Le représentant-résident de la Fondation Friedrich Ebert en Tunisie jette un regard lucide sur la transition tunisienne.
Webmanagercenter : La Fondation Friedrich Ebert célèbre en 2018 le 30ème anniversaire de son implantation en Tunisie. Quel bilan faites-vous de votre expérience durant les trois décennies écoulées ?
Henrik Meyer : Je pense que la solidarité avec la Tunisie vaut la peine. Dans les années 80, le travail en Tunisie était complètement différent. On travaillait à l’invitation du gouvernement tunisien, dans le cadre qui était donné. On devait accepter les règles du jeu.
On a soutenu la société civile dans le cadre de ce qui était possible. Quand on voit les structures et la confiance entre nous et nos partenaires tunisiens, dont l’ACMACO (Association Club Mohamed Ali de la Culture ouvrière) on comprend pourquoi on a tenu le coup pendant si longtemps.
Donc, ce n’est pas un hasard si la Tunisie est le deuxième bureau le plus ancien de la Fondation dans la région Moyen-Orient-Afrique du Nord.
Pour le bilan, je reste optimiste, même si je vois les difficultés qui se posent à la Tunisie. Je suis sûr que d’ici quelques années, la Tunisie va être dans une position de force et non de faiblesse, grâce notamment à tout le travail qui se fait dans la société civile et dans le secteur syndical. A long terme, la Tunisie va aller bien.
Les Tunisiens tirent-ils le maximum de la solidarité que les autres témoignent à leur pays ?
Je ne sais pas. Je trouve que c’est un peu difficile, parce qu’il y a une crise économique grave. Cette crise n’est pas récente. Elle existait déjà avant la révolution. Juste que cela n’a pas changé depuis et c’est grave surtout que les jeunes tunisiens souffrent. Ce n’est pas une idée que les jeunes se font. C’est la réalité: le chômage est là; la frustration existe.
Du coup, il est important de profiter de la démocratie. Parce que la jeunesse et les mouvements sociaux peuvent demander des changements et le gouvernement n’a pas d’autre choix que de suivre –ce qui se fait en démocratie- le vote et le choix des électeurs.
Si je devais donner un conseil aux Tunisiens, c’est de rester un peu plus optimiste. Parce que moi, qui voyage beaucoup dans la région, à chaque fois que je rentre, de n’importe quel autre pays, en Tunisie, je me dis: «c’est vraiment mieux ici». Il y a beaucoup de choses qui vont beaucoup mieux ici que dans toute la région.
Je crois également que les Tunisiens devraient se rendre compte de qu’ils ont déjà. Parce que ce n’est pas rien. C’est déjà remarquable.
Quelles sont vos priorités en Tunisie pour les années à venir ?
Pour le moment, la Tunisie est dans une phase de transition et on n’est pas encore sûr dans quelle direction cela va aller à long terme. Je suis optimiste que cela va aller dans le bon sens. Mais cela reste à observer. Je pense qu’il y a un rôle très important pour la société civile, afin de sauvegarder les acquis et de s’assurer que sa position ne va pas être affaiblie après.
Avec ACMACO, par exemple, nous menons un travail de base, de réflexion sur le modèle économique de la Tunisie. Et cela c’est un grand chantier. La Tunisie n’a pas encore décidé où elle veut aller économiquement. J’espère qu’on va contribuer à la discussion de ces changements-là.
Comment expliquez-vous que la classe politique en particulier et l’élite en général n’ait pas été capable à ce jour de proposer ne serait-ce que l’ébauche d’un nouveau modèle économique ?
D’abord, objectivement, ce n’est pas facile. La Tunisie possède un certain modèle économique qui, comparé aux autres pays de la région, n’est pas si mal, parce qu’il permet un certain équilibre social. Il y a un système de caisses sociales qui marche relativement bien et couvre pas mal de Tunisiens, même si celles-ci sont en difficulté. Mais c’est aussi un modèle qui a ses limites et qui doit être réformé.
Pour le moment, on a d’un côté ceux qui veulent garder ou sauvegarder ce qui a été atteint, et, de l’autre, ceux qui veulent réformer vers un modèle plus libéral, même néo-libéral. Les deux ne vont pas marcher. Et chercher quelque chose de nouveau est difficile dans tous les pays du monde. Alors, je ne reproche pas trop aux politiciens tunisiens de ne pas avoir trouvé de modèle, parce que c’est un travail difficile. Mais ils doivent continuer à chercher. Sinon, à long terme cela ne va pas fonctionner.
A propos de Friedrich-Ebert-Stiftung (FES)
Fondée en 1925, la FES est la plus ancienne fondation politique en Allemagne. Elle doit son existence et sa fonction à l’héritage politique de Friedrich Ebert, le premier président allemand élu démocratiquement, qui lui a donné son nom.
En tant que fondation politique proche d’un parti social-démocrate, nous appuyons notre action sur les valeurs fondamentales de la social-démocratie que sont la liberté, la justice et la solidarité. Ces valeurs nous lient aux idéaux de la social-démocratie et des syndicats libres. Organisation à but non lucratif, la FES travaille de manière autonome et indépendante.
Ses objectifs
Une société libre et solidaire qui promeut l’égalité des chances en matière de participation politique, économique, sociale et culturelle, sans distinction d’origine, de sexe ou de réligion; une démocratie dynamique et solide; une économie portée par une croissance durable et offrant un travail décent pour tous; un état social qui offre de meilleurs systèmes de formation et de santé, lutte contre la pauvreté et protège contre les principaux aléas de la vie; un pays qui assume ses responsabilités pour la paix et le progrès social en Europe et dans le monde.