Quand une forêt brûle, les victimes ne sont pas seulement la flore et la faune, les flammes peuvent aussi causer des dommages irrémédiables au sol, indispensable à la régénération de la nature. Les arbres qui dégagent de l’oxygène sont détruits, cela ajoute aux maux de la planète, qui pâtit déjà des effets du réchauffement climatique.
“Il faut attendre 6 ans pour voir nos forêts qui sont mises à nu se régénérer et récupérer ce que le feu a dévoré en seulement quelques jours”, lance, attristé, Habib Abid, directeur général des forêts, dans une déclaration à l’agence TAP.
Les victimes des feux qui ont ravagé, depuis début juin jusqu’au 7 août 2017, des milliers d’hectares de forêts dans le nord et le nord-ouest du pays, sont la faune et la flore et aussi les populations rurales riveraines, pour lesquelles la forêt constitue la principale source d’emploi et de revenus.
L’addition a été salée pour la région verdoyante de Jendouba, où plus de 900 hectares de forêts ont été ravagés. Mais la situation semble maîtrisée maintenant, et la Direction générale des forêts (DGF) envisage d’entamer, bientôt, ses diagnostics et faire l’évaluation des dégâts et les démarches à entreprendre pour régénérer l’espace forestier, poumon de la Tunisie.
Dans la région de Tala à Kasserine (nord-ouest), les services de la Direction régionale des forêts, ceux de la protection civile et aussi les ouvriers des chantiers ont fait l’impossible pour minimiser les dégâts et maîtriser des incendies ravageurs qui ont dévoré près de 1.700 hectares des forêts dans les localités de “Lajrad” et “Biranou”. “Les produits forestiers (romarin, zgougou…) dans ces deux forêts constituent des sources de revenus et d’emploi pour environ 1.500 familles”, affirme Mohamed Tahar Mbarki, directeur régional des forêts à Tala.
“Les feux de forêts sont des catastrophes pour le couvert végétal et aussi pour les abeilles, ces précieuses pollinisatrices des plantes depuis près d’une décennie, et aussi pour les oiseaux, les lapins sauvages, les perdrix et les sangliers”, a ajouté le responsable.
La nature du couvert végétal et le climat ont favorisé la propagation du feu dans les forêts à Kasserine et rendu difficile l’intervention, a-t-il dit, relevant que la direction régionale des forêts a pris des précautions pour empêcher la reproduction de pareilles catastrophes.
En effet, ce désastre pour la nature et l’environnement a aussi de lourdes conséquences sur le plan financier. “Le coût d’un seul hectare incendié peut s’élever à 9.000 dinars (lutte contre l’incendie, les produits perdus et le service de protection contre l’érosion et l’aspect environnemental)”, a ajouté le premier responsable de la DGF, Habib Abid, citant des actions envisagées dans le futur au profit de l’espace forestier.
Quatre programmes de gestion post-incendies prévus
Après l’extinction des flammes, il s’agit maintenant de l’évaluation des dégâts de chaque incendie, de l’identification des superficies ravagées et les types des arbres endommagés puis la mise en pratique du programme convenable, explique Abid.
La DGF prévoit, selon lui, 4 types de programmes. Le premier concerne les forets de chêne-liège, situées à Jendouba, région la plus touchée. Il consiste à couper les arbres et ceux-ci se régénèrent naturellement à travers les rejets.
Le deuxième programme concerne le pin pignon et prévoit la coupe des arbres et le reboisement des plantations avec la même espèce.
S’agissant du Pin d’Alep (3ème programme), il s’agit aussi de couper les arbres, avant leur régénération naturelle. En contact avec la chaleur des incendies, les cônes gonflent, s’ouvrent et libèrent les graines de “zgougou” (pignons de pin d’Alep) avec des quantités énormes.
“Une observation pendant une ou deux années est nécessaire, pour voir la réaction du terrain, si les arbres repoussent seuls et si non les services sylvicoles optent, alors, pour le reboisement”, développe Abid.
La DGF, ne voyant pas cette catastrophe arriver, avait prévu une régression de 50% des incendies. Elle prévoyait seulement 1.000 hectares incendiés jusqu’à la fin du mois d’août, contre 1.700 hectares en 2016 (320 incendies). Hélas, l’imprévu est si vite arrivé!
Les incendies de forêts qui se sont déclenché et qui ont ravagé des centaines d’hectares de forêts dans les gouvernorats de Béja, Bizerte, Zaghouan, Jendouba, Le Kef, Siliana et Kasserine ont été pour la plupart prémédités, selon la présidence du Gouvernement qui a promis de traduire les responsables de ces incendies en justice et d’indemniser “les véritables victimes”. Plusieurs personnes suspectées de provoquer les incendies ont été déjà arrêtées.
L’autorité de l’Etat pas encore rétablie
Depuis 2011, l’autorité de l’Etat n’a été rétablie que partiellement et ceci ne réduit que partiellement les dangers pesant sur la forêt tunisienne, indique un rapport d’experts dans la sylviculture.
Avec 300 incendies recensés en 2012, le nombre de feux est ainsi multiplié par deux par rapport aux années habituelles.
Les statistiques les plus fiables sur les incendies de forêt ont commencé à être produites par les services du ministère de l’Agriculture en 1985.
Sur les 25 dernières années, 60% de ces incendies sont attribués à des raisons inconnues et 40% sont provoqués par des faits divers : jets de mégots de cigarettes (57%), différents prélèvements de ruraux (chauffage, production de charbon, 14%), autres raisons d’ordre naturel et criminel (3%). Ces éléments anciens tranchent avec l’ascension du fait criminel depuis 2011. En effet, l’immobilisme de l’administration et la situation révolutionnaire des derniers mois, ont laissé libre cours à diverses interprétations.
Souvent, des intrus procèdent à des coupes sauvages à l’intérieur de grands espaces forestiers ou de réserves naturelles, ou déclenchent des feux volontaires. Des bandes organisées procèdent à de multiples mises à feu simultanées dans des endroits dispersés à fin de limiter l’efficacité des pompiers et bénévoles et de minimiser leurs chances de combattre les foyers, ont constaté les experts Salem CHRIHA et Abdeljalil SGHARI dans leur étude publiée en 2013, sur Les incendies de forêt en Tunisie, séquelles irréversibles de la révolution de 2011.
Les deux experts ont recommandé, par ailleurs, la révision du code forestier. “Cette révision ne peut être évitée à court terme, tant la réglementation actuelle a démontré son incapacité à contenir les atteintes aux espaces boisés”, estiment-t-ils.
Cette amélioration serait toutefois inutile sans l’accompagnement d’un programme de vulgarisation à destination de la population rurale, souvent illettrée et ignorante des dangers induis par des actes de déforestation.