L’émancipation de la femme était le combat de leurs grand-mères. A qui pense la troisième génération de Tunisiennes émancipées? La parité semble être leur souci majeur. L’objectif ne manque pas de genre. La deuxième République sera-t-elle au rendez-vous de ce challenge de taille?
La Tunisie affiche, une fois encore, un trait d’exception en célébrant deux fois par an la fête de la femme. Le 8 mars, nous rallions la Journée mondiale. Et, le 13 août, nous le fêtons entre nous. Et la communauté nationale l’assume par une journée chômée et payée. La position de la femme dans la société est une dynamique qui ne connaît pas de répit.
Une cause nationale
En Tunisie, la cause de la femme est considérée comme la mère des batailles sociétales. Et soixante-et-un ans après la publication du Code du statut personnel, on continue à essuyer des retours de flamme. Les courants rétrogrades savent que c’est un point de rupture par lequel on peut envoyer au tapis le modèle social tunisien. Mais comme l’affirmait Habib Bourguiba à Jean Daniel, “l’édifice est solide“ et il est à l’épreuve des retours de manivelle. Soyons vigilants, malgré tout.
Laisser du temps au temps
Les Tunisiennes ont voté, alors il n’y avait pas d’enjeu. Toutefois, en allant voter, elles actaient leur insertion dans la société. En votant, elles prouvent qu’elles existent. C’est ainsi qu’elles se mettaient en ligne avec cette marche forcée voulue par Tahar Haddad et Habib Bourguiba. Avec l’émancipation, elles ont l’égalité en droit avec les hommes. Ainsi, elles ont usé du planning familial. Elles tentent de se réapproprier leur corps afin de libérer leur être.
La société, sur ce terrain précis, suit doucement. Toutefois une dynamique a levé et il faudra, en la matière, laisser du temps au temps. Elles ont occupé les bancs de l’école. Désormais, en Tunisie, elles viennent en tête des classements des examens et des effectifs scolaires et universitaires. Ce faisant, elles ont balisé la voie à l’objectif de la parité. A l’assaut du monde du travail, même si elles continuent à fournir le gros du bataillon des sans qualifications, elles ont accédé aux postes de pouvoir.
Mais tout cela n’a pas gommé pour autant les inégalités et les injustices. Le “Equal Pay Day“ vient nous le rappeler. A travail égal, salaire inégal. Et même s’il s’agit, en la matière, d’une injustice universelle, le nouveau modèle économique parviendra-t-il, au moins, à l’atténuer?
Radhia Haddad, l’icône nationale de l’émancipation de la femme
Elle a incarné la lutte nationale pour l’émancipation de la femme, aux côtés de Bourguiba, en disciple active et serviable. Première présidente de l’Union nationale des femmes tunisiennes (UNFT), elle a fait de cet organisme le phare du projet social de l’Etat de l’indépendance. L’UNFT était le symbole de la démarche civilisée de la Tunisie devenue souveraine.
Rebelle à l’aliénation de la femme, Radhia Haddad a su se mettre au diapason de la pensée initiée par Tahar Haddad et au pragmatisme bourguibien. Elle était adepte du contact direct et allait visiter les Tunisiennes en direct, dans toutes les régions du pays.
Cependant, la gent masculine -pères, maris et frères jaloux- lui barrait la route. Alors, en avant-première, elle leur enseigne que l’émancipation de la femme n’est pas un projet dirigé contre les hommes mais pour le bonheur des deux, la prospérité des ménages et l’équilibre de la société. De suite, les hommes baissent les armes et deviennent fervents supporters du projet, allant eux-mêmes chercher leurs épouses, mères et sœurs pour écouter Radhia Haddad.
La femme en résistance contre l’arbitraire
Quand tout le monde a baissé les bras laissant le champ libre cours aux excès de Bourguiba, Radhia Haddad, l’indomptable, a dit non et s’est mise debout. Et il lui en a coûté. Et comme le disait Victor Hugo, dans Ultima Verba «Je serai proscrit, voulant vivre debout». Bourguiba l’a éloignée du pouvoir, car elle a osé lui dire non en public.
A la suite du congrès du PSD de Monastir en 1970, Bourguiba raya deux membres élus par le congrès dans le nouvel effectif du bureau politique. Et les a remplacés par deux de ses proches collaborateurs. Quand tous ses pairs hommes ont manqué de courage pour dénoncer ce dépassement, Radhia Haddad l’a dénoncé entre quat’zyeux, au Combattant suprême.
La femme, en résistance contre l’obscurantisme
Khaoula Rachidi appartient à la troisième génération de femmes qui a suivi l’indépendance et la bataille de l’émancipation sociale. Mais cette troisième génération porte la même flamme de résistance face au retour de l’obscurantisme. Elle est à l’origine d’un fait épique. Les Frères ont imaginé le plan Manoubistan pour instaurer un califat à l’université de La Manouba. Nous étions en 2012. Le ministre de l’Enseignement supérieur fermait les yeux sur tous les dépassements vestimentaires et le basculement idéologique rampant.
Et voilà qu’au début du mois de février de la même année, un fervent dévot grimpe sur le toit du bâtiment de l’administration, tente de retirer le drapeau national pour mettre à la place le drapeau de l’EI. Tout le monde regardait faire sauf ELLE. Avec un ressort d’énergie incomparable, elle bondit sur le toit et empêche la manip. Quand il n’en est plus resté qu’un pour résister, elle a été celle-là.
L’héroïque Khaoula, combative mais pas agressive, dissuade le dévot en des termes démocratiques “La Tunisie peut abriter tous ses enfants. Tu peux accrocher ta bannière à côté du drapeau national, mais je ne te laisserai le lui substituer“. Le gars a fini par obtempérer. Khaoula Rachidi a arrêté la plus grosse machination obscurantiste. Ella sauva l’université et sa franchise.
Egale en droits avec le Tunisien, Khaoula Rachidi a démontré que la Tunisienne ne se dérobe pas face à son devoir. Et elle fait face de la plus noble des manières.
Jan Palach avait aussi vingt ans comme elle. Nous étions en 1968, à Prague. Le jeune tchèque, pour résister à l’invasion des chars russes, s’est donné le feu. Khaoula, par son acte, prouve que l’immolation n’est pas un don de soi mais une soumission, car elle n’a pas empêché la barbarie. Cette jeune fille, libre, courageuse, héroïque, a fait face. Son bouclier était sa foi républicaine. Elle a dit non et a stoppé la marche invasive de l’obscurantisme et le retour de l’aliénation.
Auparavant, la liberté était représentée par une statue. Désormais avec Khaoula Rachidi, la liberté possède une stature.