Au bout d’un long processus arbitral, qui a duré plus de douze ans, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu, le 17 juillet 2017, son verdict sur le fond du litige opposant depuis plus de trente-cinq ans l’Etat tunisien à la société ABCI Investments Limited au sujet de la Banque Franco-Tunisienne (BFT).

Cette instance relevant du groupe de la Banque mondiale a condamné l’Etat tunisien dans cette affaire; ce qui ouvre la voie à la deuxième phase du processus arbitral, celle de la détermination du montant des dédommagements que la Tunisie va devoir verser à la partie adverse.

Parce que cette condamnation ne faisait guère de doute, c’est moins le contenu de la sentence que la réaction qu’elle allait susciter de la part de l’Etat tunisien qui était attendue avec beaucoup de curiosité. Car, d’une importance capitale pour la deuxième phase de l’arbitrage et pour l’avenir de la Tunisie.

Pour la suite des événements, deux scénarios étaient envisageables. Dans le premier, l’Etat condamné décide de revenir à la table des négociations et propose l’application du procès-verbal de règlement amiable qu’il avait conclu le 31 juillet 2012 avec la partie adverse et dénoncé quelques mois plus tard. Mais pour que celle-ci accepte de s’asseoir de nouveau à la table des négociations et surtout, maintenant qu’elle a gagné son procès, de discuter d’un règlement amiable, il faudrait que l’Etat restitue la BFT à son propriétaire légal et légitime, la société ABCI Investments Limited, détentrice de 50% des actions du capital et de 53,26% des droits de vote, et, notamment, garantisse à cette dernière qu’il n’y aura de récidive à l’avenir.

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Dans le deuxième scénario, au contraire, l’Etat refuse de restituer la BFT à son propriétaire et persiste dans la politique qui a été jusqu’ici la sienne et qui est faite de manœuvres dilatoires et de faux fuyants. C’est ce deuxième scénario qui semble se profiler à l’horizon, à la lumière des premières déclarations de responsables tunisiens, après l’annonce de la décision du verdict du CIRDI.

Les deux premiers à prendre la parole sur ce sujet ont été le chef du gouvernement, le 20 juillet 2017, et le secrétaire d’Etat aux Domaines de l’Etat et aux Affaires foncières. En réponse à une intervention du député Marouane Felfel (Al Horra-Machroo Tounes), Youssef Chahed a, en particulier, annoncé que l’Etat va contester la décision du CIRDI, et laissé entendre –en rappelant qu’il y a «une affaire en cours au pôle judiciaire financier»- que la partie tunisienne va continuer à utiliser l’arme du pénal. Des propos qui donnent à penser que le chef du gouvernement a été, volontairement, induit en erreur. Car, d’abord, le règlement du CIRDI ne prévoit aucune procédure d’appel ou de contestation de ses décisions. Ensuite, cette instance ne prend pas en considération –et elle l’a rappelé à de multiples reprises à la partie tunisienne- toute procédure judiciaire interne qu’un Etat déclenche dans l’espoir d’influencer le cours d’un litige auquel il est partie.

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Trois jours plus tard après l’intervention du chef du gouvernement, Mabrouk Korchid a, dans une interview au quotidien «La Presse de Tunisie», accusé Slim Ben Hmidane, ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, dans le gouvernement de la Troïka, de «trahison» et affirmé que «lorsque je suis venu aux affaires, le système était déjà verrouillé» puisque «le dernier délai pour les plaidoiries et les recours était fixé à mars 2016» et qu’en conséquence «le gouvernement d’union nationale n’est coupable de rien dans ce dossier».

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Là aussi, les propos de Mabrouk Korchid sont imprécis ou erronés. D’abord, sur la responsabilité de Slim Ben Hmidane. Qualifier de “trahison“ la signature du procès-verbal du 31 juillet 2012 suggère que sans cela ABCI Investments Limited n’aurait pas eu gain de cause. C’est faut car le CIRDI, comme il l’a dit à de multiples reprises, n’as pas pris en considération ce procès-verbal au moment de prendre sa décision et s’est fondé sur d’autres documents et faits pour le faire.

De plus, il n’est pas juste de faire porter la responsabilité de la signature de ce document au seul ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, car il n’a pris cette initiative qu’après avoir, comme nous l’avons démontré à webmanagercenter.com, documents à l’appui, informé ses supérieurs, en l’occurrence les deux chefs de gouvernement successifs de la Troïka (Hamadi Jebali et Ali Laarayedh).

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Sur la clôture des plaidoiries, ensuite. C’est vrai que le CIRDI a informé à un moment donné les deux parties de la fin des échanges. Mais cela ne veut pas dire, comme le laissent entendre le chef du gouvernement et le secrétaire d’Etat aux Domaines de l’Etat et aux affaires foncières, que, de ce fait, le gouvernement d’union nationale ne pouvait plus, lorsqu’il a pris les commandes du pays, infléchir le cours de l’affaire de la BFT. Au contraire, les usages et l’historique du CIRDI prouvent que les parties à un litige peuvent une heure, ou même une minute, avant que cette instance ne rende sa décision, l’informer qu’elles sont arrivées à un accord pour régler le problème à l’amiable. Donc, s’il l’avait voulu réellement, le gouvernement d’union nationale aurait pu changer le cours des choses dans l’affaire de la BFT.

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