Le gouvernement suédois se propose d’aider la Tunisie à aller vers le Global Deal. Entendez le dialogue social, ce ferment pour le développement durable et la croissance inclusive.
Frederik Florean ne pouvait mieux souffler la première bougie de la réouverture de l’ambassade de Suède en Tunisie intervenue en octobre 2016. En partenariat avec Aziz Zouhir, président de la Chambre tuniso-suédoise de commerce et d’industrie, ils ont organisé, mardi 31 octobre 2017, un forum mixte. Ils l’ont dédié à l’examen des perspectives d’implémentation du Global Deal, c’est-à-dire le dialogue social.
Anne Linde, ministre suédoise du Commerce et des Affaires européennes, Karl-Petter Thorwaldsson, représentant de la Confédération syndicale de Suède, et Göran Trogen, représentant du patronat suédois, reproduisaient la structure tripartite qui régente le dialogue social dans ce pays. Et pareil pour la Tunisie, Mohamed Trabelsi, ministre des Affaires sociales, Noureddine Taboubi, SG de l’UGTT, ainsi que Sami Sellini, représentant de l’UTICA, ont préfiguré ce que pourrait être la configuration tripartite du dialogue social en Tunisie.
Implémenter le dialogue social en Tunisie
Les deux équipes ont su se mettre en symbiose et le Forum a été l’occasion d’échanges intenses. La partie tunisienne, qui s’est mise en intelligence avec l’esprit du Forum, a sorti un jeu remarquable et qui peut augurer d’une greffe sans rejet du dialogue social dans notre pays. Mustapha Tlili, fils de feu Ahmed Tlili, figure légendaire du mouvement syndical, a modéré le forum. Il est actuellement responsable, entre autres fonctions, du projet SOLIDE, financé par l’UE ainsi qu’un pool de syndicats européens, et qui se propose d’instituer dans les pays du pourtour sud de la Méditerranée du Global Deal.
L’amorçage du projet se fait avec un groupe pilote avec la Tunisie, le Maroc et la Jordanie. Cette initiative vient d’abord rappeler l’opportunité historique pour la Tunisie d’y aller, en s’inspirant du modèle suédois. Faire du dialogue social un levier du développement durable, et un enclencheur de la croissance inclusive est une réalité et non une fiction. Il faut la saisir.
Un contexte favorable au Dialogue social
Mustapha Tlili a rappelé que la Suède s’est engagée sur la voie du dialogue social au début des années trente alors qu’elle était en pleine déconfiture industrielle et déroute bancaire. C’est en temps de crise qu’il faut avoir le courage politique d’engager les réformes structurelles, insistait-il.
Les invités suédois ont abondé en ce sens. Anne Linde a dit croire que le Global deal a servi la transformation économique de la Suède contribuant largement à l’expansion remarquable de son super secteur exportateur lequel emploie 1,4 million de salariés.
Les deux représentants syndicaux ont abondé en ce sens, en rajoutant que le dialogue social est un puissant marqueur de démocratie et de consensus. Avec le Global Deal, la concertation supplée la contestation. Et la négociation déstresse la revendication. Le dialogue social est un puissant générateur de paix sociale. Outre qu’il aide à l’émancipation des mœurs politiques. En l’absence de chamaillerie permanente, les opérateurs travaillent et voient leurs efforts converger vers la construction d’une vision de long terme. Un climat social apaisé et un climat d’affaires sereins sont l’alpha et l’oméga pour la pérennité des entreprises. Et cela donne du souffle à l’ensemble du système. C’est dans cet esprit que le forum tuniso-suédois s’est penché sur la manière dont le dialogue social pourrait devenir la mère des opportunités pour la Tunisie, la véritable option du destin.
Dialogue social en Tunisie : L’état des lieux
Le débat national a fait une grande place au Global Deal chez nous. Le ministre des Affaires sociales, le SG de l’UGTT et le représentant de l’UTICA ont eu des propos, concordants, du moins sans grande dissonance. Les esprits sont prêts. Une simulation a même été préparée par Pr Mahmoud Ben Romdhane, lors de son passage au ministère des Affaires sociales.
L’université, de son côté, a beaucoup milité à la diffusion du modèle grâce aux efforts de recherche du Pr Mongi Boughzala. Il faut avouer que le grippage actuel du système plaide en faveur du dialogue social. Le chômage, devenu endémique et qui pénalise toute une génération, pousse dans cette direction. Les inégalités sociales ainsi que le déséquilibre régional vont également dans la même direction. Sans parler du déficit des Caisses sociales. Tout concourt à cela. Le pays est à la recherche d’un nouveau modèle social, après le crash de celui de l’Etat providence. Et à bien des égards, le Global Deal est un substitut souhaitable.
