«S’il est une chose dont je suis fière lorsque j’ai été députée dans les années 90, c’est la création du centre d’accueil des femmes victimes des violences conjugales», s’enthousiasme Aziza Htira, ancienne présidente de l’UNFT (Union nationale de la femme tunisienne), et aujourd’hui PDG du CEPEX (Centre de promotion des exportations.
Ledit centre d’accueil a été baptisé «Centre 13 août et se situe tout près de la Sadikia. Nous y avons travaillé en étroite collaboration avec des associations féminines, et nous avons fait en sorte que ces femmes puissent garder leurs enfants avec elles. Pour moi, ce fut une grande réalisation en tant que députée et militante en faveur de la cause féminine. J’ai découvert que finalement toutes les femmes, instruites ou non, riches ou pauvres pouvaient être victimes de toutes sortes de violence».
Une histoire qui avait marqué Aziza Htira, celle d’une femme obligée ainsi que ses enfants de supporter «l’ami» de son mari avec lequel il s’enfermait dans la chambre à coucher. Les enfants posaient tout le temps la même question: «Maman, pourquoi papa reste-t-il avec son ami dans votre chambre?».
La députée qu’elle était à l’époque s’est battue pour que les femmes qui avaient la garde puissent bénéficier du logement afin de ne pas être jetées dans la rue avec leurs progénitures. «Auparavant, elles pouvaient, sans en être averties, être expulsées de chez elles avec leurs enfants parce que leurs maris ont vendu la maison. Nous avons milité pour que ces femmes puissent disposer d’un logement décent afin de les protéger».
Les luttes pour la cause des femmes n’ont pas démarré un certain 14 janvier 2011. Elles ont de tout temps existé dans notre pays. A travers les siècles et après l’indépendance, des femmes ont défendu leurs droits et se sont investies dans le militantisme politique et économique. Aziza Htira estime avoir posé sa pierre dans l’édifice des droits des femmes lors de son passage au Parlement et en tant que présidente de l’UNFT.
“J’ai été la première à sortir un bulletin mensuel de la balance énergétique, des statistiques, le 5 de chaque mois“
Et pourtant, rien ne la prédisposait à être une militante pour la cause féminine, elle était plutôt dans l’économie: «J’ai étudié à la Faculté de Droit et des Sciences économiques. J’ai démarré ma carrière professionnelle à l’Agence de la maîtrise de l’énergie, où j’ai été chef de service Prévision et Planification de l’Energie. J’ai été la première à sortir un bulletin mensuel de la balance énergétique, des statistiques, le 5 de chaque mois».
Elle a été membre de l’Observatoire national de l’énergie qui fut ensuite rattaché au ministère, puis vice-présidente du Conseil économique et social (CES), entre 2000 et 2003 et membre de la Commission femmes et enfants. Nombre de ses propositions ont été soumises aux Nations unies.
Ses responsabilités au sein de la haute administration publique n’ont pas empêché Aziza Htira d’être active dans la société civile. Elle a été chargée de l’Alliance femme et environnement au sein de l’Union des femmes où elle a axé ses actions sur les projets de développement durable, ce qui lui a valu d’être nommée à la Commission de la sélection des projets de la société civile au sein du PNUD.
Elle a été leader à la revue “Femme et biodiversité au Maghreb“, où on avait beaucoup travaillé sur le volet femme et environnement, et c’est à ce titre que la Tunisie est devenue membre de l’Union internationale de conservation de la nature.
“Je faisais beaucoup de terrain pour l’implication des femmes dans la préservation de l’environnement et de la nature tout en leur offrant des moyens de subsistance…“
Aziza Htira a mis en place des projets de développements durable à Kasserine et à Takelssa pour créer des sources de revenus aux femmes chômeurs. Des jeunes filles ont été formées pour piloter des projets financés par la coopération canadienne et par l’Union internationale de conservation de la nature. «Je faisais beaucoup de terrain pour l’implication des femmes dans la préservation de l’environnement et de la nature tout en leur offrant des moyens de subsistance. Mon travail consistait aussi à trouver des financements. J’ai même travaillé sur des régions frontalières avec l’Algérie, pour les doter de l’énergie photovoltaïque parce que les réseaux de la STEG ne couvraient pas cette région. Nous avons également travaillé sur la préservation du bois et des forêts».
