La loi sur la réconciliation a été enfin votée, mercredi 13 septembre 2017, par l’ARP. La dernière mouture du texte a été recentrée pour ne plus viser que les fonctionnaires et assimilés. Trois valeurs marquent cette loi: la raison, l’éthique et l’équité – De Samir Brahimi – Publié sur sa page facebook.
D’ABORD, LA RAISON. L’état actuel de la législation (art.96 du Code pénal), le nombre d’affaires pendantes devant la justice et les dernières condamnations à des peines afflictives et infamantes sévères ont épuisé la Fonction publique et l’ont condamnée à la démission et la léthargie. Or, la Fonction publique, pour ceux qui l’ignorent, est déjà le pouvoir. Les lois, les règlements, les décisions, elle ne les écrit pas, détrompez-vous, elle les fait. Nuance. Ceci, en amont. En aval, que le pays se dote du meilleur sous-jacent légal, ne sert qu’à très peu de chose, si la Fonction publique en mal-être, cogite, appréhende, remet au lendemain, puis se résout enfin à ne pas agir. Lorsqu’elle n’est pas en confiance, le coût pour l’économie ne peut qu’être excessivement cher. (Cf. à ce sujet, le document du CIPED “Le coût de la non-réconciliation économique“, paru dans son livre «Eléments de Stratégie de Sortie de Crise»).
L’initiative du président de la République est louable, salutaire même, car elle semble avouer que le pays politique a eu tort, mais en même temps, prouver humblement qu’il est devenu plus raisonnable.
ENSUITE, L’ETHIQUE. Le renouvellement des cadres dans le milieu politique et dans l’Administration publique devrait s’opérer sur la base des mérites propres à chaque nouveau candidat en liaison avec sa foi dans la Res publica et sa capacité à la servir au mieux qu’elle réclame, au mieux qu’elle mérite, et non par la neutralisation des compétiteurs d’hier en usant de la présomption et en abusant de la punition morale et physique, en dépit de lois pourtant claires et évidentes (Cf. mon opinion sur l’article 42 du Code pénal; in Business news, édition du 14 juin 2017).
Le prix de la victoire d’aujourd’hui, si tant est, ne devrait nullement être la liberté des hommes et leur souffrance, car les victoires ne se construisent et ne se savourent que dans la compétition, parfois aussi dans l’adversité. Or, faute d’adversaires, il n’y a point de compétition et, par suite, point de gloire.
ENFIN, L’EQUITE. Il y a maintenant sept ans que les nouvelles élites sont au pouvoir, confrontées à la réalité de la gestion publique.
La comparaison, devenue aujourd’hui possible, profite de manière éclatante à leurs prédécesseurs. La société civile comme l’ensemble des observateurs l’admettent, l’écrivent et le disent. L’arithmétique, elle, le démontre, comme d’ailleurs leur parcours plutôt plus qu’honorable. (Cf. Samir Brahimi : «Que vaut la sincérité du témoin, quand c’est l’exactitude du témoignage qui importe ?», in «Leaders», édition du 3 juillet 2017).
Ceci ne peut manquer de soulever un problème d’équité. Le pays n’a pas été équitable à leur égard, leur a manqué de reconnaissance, de gratitude et de tendresse, alors même qu’ils étaient manifestement plus méritants que leurs héritiers.
La loi, sans réparer leur douleur, sans les récompenser, peut se réclamer au moins de ce mérite de leur offrir la paix et la dignité.
Maintenant sur les griefs juridiques adressés à la loi, l’opposition excipe d’un vice de procédure tiré de l’absence dans les pièces du projet soumis à l’ARP de l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), sur la disposition relative à l’autorité judiciaire qui statuera sur les litiges relatifs à l’application de la loi, conformément à la Constitution.
La réalité est que cet avis a été factuellement sollicité par l’ARP depuis plus d’un mois et demi environ, puis relancé; mais le CSM, à la date de la plénière, n’a pas encore délibéré sur la question. De grandes interrogations se posent sur les motifs qui se cacheraient derrière le retard pris par cette instance, qualifié par certains de manœuvre dilatoire visant à bloquer le processus d’adoption de la loi.
Pour rappel, l’avis obéit généralement au régime juridique suivant: Au niveau de l’initiative, l’avis peut être soit facultatif, soit obligatoire. Au niveau de l’effet, l’avis est soit consultatif, soit conforme. Dans le premier cas, l’autorité qui consulte n’est pas tenue de le suivre, alors que dans le second, elle doit en tenir compte.
Comme l’avis dans le cas d’espèce est consultatif, les appréhensions sur le caractère intentionnel du retard pris par le CSM seraient sérieuses, car la dilution du temps dans ce cas serait le seul moyen de bloquer le processus, d’autant que l’objet de l’opinion n’est ni inédit ni complexe, à moins que l’examen de la requête ait couvert l’ensemble des articles du projet, au mépris du principe de compétence et du vieux principe (que les juges ne sont pas censés ignorer) qui leur interdit au contentieux de statuer ultra ou extra petita, c’est-à-dire au-delà de la demande.
Le fait par ailleurs qu’aucun délai n’ait été assigné au CSM, pour rendre son avis, n’autorise pas la perpétuité, car en jurisprudence comme en doctrine, le délai doit être «raisonnable». Dans la pratique comparée internationale et étrangère, ce délai est de six semaines au plus, au-delà duquel les textes «diligents» prévoient de surcroît, que son dépassement vaut avis favorable et qu’il peut même être écourté en cas d’urgence.
En Tunisie, le délai assigné à l’autorité provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois est de dix jours prorogeable d’une semaine et peut être ramené à deux jours dans les cas urgents.
Pour ce qui concerne la Cour constitutionnelle, il est de quarante-cinq jours ferme. Benchmark pertinent compte tenu de l’importance des enjeux et surtout révélateur et instructif!