Les dispositions prises dans le cadre du projet de la nouvelle loi des finances poursuit la politique du goutte-à-goutte préconisée par tous les gouvernements post 2011. Mohamed Salah Ayari, conseiller fiscal, estime que la solution radicale réside dans une réforme fiscale globale afin d’éviter cette politique. Entretien
WMC : Un nouveau projet de loi de finances a été adopté en conseil des ministres mais pour nombre d’experts, il est sans vision réelle puisqu’il n’a pas été élaboré sur la base d’un diagnostic réaliste de la situation du pays. Qu’en pensez-vous?
Mohamed Salah Ayari : A priori, les différentes mesures proposées dans le cadre du projet de la loi de finances pour l’année 2018 prévoient dans leur ensemble des augmentations des taxes existantes, et ce dans l’objectif d’avoir des recettes supplémentaires afin de renflouer les caisses de l’Etat.
Le déséquilibre au niveau des finances publiques a amené le gouvernement à pomper les recettes manquantes auprès des entreprises et des contribuables -personnes physiques d’une façon générale.
Mais le problème qui se pose, c’est qu’au lieu d’élargir l’assiette imposable et d’étendre les opérations de vérification fiscale aux fraudeurs et à ceux qui opèrent dans le secteur informel, on se limite généralement aux contribuables “dociles” qui ont tendance à accomplir leur devoir fiscal.
Le déséquilibre des finances publiques a amené le gouvernement à pomper les recettes manquantes auprès des entreprises et des contribuables personnes physiques
Et c’est là où le bât blesse, parce qu’on ne fait qu’alourdir la charge des contribuables qui respectent leurs obligations fiscales.
A mon avis, la solution envisagée réside dans l’élargissement de l’assiette imposable, la modernisation de l’administration fiscale y compris les nouveaux recrutements d’agents de contrôle et le renforcement du contrôle fiscal. Mais en contrepartie, il faudrait simplifier le système fiscal tunisien et procéder à l’allègement des tarifs afin de le rendre plus commode et plus attractif.
Estimez-vous que l’augmentation du taux de la retenue à la source de 5% à 10% sur les bénéfices distribués à partir du 1er janvier 2018 pourrait encourager les entreprises à mieux et plus investir ?
L’augmentation du taux de la retenue à la source de 5% à 10% au titre des bénéfices distribués appelés communément “Dividendes” peut répondre à un souci majeur au niveau des conventions de non double imposition, lesquelles conventions prévoient généralement un taux de retenue à la source égal à 10% des bénéfices distribués.
Sachant que dans le cas d’une exonération, comme c’était le cas avant le 1er janvier 2014, ou d’un taux réduit de 5%, la Tunisie ne peut pas imposer les dividendes à un taux supérieur à celui prévu par le droit commun, même si le taux prévu par la convention est plus élevé, et ce en se basant sur le principe de “la non-discrimination par rapport aux nationaux”.
Cependant, et dans le souci d’encourager l’investissement, l’augmentation du taux de la retenue à la source de 5% à 10% devrait couvrir aussi bien les personnes physiques que les personnes morales.
Mais dans le cas où les bénéfices distribués seraient réinvestis dans des secteurs productifs conformément aux dispositions prévues par la loi de l’investissement, ces bénéfices seraient exonérés de la retenue à la source. Dans ce cas, on utilise l’avantage fiscal comme un outil pour promouvoir l’investissement.
l’exonération accordée aux entreprises nouvellement créées au titre des exercices 2018 et 2019, qui a été fixée à trois ans, ne peut pas avoir l’effet escompté du fait que les entreprises ne réalisent généralement pas des bénéfices durant les premières années d’activité.
Considérez-vous que les mesures prises dans le cadre du projet de loi de finances 2018 telles l’exonération des impôts et des charges sociales pour encourager la création d’entreprises sont suffisantes ?
Je demeure convaincu que l’exonération accordée aux entreprises nouvellement créées au titre des exercices 2018 et 2019, qui a été fixée à trois ans, ne peut pas avoir l’effet escompté du fait que les entreprises ne réalisent généralement pas des bénéfices durant les premières années d’activité.
En outre, la loi portant refonte du dispositif des avantages fiscaux a prévu un avantage similaire portant encouragement à la création de nouvelles entreprises, qui s’applique à partir du 1er avril 2017 avec des taux dégressifs au titre des 4 premières années, fixés respectivement à 100%, 75%, 50% et 25%.
Concernant la prise en charge par l’Etat de la contribution patronale au régime légal de la sécurité sociale, une mesure similaire a été prévue également par l’article 19 de la loi sur l’investissement et qui peut s’étendre sur une période de 10 ans.
dans un pays où le glissement du dinar ne fait que s’aggraver, alors que l’exportation d’un côté et les investissements directs étrangers, d’un autre côté, ne présentent pas des signes de reprise réconfortants, il serait plus adéquat de se serrer la ceinture et d’accepter certains sacrifices, pour ne pas vivre au-dessus de ses moyens.
Croyez-vous que l’augmentation d’un point des taux de l’IRPP et de l’IS peut sauver les Caisses sociales?
De prime abord, et pour être réaliste, les difficultés rencontrées par les Caisses sociales sont des difficultés structurelles, et ce n’est pas l’augmentation d’un point au niveau des taux de l’IRPP et des taux de l’IS qui va résoudre les problèmes profonds des caisses sociales.
