Dans la Tunisie postrévolutionnaire, être entrepreneur n’est pas une sinécure ! Les fomenteurs du complot qui a transformé un soulèvement populaire en une «révolution globale» auraient dû «by the way» tout nationaliser. Ainsi, les affairistes auraient continué à sévir et les chefs d’entreprise auraient disparu de la circulation, ce qui aurait calmé la convoitise, l’envie, les ardeurs et la haine de beaucoup de pseudo-leaders politiques et médias qui ne cessent de dénigrer le capital et en profitent sans aucune vergogne!
La STIP (Société tunisienne des industries pneumatiques) est un cas d’école en la matière. Une entreprise jadis florissante et rentable qui, dans les années 1998, 1999 et 2000, affichait 2 MDT de bénéfices par an, introduite en Bourse en 2002 par voie d’OPV, est en arrêt de production depuis juillet 2017. La raison ? Le refus de tout plan de restructuration malgré les déboires de la firme depuis au moins 10 ans à cause d’une gestion désastreuse.
Montacer Dridi, maître des lieux aujourd’hui, et qui détient 75% du capital, estime que le sauvetage de la STIP est réalisable. Mieux encore, elle pourrait rapidement récupérer son positionnement de fleuron de l’économie nationale et leader du marché local et régional des pneumatiques, mais à condition de mettre fin aux manigances de certains affairistes véreux alliés à des agitateurs professionnels qui bloquent la reprise du travail à l’usine. «Je suis depuis près d’une année le vice-président de la STIP, nous avons toujours été des actionnaires. C’est une entreprise que nous connaissons parfaitement. Nous sommes du domaine. Nous sommes spécialisés dans la fabrication des chambres à air et des pneus, mais nous ne pouvons percer avec une gestion aussi désastreuse et une instabilité sociale inédite».
Nous ambitionnons de nous situer dans la moyenne de 2,5 euros le kilo de caoutchouc pour être compétitifs…
Il poursuit son explication : «Ce que les gens ne veulent pas comprendre, c’est que le caoutchouc se vend au kg. Prenez l’exemple de Michelin où le caoutchouc coûte 4,5 € le kilo. Chez Bridgestone et d’autres marques, c’est 4 € le kilo, quant aux Chinois, ils peuvent fabriquer des pneus avec un coût qui ne dépasse pas 1,5 € le kilo. Ce que nous ambitionnons de faire est de nous situer dans la moyenne de 2,5 euros le kilo de caoutchouc pour être compétitifs, ce qui n’est pas évident avec les charges de la STIP».
En effet, et pour rappel, la STIP supporte sur ses revenus 15% en frais financiers, et 30% en salaires. Pour réussir le programme d’assainissement de l’entreprise, il faut injecter de l’argent frais, réduire la charge financière à 5% et la masse salariale à 20%, et ceci passe inévitablement par des négociations très serrées avec les banques auprès desquelles la société est débitrice. La STIP est pour les banques tunisiennes, une société à haut risque, il lui est aujourd’hui impossible de disposer de crédits.
Le syndicat en a décidé ainsi. Le problème est que tous ces accords ne font pas de nous une entreprise compétitive, et si nous continuons ainsi, à terme, nous finirons par disparaître
«Pourquoi sommes-nous dans le soutien aveugle de tout ce qui va à l’encontre des performances d’une entreprise ? Chez nous, cela a commencé avec la convention collective. Des ouvriers qui travaillent 40h et sont payés pour 48h. Il y a une augmentation salariale annuelle de 6,5% sur le salaire brut. Avec les 5% d’augmentation décidés par le gouvernement, nous atteignons les 10% d’augmentation systématique par an. Le syndicat en a décidé ainsi. Le problème est que tous ces accords ne font pas de nous une entreprise compétitive, et si nous continuons ainsi, à terme, nous finirons par disparaître».
La STIP était gérée par les banques, explique Montacer Dridi, et à chaque fois qu’on nomme à sa tête un nouveau DG, il se soumettait à tout ce qu’on lui demandait pour ne pas être limogé. En 2015, le DG a accordé à ceux qui ont 20 ans d’ancienneté une augmentation exceptionnelle, ce qui a coûté à la société 3 MDT.
