Au regard de la qualité des décisions et initiatives controversées prises depuis son accès à la magistrature suprême, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, donne l’impression qu’il cultive l’art de narguer les Tunisiens et vider de leur sens tous les beaux combats menés par la société civile pour atteindre de nobles objectifs.
Pleins feux sur cette tendance du chef de l’Etat à provoquer et à faire de l’ombre à de belles réalisations.
En deux ans et demi au pouvoir, BCE a pris trois initiatives majeures dont aucune n’était du goût de l’écrasante majorité de la population et dont l’intérêt n’était pas certain pour le pays. Toutes trois, de par leur gravité, auraient dû, en principe, faire l’objet de référendums.
La première est une promesse électorale. Elle concerne l’amendement de la loi 52 sur les stupéfiants. Édictée en 1992, cette loi, qui prévoyait une peine minimale d’un an d’emprisonnement pour consommation de stupéfiants, était dénoncée, depuis des années et bien avant le soulèvement du 14 janvier 2011, par la société civile.
Une loi qui ne sanctionne pas assez les trafiquants de drogue
Au mois d’avril 2017, le Parlement a voté à une forte majorité pour son assouplissement, en dépit de l’opposition d’une bonne partie de l’opinion publique.
Les magistrats tunisiens pourront désormais apprécier au cas par cas les circonstances atténuantes pour chaque personne accusée de consommation de stupéfiants.
Officiellement, l’idée n’est pas de dépénaliser la consommation de stupéfiants, mais de préserver un maximum de jeunes de la case prison. Des milliers de jeunes ont été jetés en prison «pour un joint». Néanmoins, l’effet de cet amendement reste limité et est loin d’être la solution pour endiguer tous les problèmes liés à la drogue. Il pèche par le fait qu’il ne sanctionne pas sévèrement les gros trafiquants de drogue.
Une loi qui blanchit la corruption
La seconde initiative consiste en la proposition d’une loi sur la réconciliation économique et financière. Ce projet se proposait en fait d’amnistier les hommes d’affaires et de hauts fonctionnaires corrompus, au temps de Ben Ali. Cette loi, qui n’a pas encore vu le jour en raison de la forte opposition de la société civile et des multiples amendements qui lui ont été apportés, était en contradiction avec la lutte menée actuellement par le gouvernement contre la corruption qui gangrène tous les secteurs du pays.
Lire: Tunisie – Réconciliation économique nationale : La précision de la présidence de la République
Avec ce projet de loi, le président de la République s’est mis pratiquement dans une position d’hors-jeu. En dépit de son rejet à maintes reprises au niveau des commissions parlementaires, BCE s’entête à le faire passer…
Un timing inapproprié pour un débat délicat
La troisième initiative a consisté en l’annonce, à l’occasion du 61ème anniversaire du Code du statut personnel (13 août 2017), de l’ouverture d’un débat sur l’égalité dans l’héritage entre la femme et l’homme et de la mise en place d’une commission présidentielle chargée de réfléchir sur un projet de loi.
Cette initiative a surpris plus d’un, particulièrement ses alliés conservateurs d’obédience islamique, les nahdhaouis et leur gourou Rached Ghannouchi et descendants, d’autant plus qu’elle intervient après l’adoption, une quinzaine de jours auparavant, d’un texte pionnier et historique interdisant toutes sortes de violences faites aux femmes.
Pour mémoire, ce texte a été initié par la société civile et parrainé par le gouvernement de Youssef Chahed. C’est un texte révolutionnaire qui vient compléter les nombreuses réformes progressistes et avant-gardistes initiées par Bourguiba et Ben Ali en faveur de la condition féminine.
Lire : L’adoption du projet de loi sur les violences faites aux femmes réglera-t-elle le fond du problème?
Le président de la République aurait dû se contenter de l’exploit historique du paraphe de la loi adoptée, mais c’était sans compter sur sa mégalomanie et sa folie des grandeurs.
Il a, semble-t-il, voulu marquer de son empreinte les réformes initiées en faveur de l’émancipation de la femme tunisienne et “frapper le fer tant qu’il est chaud”, tout comme l’avait fait Bourguiba en 1956 avec la promulgation du Code du statut personnel.
Seulement, les choses ont évolué et les conservateurs d’antan ne sont les conservateurs d’aujourd’hui. Ces derniers sont mieux organisés, plus disciplinés et plus armés. Même s’ils vivent des défaites avec le recul partout de l’islam politique, il était maladroit de les provoquer d’autant plus que l’égalité dans l’héritage est pratiquée de fait en Tunisie. L’ouverture d’un débat sur cette problématique de l’héritage, à la veille de l’élaboration d’une des plus difficiles lois de finances du pays et d’une rentrée politique ouverte à tous les scénarios, relevait tout simplement de la provocation et de la maladresse. Ce n’était pas une priorité.
Le bon sens aurait été d’attendre un peu, surtout après l’adoption, le 26 juillet 2017, d’une loi révolutionnaire mettant fin à toutes sortes de violences faites aux femmes.
Moralité, la joie que devaient ressentir l’équipe gouvernementale et la société civile d’avoir réussi, main dans la main, à faire passer la loi sur l’interdiction des violences faites aux femmes ne sera que de courte durée.
Les deux partenaires n’auront même pas l’occasion de valoriser cet exploit et de le promouvoir auprès de la société tunisienne.
La présidence, apparemment jalouse de cet exploit et encouragée par ses porteurs d’encensoir (conseillers…), a cherché à en détourner l’attention en faisant diversion et en ouvrant un débat qui n’urge pas et à un moment où le pays vit une crise économique des plus aiguës.