Mais d’un autre côté, il faut reconnaître que ces petites mesures peuvent atténuer, tant soit peu, le déficit important subi par les Caisses sociales depuis des années.
Cependant, il faut entamer une réforme en profondeur des Caisses sociales, qui doit normalement englober l’amélioration du recouvrement des cotisations sociales, l’augmentation de l’âge de la retraite -qui peut être facultative dans une première étape-, le renforcement des opérations de contrôle afin d’englober les employeurs défaillants et éventuellement la TVA sociale qui peut être d’un grand apport pour résoudre les difficultés rencontrées par les Caisses sociales.
Des réserves en devises de 96 jours d’importation est une vraie sonnette d’alarme et justifie l’instauration d’une politique draconienne à l’égard de l’importation de produits superflus.
Surtaxer l’importation des voitures et les produits de luxe ou de prêt-à-porter, est-ce la bonne solution pour renflouer les caisses de l’Etat ?
Dans un pays qui connaît un déficit commercial de l’ordre de 10 milliards de dinars, l’augmentation des droits et taxes au titre de l’importation des voitures, des produits de luxe ou de prêt-à-porter devient une nécessité absolue afin d’arrêter l’hémorragie de paiement en devises et d’éviter la fermeture de plusieurs entreprises tunisiennes.
La période de 96 jours d’importation qui a été confirmée par le dernier rapport de la BCT constitue une vraie sonnette d’alarme dans le but d’instaurer une politique draconienne à l’égard de l’importation de produits superflus.
Cependant et pour les voitures de tourismes, on peut toujours épargner les petites cylindrées pour ne pas alourdir la charge de la classe moyenne.
Normalement, dans un pays où le glissement du dinar ne fait que s’aggraver, alors que l’exportation d’un côté et les investissements directs étrangers, d’un autre côté, ne présentent pas des signes de reprise réconfortants, il serait plus adéquat de se serrer la ceinture et d’accepter certains sacrifices, pour ne pas vivre au-dessus de ses moyens.
Le vrai problème, c’est qu’à l’occasion de chaque loi de finances, on constate les mêmes critiques, des propositions contradictoires, des pressions énormes et même une “désobéissance fiscale”.
Pour nombre d’observateurs, le nouveau projet des lois des finances a été fait sur mesure pour satisfaire aux exigences de la centrale syndicale ouvrière et ne pourrait aucunement œuvrer à relancer l’investissement. Le pensez-vous ?
En réalité, le vrai problème ne réside pas dans le fait de satisfaire les exigences de la centrale syndicale ou d’ignorer les propositions de l’UTICA, du moment que toutes les deux font une pression sur le gouvernement pour supprimer certaines dispositions prévues par le projet de loi de finances pour l’année 2018 ou d’ajouter d’autres mesures qui répondent à leurs soucis.
Le vrai problème, c’est qu’à l’occasion de chaque loi de finances, on constate les mêmes critiques, des propositions contradictoires, des pressions énormes et même une “désobéissance fiscale”.
Si on veut réellement assurer un climat social propice et une stabilité politique plus que nécessaire pour attirer les IDE et promouvoir l’investissement, il faut éviter les mesures à la hâte et d’une façon précipitée dans le cadre des différentes lois de finances.
Aujourd’hui, le gouvernement se trouve entre l’enclume des salaires, subventions et exigences de toutes les parties, et le marteau du FMI
La solution radicale réside dans une réforme fiscale globale afin d’éviter la politique du “goutte-à-goutte” qui a été adoptée par les différents gouvernements successifs qui consiste à insérer quelques dispositions au niveau de chaque loi de finances et qui n’a pourtant pas donné les résultats escomptés.
Aujourd’hui, et devant la pression sur les finances publiques qui ne cessent de s’aggraver au fur et à mesure, le gouvernement se trouve entre l’enclume des salaires, subventions et exigences de toutes les parties concernées, d’une part, et le marteau du FMI qui exige la réalisation de certaines réformes douloureuses, d’autre part.
Par conséquent, il est grand temps de mettre fin à la fuite en avant et d’envisager des solutions radicales afin d’arrêter cette hémorragie et d’assurer la stabilité des textes fiscaux.
Le Programme économique et social à l’horizon 2020… peut être le prélude d’une vraie réforme structurelle qui touche tous les domaines
Le Programme économique et social à l’horizon 2020 -qui a été élaboré par le gouvernement et qui a été distribué à plusieurs partis politiques et aux organisations nationales- peut être le prélude d’une vraie réforme structurelle qui touche tous les domaines, à condition de solliciter l’adhésion de toutes les forces vives du pays y compris les partis politiques qui se trouvent dans l’opposition.
Pour sauver le pays, il faut que tout le monde s’y attelle et il faut accepter de faire des sacrifices pour des lendemains meilleurs.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
Mohamed Salah Ayari est conseiller fiscal et enseignant universitaire. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences économiques (Section Gestion), diplômé de fin d’études du cycle supérieur de l’ENA et de l’École nationale des impôts à Clermont-Ferrand en France a occupé le poste de directeur de la Gestion des avantages fiscaux et financiers au ministère des Finances.