en plus de la sécurité de l’eau, la sécurité des ressources énergétiques, la sécurité de l’écosystème, a-t-il relevé.
Le chercheur a évoqué, aussi, la sécurité nutritionnelle en relation avec l’équilibre des nutriments dans nos plats, la sécurité sanitaire, la sécurité sociétale. “C’est toute une chaîne ou chaque maillon est indispensable”.
Ben Salem estime également que cette chaîne dépend aussi des changements climatiques. La région de l’Afrique du Nord figure parmi les régions qui seront les plus touchées par ces changements à travers la diminution de la pluviométrie qui pourrait atteindre 30% à 50% à la fin du siècle et le réchauffement climatique.
Face à cette situation, l’universitaire exhorte encore une fois les scientifiques à se pencher sur l’identification des meilleurs scénarios d’adaptation. Il existe selon lui, différents types d’adaptation. Lesquels suivront une logique progressive. Une adaptation ponctuelle qui consiste à répondre aux changements conjoncturels qui bouleverseront les données climatiques, une adaptation systémique qui devrait instaurer une logique de changement des systèmes de production et une adaptation transformationnelle qui devrait intervenir au final au moment où des systèmes pourraient disparaîtront. Les scientifiques seront ainsi appelés à concevoir d’autres systèmes pouvant s’adapter aux changements aiguës des données climatiques et aux diminutions accrues de la pluviométrie.