Au SIÈGE de la STIP, 40 personnes sur les 80 ont accepté le principe d’un départ négocié, car ils passent la journée à ne rien faire
«Le recrutement représente un autre volet et des plus complexes. Nous dépendons de la Fédération des activités pétrolières. A cause de certaines composantes de l’UGTT, les nominations abusives sont devenues le quotidien de nos entreprises. Dans mon administration, 40 personnes ont accepté le principe d’un départ négocié, car ils passent la journée à ne rien faire. Cela fait 6 mois que nous en parlions et c’est le représentant syndical qui refuse. A Msaken j’ai un surplus de 30 ouvriers qui ne font rien, tout le temps en arrêt maladie, je ne peux prendre aucune disposition à leur égard. Nous souffrons de problèmes inimaginables et certains parlent de barrer la route à la contrebande.
Si les choses n’évoluent pas dans le sens d’aider les entreprises opérant dans le secteur formel à être compétitives, nous pourrions mettre en place une armée de douaniers couvrant toutes nos frontières, cela ne servira absolument à rien
Je ne vois vraiment pas de quelle manière comptent-ils s’y prendre. Par contre moi, j’en suis capable. Quand un Chinois commercialise les pneus d’un bus à 350 DT, lui, il est gagnant. Par contre moi, à cause des coûts de production, je suis perdant même si je la vends à 750 DT. Si j’arrivais à réduire les coûts, je pourrais la vendre à 450 DT et dans ce cas les contrebandiers préféreraient s’approvisionner sur le marché local plutôt que prendre des risques pour 100 DT de différence».
En lâchant les entreprises opérant dans le formel, c’est le parallèle qu’on encourage
Si les choses n’évoluent pas dans le sens d’aider les entreprises opérant dans le secteur formel à être compétitives, nous pourrions mettre en place une armée de douaniers couvrant toutes nos frontières, cela ne servira absolument à rien car lorsqu’un entrepreneur est pris dans l’engrenage de la gestion quotidienne des problèmes sociaux, il est incapable de se projeter, d’innover ou d’anticiper les besoins du marché ou les nouvelles exigences des différentes clientèles.
In fine, le bras de fer qui existe entre la direction de la STIP et les récalcitrants à des accords négociés ne profitera à personne car il mènera l’entreprise à sa perte d’autant plus que ceux qui comptent sur l’Etat pour la «nationaliser» n’ont vraiment pas compris que l’Etat tunisien est aujourd’hui incapable de mettre un sous dans une société en difficulté et qui plus est, dans le cas de la STIP, une entreprise acquise en bourse.
Grâce à notre partenariat avec Toyomoto, nous pourrions atteindre une production de 5 millions de pneus par an
«Aujourd’hui, nous sommes en train de négocier une fusion avec la firme japonaise Toyomoto. Actuellement, nous en sommes à la production de 600.000 pneus et nous espérons atteindre les 2 millions d’ici la fin de l’année si les choses s’arrangent. Grâce à notre partenariat avec Toyomoto, nous pourrions atteindre le chiffre de 5 millions de pneus par an. Nous signerons la fusion au début du mois de novembre. Un bureau international élaborera l’étude et assurera le suivi, mais entre-temps il faut que la situation de l’entreprise soit assainie.
Nous prévoyons d’injecter 5 MDT d’argent frais dans le capital tout en essayant de régler le plus gros de nos problèmes avec les banques et en premier la STB et la BNA pour des crédits contractés en 2000».
L’Etat ne doit nullement être impliqué dans l’assainissement des entreprises souffrant de difficultés structurelles
Pour Montacer Dridi, l’Etat ne doit nullement être impliqué dans l’assainissement des entreprises souffrant de difficultés structurelles. Tout au contraire, il doit s’en désengager car ce sont les contribuables qui sont en train de payer de leurs poches leurs pertes.