L’expérience d’Aziza Htira au sein du Conseil économique et social lui a été très bénéfique. Elle y a beaucoup appris comment établir un budget, le négocier et comment proposer et élaborer des projets de loi. Au Premier ministère où elle a été détachée, c’est elle qui avait proposé la création du centre IFADA, aujourd’hui malheureusement voué à d’autres desseins. Il fallait récolter des informations et réaliser des études et des documentations sur les associations. Tout y a été fait bénévolement. Des formateurs ont encadré les militants dans les associations pour qu’ils maîtrisent le travail sur terrain et soient efficaces. Les associations de développement, surtout celles qui ont bénéficié des crédits de la BTS, ont fait du beau travail.
Elue présidente de l’UNFT en 2004, Aziza Htira a travaillé sur la création de jardins d’enfants dans les quartiers défavorisés et à l’intérieur de la République pour permettre aux femmes de pouvoir travailler et être indépendantes financièrement. 220 jardins d’enfants y ont été créés, et dans les centres de formation professionnelle, il y avait 5.000 apprenants jeunes filles et garçons. C’était grâce à l’UNFT.
“L’UNFT n’était qu’une organisation qui soutenait les petits projets dans des régions défavorisées mais développait son champ d’action à toutes les catégories socioprofessionnelles…“
Puis il y eut le lancement des microcrédits et la signature d’une convention avec la BTS. Le Grand Tunis en a le plus profité, parce que c’est la région la plus resautée par les bureaux de l’UNFT, ce qui facilitait le suivi et le recouvrement. «Nous avons réalisé l’un des meilleurs taux de recouvrement et nous avons créé un centre économique des femmes pour la gestion des microcrédits. Nous étions un bon partenaire de la BTS, avec un taux de recouvrement de 97%. A l’époque, on octroyait des microcrédits même aux jeunes avocats. L’UNFT n’était qu’une organisation qui soutenait les petits projets dans des régions défavorisées mais développait ses activités et son champ d’action à toutes les catégories socioprofessionnelles, y compris à des jeunes avocats».
Sommée de partir de l’UNFT parce que Madame Ben Ali ne l’appréciait pas, Aziza Htira a dû subir les foudres de la régente de Carthage qui voulait même qu’on lui enlève l’immunité parlementaire. C’est son positionnement à l’international qui l’avait sauvée.
Pour elle, l’UNFT a représenté un passage clé dans son parcours de femme et de politicienne. Cette Union a milité pour l’indépendance et a joué un rôle très important après le départ des Français de notre pays. Elle avait planché sur les campagnes d’alphabétisation des femmes rurales, la création de garderies, le planning familial, etc. Bien avant la création du ministère de la Femme, il y avait l’UNFT dont la mission était d’aider les femmes à mieux se positionner sur l’échiquier socioéconomique du pays.
Autonome financièrement avec un budget qui s’élevait, dans les années 2000, à 5 millions de dinars alors que l’Etat lui en octroyait uniquement 800 mille dinars, il revenait à la présidente de trouver les lignes de financement nécessaires pour assurer les activités de l’Union.
La coopération internationale représentait un volet important dans ses activités. L’Union planchait sur la mise en place de programmes nationaux, dont celui de développement régional et rural, gérés en partie par les conseils régionaux, et les centres de formation professionnelle gérés par ces mêmes conseils régionaux. Il y avait des conventions avec le ministère de l’Intérieur et le ministère de Développement régional en relation avec les programmes des conseils régionaux.
Après 2011, habituée comme elle l’est à se réveiller à 4h du matin pour ne rentrer qu’à minuit, pendant plus d’une vingtaine d’années, elle a continué à travailler et à militer: «J’ai trop sacrifié de ma vie dans ma vie pour le travail, j’ai perdu ma fille à l’âge des fleurs. Je prenais mes deux filles avec moi pendant mes déplacements dans les régions, laissant mon fils à son papa. J’ai donc créé une association pour les cantines scolaires, et je voulais en créer une autre pour les enfants abandonnés».
