Qui serait assez fou pour accepter d’être ministre dans un pays où toutes les institutions publiques sont devenues des passoires tant les informations sont transmises au grand public ou à des blogueurs mercenaires à la vitesse de la lumière, nonobstant l’obligation de réserve et la confidentialité des données administratives et personnelles !
Du temps de Ben Ali, on se plaignait d’un président “castrateur“ qui ne laissait personne s’exprimer et qui avait peur que les compétences qu’il a désignées pour servir l’Etat lui fassent de l’ombre et montrent les limites de son savoir et son incapacité à s’exprimer aisément en public.
Tout le monde se taisait donc de peur des représailles. Si les journalistes «quémandaient» des entretiens avec des ministres, l’accord du Palais et des conseillers de Ben Ali était presque nécessaire, ce qui rendait la tâche des médias assez difficile pour transmettre l’information de la source même.
Aujourd’hui, pas besoin de faire des efforts, les informations vous tombent dessus de toutes parts y compris des ministères de souveraineté, ce qui menace la sécurité nationale, et les agents publics s’autorisent toutes sortes de libertés afin de déloger un haut responsable qui les indispose ou de se venger d’un ancien supérieur hiérarchique qui veillait à la discipline. D’autres servent des lobbys politiques ou économiques et ne se privent pas de descendre un rival qui dérange en puisant dans les données confidentielles de leurs administrations.
Quant aux pseudos médias ou aux médias tout court, beaucoup parmi eux sont devenus des “charognards“ ne se souciant pas d’éthique mais plutôt de buzz et de sensationnalisme aveugle, sacrifiant les institutions de l’Etat et l’image du pays à leurs égos démesurés, leur narcissisme et une arrogance étouffante.
Les médias et les blogs mercenaires sont devenus les tribunaux populaires. On y trouve des juges et des procureurs pour conduire les réquisitoires mais jamais des avocats, car toute personne qui s’aventure à remettre en cause certaines prises de positions se les met automatiquement sur le dos! Il faut du cran et beaucoup de courage pour les affronter.
Fadhel Abdelkefi : un exemple éloquent de la médiocrité du climat sociopolitique et économique en Tunisie
Nous aurions compris que l’on s’attaque à Fadhel Abdelkefi, désormais ancien ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale et ministre des Finances par intérim parce qu’il n’a pas assuré dans l’exercice de ses différentes missions ou n’a pas bien su mener ses dossiers. Mais que l’on pioche dans des affaires dont l’une a eu pour épilogue un non-lieu et la deuxième jugée par contumace, c’est plus que révoltant.
Révoltant, non pas parce que Fadhel Abdelkefi doit être épargné alors que Youssef Chahed mène une campagne anticorruption, mais révoltant parce qu’il est inadmissible qu’un fonctionnaire quel qu’il soit travaillant dans une administration publique prenne la liberté de diffuser des documents confidentiels qui concerne une tierce personne d’autant plus qu’il y a un procès en cours et qu’on n’a pas encore statué définitivement. Mais dans la Tunisie démocratique, nous sommes coupables, jusqu’à preuve de notre innocence!
Que l’on ait jeté Fadhel Abdelkefi en pâture aux réseaux sociaux voyeuristes, aux personnes haineuses soucieuses de se venger du monde entier se détestant trop pour aimer les autres, aux adversaires politiques ou aux médias qui estiment que plus un fait divers est «croustillant» et massacre une personnalité publique, plus ils seront vus, lus ou entendus, c’est cela qui est honteux.
Car si nous examinons de près ce qu’on peut maintenant appeler “affaire Fadhel Abdelkefi“ que certains journaux se sont empressés de mettre à la une, que trouvons-nous?
La première datant de 2005 et intentée par un dénommé E.B.M, lequel, en passant, a profité de l’émoi suscité par la deuxième affaire pour se venger de manière odieuse en déterrant un procès qu’il a perdu 12 ans auparavant. Le monsieur en question voulait avoir un financement appuyé par Tunisie Valeurs. Une convention a été élaborée qu’il a été le seul à signer parce qu’il n’a pas eu l’aval de TV. Ce qui ne l’a pas empêché de déposer une plainte sur la base de l’article 160 du code pénal qui stipule qu’est puni de cinq ans d’emprisonnement et de deux cent-quarante dinars d’amende, quiconque aura brûlé ou détruit, d’une manière quelconque, des registres, minutes ou actes originaux de l’autorité publique, des titres, billets, effets de commerce contenant ou opérant obligation, disposition ou décharge. Un procès que le plaignant a perdu au tribunal de première instance qui a prononcé un non-lieu, jugement confirmé par la cour d’appel et la cour de Cassation. (Voir jugement en Pdf ) :
Que le monsieur féru par les procès, il n’en est pas à son premier, essaye de le médiatiser, cela peut être compréhensible, mais les journalistes auraient dû s’assurer du jugement rendu avant de ternir l’image de l’un de leurs concitoyens.