«Je ne suis pas contre le fait de bien rémunérer les ouvriers, mais il faut qu’ils assurent en matière de production et de productivité. Croyez-moi, dans le privé, les ingénieurs et des directeurs sont très bien payés. Pour ma part, je voudrais améliorer le taux d’encadrement de la STIP qui ne dépasse pas les 8%, c’est très peu.
Les syndicats sont en train d’intervenir à tous les niveaux et partout et ne se limitent plus à la défense des droits des travailleurs seulement. Ils veulent cogérer l’entreprise de bout en bout, ce qui est illégal et inadmissible
J’ai envoyé quelques-uns de mes cadres à l’étranger en formation et dans des missions de partenariat. Pour la petite anecdote -faut-il en rire ou en pleurer-, vous savez qu’avant notre prise de contrôle de l’entreprise, le syndicat décidait de qui devait partir en formation ? Ils ont envoyé de simples ouvriers, des comptables ou des chauffeurs au lieu d’envoyer des ingénieurs.
Les syndicats sont en train d’intervenir à tous les niveaux et partout et ne se limitent plus à la défense des droits des travailleurs seulement. Ils veulent cogérer l’entreprise de bout en bout, ce qui est illégal et inadmissible».
Si l’Etat avait injecté 200 MDT pour l’assainissement de la STIP, ils auraient été engloutis en un clin d’œil et les difficultés seraient restées les mêmes
Dridi dénonce les pressions auxquelles sont soumis les membres du gouvernement et les appels à la nationalisation de l’entreprise. «Si l’Etat avait injecté 200 MDT pour l’assainissement de la STIP, ils auraient été engloutis en un clin d’œil et les difficultés seraient restées les mêmes. Grâce à mon plan de restructuration, notre société sera bénéficiaire en 2018, elle dépassera sa crise, encore faut-il que les réfractaires comprennent que le sauvetage de l’entreprise passe par des négociations constructives de part et d’autre et n’adoptent pas la logique des rapports de force. Les travailleurs ne sont pas assez productifs malheureusement pour nous». Une ingénieure envoyée dans un stage de formation à Shanghai en a été témoin.
A la STIP, la machines qui assure la couture du caoutchouc avant qu’on le mette sous presse et qui produit 40 pièces/jour est pilotée par 3 ouvriers. L’un d’eux a une fois réussi la gageure d’atteindre le nombre de 60 pièces, sa performance a été célébrée et un congé de 3 jours lui a été accordé. A Shanghai, chaque ouvrière qui produit 70 pièces/jour. «Je vivais dans un leurre, a-t-elle dit, nous n’avons ni la technologie ni l’engagement dans le travail. Bref, nous n’avons rien».
Il n’est plus question de travailler 40 heures pour être payés pour 48 heures
Pour Montacer Dridi, le sauvetage de la STIP est impératif et indéniable. L’assainissement se fera dans la légalité. 36 fomenteurs de troubles ont été renvoyés, une formule sera proposée à plus d’une trentaine de travailleurs malades et incapables de travailler, et ce dans le cadre de la CCL. Ces départs permettront de remettre d’aplomb la société et de réduire les charges. Il faut au moins 2 années pour la redresser et un peu de sacrifices de la part des employés.
Une entreprise est composée d’actionnaires, de dirigeants et d’EMPLOYÉS. Tout le monde doit y trouver son compte mais pas en usant de rapports de force destructeurs
«Il n’est plus question de travailler 40 heures pour être payés pour 48 heures. Je ne toucherais pas aux salaires et je veux bien travailler avec mes employés à rétablir le positionnement de la STIP mais cela ne passera pas par des menaces de grèves ou par des campagnes de dénigrement via les réseaux sociaux (voir photos). Les lock-out, cela existe même si je préfère ne pas en user pour ensuite prélever les jours d’arrêt de travail sur les salaires. Une entreprise est composée d’actionnaires, de dirigeants et d’employés. Tout le monde doit y trouver son compte mais pas en usant de rapports de force destructeurs et pour l’entreprise et pour les travailleurs ».
A bon entendeur
Amel Belhadj Ali