Les Tunisiens y seraient enclins car il laisse à l’Etat un rôle prépondérant. Ce mieux d’Etat est comme une garantie, une sûreté réelle en somme.
On voit discrètement le dialogue social se mettre en place par briques. Il y a d’abord eu en janvier 2013 le nouveau contrat social paraphé par les trois partenaires sociaux. En réalité, cette première marche n’a jamais été franchie. Cependant, il a le mérite d’exister. Par conséquent, on peut l’activer, au besoin.
Au mois de juillet dernier, le Conseil national du dialogue social a été voté par l’Assemblée. Encore une brique importante, dans l’édifice global. A quand la mise à feu? Cela viendra après un temps de maturation.
La progressivité est notre marque de fabrique. La route, tout en étant balisée, n’est pas pour autant totalement déblayée. Le pluralisme syndical n’est pas effectif. Au sein de l’UGTT elle-même, certaines fédérations échappent à l’autorité centrale. L’absence de justice fiscale et tout le reste n’incitent pas les citoyens à une grande discipline citoyenne. Et cela complique la donne.
La flexi-séccurité : le tournant doctrinaire pour l’UGTT
Avec une délicatesse, toute scandinave, les panélistes suédois ont rappelé que le dialogue social est un bel édifice de bonnes pratiques mais il repose sur un postulat, dur à avaler: la flexibilité. Et en la matière, la tradition syndicale nationale risque d’en prendre un coup. Cela représenterait un renoncement doctrinaire pour l’UGTT. En décembre 2013, lors des Journées de l’entreprise, le face-à-face Wided Bouchamaoui et Houcine Abassi -prédécesseur de Noureddine Taboubi, avait buté sur cet écueil. Et il n’a débouché sur aucune résolution. Houssine Abassi soutenait que la flexibilité serait une légalisation de la précarité. Wided Bouchamaoui défendait l’idée que l’Etat ne laisserait pas faire, garantissant la flexisécurité. Elle ajoute que l’adoption de la flexisécurité par l’UGTT doperait enfin la création d’emploi. L’idée est aussitôt réfutée par Houssine Abassi, qui y voit un subterfuge des patrons afin de se débarrasser des Prud’hommes, cette épée de Damoclès qui les empêche de licencier sans indemniser, fort. Et ce dernier de rajouter que le patronat est plus attiré par les incitations que par la prise directe du risque. On en conviendra que cet échange avait tout du dialogue de sourds.
Ce forum vient rappeler que l’expérience suédoise prouve bien que la flexisécurité embrasse le champ de la couverture sociale. La prise en charge des travailleurs licenciés, et des efforts de leur réinsertion.
L’assurance universelle, et le revenu social pour tous c’est aussi une réalité et non une fiction. Hélas, cela a un coût. Et une estimation du Pr Ben Romdhane donnait une enveloppe qui oscille entre 5 et 7% du PIB, dans le cas de la Tunisie. C’est une somme! C’est assez dissuasif d’autant que l’on ne sait comment le financer. Et l’hypothèse d’une TVA sociale n’y parvient pas en totalité.
Avons-nous les moyens de nos ambitions ?
Quand la Suède vient vers la Tunisie, cela fait chaud au cœur. A l’aube de l’indépendance, la Tunisie, à la recherche d’un modèle social, a opté d’instinct pour l’exemple suédois. Hélas cet oracle ne s’est pas vérifié. Avec un peu d’audace, on dira que la Tunisie se rapproche du modèle suédois. Si le projet de l’égalité à l’héritage est adopté, la IIème République aura fait un grand pas en ce sens.
En poussant cet exercice de spéculation à son bout, la Tunisie, en allant vers le dialogue social, se mettrait dans un moule scandinave. Quand Aziz Zouhir a contribué à la tenue du forum, il s’efforce d’envoyer un signal fort aux investisseurs suédois. Cependant, en l’état actuel, le dialogue social paraît au-dessus des moyens du pays.
D’abord, commençons par le commencement. Qui pourrait décider du sort du Global Deal ? Il faut une volonté politique lucide. Et à supposer que le pays adopte le Global Deal, il serait en peine de le financer. Mais avec davantage d’IDE suédois, il s’en rapprocherait. Voilà un champ à explorer.