“A l’unft, On ne percevait pas de salaire et pourtant le travail était colossal. Nous servions notre pays, et j’estime que personne n’a le droit de mettre tout le monde dans le même sac“
Les campagnes de dénigrement avaient touché tous les hauts responsables et les compétences qui avaient travaillé dans le gouvernement du temps de Ben Ali. Aziza Htira n’a pas été épargnée. «Cela ne me dérangeait pas. En tant que présidente de l’UNFT, on ne percevait pas de salaire et pourtant le travail était colossal. Nous servions notre pays et j’estime que personne n’a le droit de mettre tout le monde dans le même sac comme si nous avions été des criminels alors que nous ne faisions que servir notre pays».
Aziza Htira a donc été un membre fondateur du “Groupe des 22“ pour militer en tant que mouvement politique : «C’était le premier groupe au sein duquel j’ai travaillé, puis il y a eu l’expérience du front destourien. Il n’a pas réussi. Tout le monde voulait éviter tout ce qui rappelait les destouriens. Ensuite, il y a eu l’Alliance républicaine avec Mondher Belhadjali et c’est moi qui étais derrière sa création. D’ailleurs, c’est une composante qui a participé aux élections de l’Assemblée nationale Constituante, et j’ai contribué dans la formation de beaucoup de ses membres au niveau du travail de terrain, du contact, du lobbying, des programmes électoraux, etc.».
“Après la révolution, Nous avons été lynchés sans aucun effort d’évaluation… Personne n’a essayé de comprendre ce qui s’est passé dans notre pays, ni pourquoi nous en étions arrivés là“
Le point de chute de Aziza Htira a été Nidaa Tounes, et lors de la première réunion avec le président Béji Caïd Essebsi, elle a pris la parole pour dire que faire de la politique dans un contexte confus n’était pas une tâche facile et que même si Bourguiba me demandait de revenir à la politique je ne l’accepterais pas. «Nous avons été lynchés sans aucun effort d’évaluation de toute une ère. Personne n’a essayé de comprendre ce qui s’est passé dans notre pays, ni pourquoi nous en étions arrivés là. Nous ne pouvons même pas établir un diagnostic objectif et scientifique pour déterminer les erreurs commises par tout le monde et faire en sorte de les éviter». Mais lorsqu’on a fait de la politique, l’on reste mordue pour toujours, alors de nouveau Aziz Htira a repris du service au sein de Nidaa Tounes et a participé à la campagne électorale et législative, au quartier général du parti et dans les régions.
Lors de la campagne présidentielle, elle s’est déplacée dans les régions qu’elle connaissait très bien et essentiellement dans le sud. Après la victoire de Nidaa, elle a été désignée à la tête du CEPEX, un nouveau challenge. «C’est une mission assez lourde, nous avons l’obligation des résultats. Comme vous devez le savoir, j’ai fait l’Ecole de la Défense nationale, 19èmepromotion.
“Il y avait avec moi des colonels, et lors des examens de tir, j’ai été la première à avoir le premier prix de tir par le fusil mitrailleur…“
Il y avait avec moi des colonels, et lors des examens de tir, j’ai été la première à avoir le premier prix de tir par le fusil mitrailleur. Le ministre de la Défense était à l’époque feu Dali Jazi. On lui avait dit qu’une femme a remporté le premier prix au tir et qu’elle a été finaliste pour ce qui est du tir au pistolet. Cette année-là, la formation portait sur la gestion de crise et des catastrophes, et elle m’a été d’une grande utilité après le 14 janvier ; j’ai pu et j’ai su gérer. Pour moi, la discipline et la rigueur dans le travail relevaient pour moi du sacré».
“L’étape par laquelle passe le cepex exige de nous une nouvelle manière de travail…“
Aziza Htira a gagné ses galons de «Général» suite à son passage à l’Ecole de Défense. Aujourd’hui elle gère le CEPEX en “officier haut gradé et engagé“. La restructuration du Centre est en cours. «L’étape par laquelle nous passons exige de nous une nouvelle manière de travail. Une étude va être réalisée, d’ici 2020, nous espérons que notre centre atteindra les niveaux des autres centres d’exportation de par le monde. Je le dis et le redis, ce qu’il faut, c’est de la rigueur et de la discipline».