La deuxième affaire concernant Fadhel Abdelkefi et qui date de 2014, régularisée depuis, selon des sources à la BCT, bien que la justice ne l’ait pas clôturée pour nombre de considérations, est en rapport avec une filiale de Tunisie Valeurs que l’on a voulu développer au Maroc. Elle concerne la valorisation des actifs de la filiale qui s’est faite à travers l’installation de logiciels informatiques développés en Tunisie et du site WEB au lieu d’injecter de l’argent. Cette valorisation fait suite à une exigence du droit marocain pour une augmentation du capital de la filiale. Et comme la réglementation tunisienne est d’une lourdeur intolérable, on a dû procéder à ce montage malheureusement non conforme à la réglementation de change.
Depuis, la BCT avisée a pris ses dispositions et informé le ministère des Finances qui, à son tour, a transmis le dossier aux services des douanes.
Ce qui est dramatique dans cette situation est l’impuissance des autorités publiques en Tunisie à protéger leurs investisseurs parce que leurs procédures datent d’un autre temps. Ce qui est encore plus frappant, dans cette cabale lancée contre Abdelkefi, est que depuis 2014 TV a liquidé l’intégralité de sa participation au capital de sa filiale marocaine. Dans la foulée elle a procédé au rapatriement et à la cession de la totalité du produit de cette vente et ce exclusivement sur le marché de change tunisien, cette nouvelle donne dans le dossier de l’affaire a été portée en lieu et place à la connaissance des services de la douane et à sa hiérarchie le ministère des Finances.
TV aurait pu procéder autrement et personne n’en aurait rien su ! La transparence est devenue punissable, et d’une affaire qui aurait dû être réglée dans les locaux de la douane, on a mis en branle toute la machine judiciaire. Certains contrebandiers ont plus de chance !
Et pour précision, contrairement à ce qu’on est en train de véhiculer, Fadhel Abdelkefi n’a aucune affaire relative à l’exportation illégale de devises et ce de source officielle à la BCT. Son père Ahmed Abdelkefi, désigné le 26/09/2012 au Conseil d’Administration de la BCT, a quitté son poste au mois de juin 2016. Donc pas de conflit d’intérêt, du moins concernant M. Ahmed.
Ce qui est comi-tragique dans notre pays est que tous les ministres technocrates, se trouvant sur la scène tunisienne aujourd’hui, peuvent faire l’objet de campagnes de dénigrement inattendues et féroces. Ils sont automatiquement mis sur l’échafaud de la presse et des réseaux sociaux. Qui tire les ficelles? Nous gagnerons tous à le savoir, tout comme il serait important que le chef du gouvernement ordonne une enquête pour savoir qui a osé, parmi ses commis, publier le jugement d’un procès encore en cours et concernant l’un de ses ministres.
En fait, ceux parmi les hauts commis de l’Etat qui pensent être aujourd’hui épargnés peuvent se trouver demain à la même place de Fadhel Abdelkefi pour peut-être un jugement rendu à cause d’une conduite en état d’ivresse ou pour les plus pratiquants d’entre eux des mariages «orfi» et il y en a.
Ce qui est dangereux pour la Tunisie et pour les Tunisiens est qu’aucun de nous ne peut se sentir à l’abri parce que ses données personnelles ne sont pas protégées et que n’importe quel agent administratif en disposant peut les publier sur le premier torchon lu, non pas par le peuple mais par la populace.
Ce qui est révoltant est qu’une partie de la classe éclairée se délecte de ces spectacles tels les Romains qui s’amusaient follement en admirant les tueries des gladiateurs par des animaux sauvages dans les amphithéâtres!
Des spectacles avec la grandeur, le courage et l’esprit chevaleresque en moins!