Le Centre international Hédi Nouira de prospective et d’études pour le développement (CIPED), sur la base des travaux d’un comité ad hoc qu’il a réuni pour examiner «le programme du gouvernement à l’horizon 2020» dont il a pu obtenir une copie, émet l’avis suivant:
I- Le CIPED relève d’abord que le programme proposé retient un certain nombre de réformes ou de mesures devenues aujourd’hui incontournables en raison de la situation actuelle que connaît le pays et des accords déjà conclus avec le FMI. Il rappelle que son ouvrage «Eléments de stratégie de sortie de crise», publié en mars 2017, a fait ressortir l’urgence d’engager ces réformes.
II- Il relève toutefois l’absence d’une vision globale qui constituerait la trame de fond pour ces réformes. Le programme pêche par ailleurs par la faiblesse de son contenu sectoriel, ainsi que la quasi-absence de la dimension régionale. Quant aux réformes retenues, autant celles relatives à la fiscalité qu’à la sécurité sociale ont été déclinées en mesures concrètes autant les autres sont demeurées au stade de principes et d’orientations générales.
III. Le CIPED comprend la difficulté de l’exercice qui consiste à satisfaire toutes les parties prenantes dans le Gouvernement d’union nationale, mais considère que la situation actuelle exige des choix clairs et une détermination à avancer dans les réformes et les politiques à mettre en œuvre, même si elles risquent de ne pas recueillir le consensus de toutes les parties.
Dans l’objectif de faire adhérer les différentes parties à ces réformes, le gouvernement devra s’outiller de simulations sur un horizon de 5 à10 ans, pour faire ressortir le coût de non engagement des réformes: déficit des caisses de sécurité sociale; gap budgétaire en l’absence d’ajustement; déficit extérieur en cas de poursuite du modèle actuel de gouvernance économique ; niveau de la subvention au titre de la Caisse de compensation en cas de non augmentation des prix de certains produits compensés, etc.
IV- Il constate, par ailleurs, que la démarche empruntée par le document reste dans la ligne de celle poursuivie depuis 2011 et qu’elle n’apporte pas le rééquilibrage requis au modèle. Les exportations y sont traitées en tant que mesure additionnelle et l’intérêt apporté à l’investissement est tout à fait mineur.
Le CIPED rappelle dans ce sillage que la politique du «Go and Stop» a montré ses limites et a été en grande partie à l’origine des dérapages économiques et financiers que vit la Tunisie. Il considère que l’antagonisme entre relance par la demande et par les exportations n’a pas lieu d’être et que dans le contexte d’un pays ouvert comme la Tunisie où la contrainte extérieure est fondamentale, autant le pays développe les exportations et les IDE, autant il pourra compter sur la demande intérieure en tant que levier de la croissance dans le cadre d’équilibres extérieurs acceptables.
V- Le CIPED considère par ailleurs que la stabilisation de la situation, l’assainissement des comptes publics et extérieurs et le retour de la confiance constituent un préalable sans lequel aucune politique de relance n’est possible, et appelle le gouvernement à établir un «sequencing» cohérent à ce niveau.
Le CIPED constate à cet égard le faible contenu du programme en termes de mesures destinées à améliorer le climat d’affaires et à faire retrouver aux opérateurs la confiance requise en tant que préalable pour faire redémarrer l’investissement et la croissance.
Il considère à cet effet que le niveau de la pression fiscale déjà élevé constitue un élément fondamental du climat des affaires et attire l’attention sur la nécessité d’agir d’abord sur les dépenses publiques et sur le recouvrement fiscal. Il rappelle par ailleurs les limites d’une politique de promotion de l’investissement réduite aux encouragements fiscaux et financiers.
VI- Nonobstant l’opportunité ou non de fixer des objectifs à l’horizon 2020 qui relève de considérations plutôt politiques, le CIPED considère que certains objectifs retenus sont hors de portée. C’est notamment le cas de la baisse escomptée du taux de chômage à 12%, qui suppose la création annuelle de 110 mille emplois, de la baisse de la part de la masse salariale dans le PIB de 14,5% à 12,5% -ce qui signifie une stabilisation de la masse salariale à son niveau actuel, un objectif difficile à réaliser à moins d’une réduction substantielle des effectifs de la Fonction publique.
L’objectif d’une croissance de 5% est quant à lui difficile à atteindre, à moins d’une conjoncture agricole et touristique exceptionnelle.
VII. Le CIPED considère, enfin, que le document ne traite pas de certains secteurs stratégiques, tels que l’éducation et la formation, l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et technologique, la santé, l’agriculture, l’industrie et les services. L’absence du contenu sectoriel confirme d’ailleurs les appréhensions quant à la possibilité de réaliser l’objectif de croissance de 5% en 2020.
En conclusion, le CIPED considère qu’il aurait été plus indiqué dans la situation actuelle d’opter, dans un premier temps, pour un programme ciblé sur certaines priorités, qui permettrait au pays d’engager l’assainissement de ses comptes, de retrouver la confiance, d’améliorer le climat d’affaires; un programme centré sur la réforme de l’Administration et l’assainissement des comptes publics, la compensation, la restructuration des entreprises publiques, du secteur bancaire et de la sécurité sociale. Ces réformes sont les seules à même de rendre possible une stratégie de relance basée sur les différentes sources de croissance et en particulier sur l’investissement, y compris les IDE et les exportations.
Ce programme d’urgence devrait comprendre des mesures d’accompagnement sous forme d’actions additionnelles pour la promotion de l’emploi dédiées en priorité, aux jeunes diplômés et axées sur l’emploi dans les secteurs des services et des nouvelles technologies et sur des facilités supplémentaires en matière d’installation pour propre compte. Le programme d’urgence devrait également comprendre des mesures d’accompagnement social des réformes et particulièrement, celle de la compensation.