L’Arabie Saoudite, pays ultra-conservateur par excellence, jusqu’à une récente date, pour son wahhabisme religieux extrémiste devenu un des sinistres “sponsors“ du terrorisme, a décidé de changer l’image que le monde se fait de lui et d’entreprendre, concomitamment et à un rythme accéléré, des réformes politiques, idéologiques, sociales et économiques spectaculaires.
Axées particulièrement sur la “relecture“ de la religion, la promotion de la femme et sur une économie post-pétrole qui serait boostée par les nouvelles technologies, ces réformes, qui sont encore à leur début, ont déjà valu aux Saoudiens sinon l’admiration du moins l’intérêt du monde occidental.
Réagissant à chaud à ces réformes, le président américain, Donald Trump, a parlé “d’avancées positives et de grands pas dans la bonne direction”.
Idem pour l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, qui participait, le 25 octobre 2017, à Riyad à la conférence sur “Future Investment Initiative”, n’a manqué de qualifier de “tsunami” et de “moment historique” les changements économiques et sociaux en cours en Arabie Saoudite.
Zoom sur ces réformes qui risquent d’impacter positivement tout le monde arabe, car l’Arabie Saoudite possède les moyens de mener à terme cette ambition.
Une rupture politique
Concrètement, la première réforme a été d’ordre politique. C’est une véritable révolution de sérail. Elle est perceptible à travers la téméraire décision du roi Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud d’Arabie Saoudite (81 ans) de nommer, en juin dernier, prince héritier du royaume son fils de 32 ans, Mohammed ben Salmane, alors que le poste revenait normalement à son neveu Mohammed Ben Nayef.
En écartant son neveu, Mohammed Ben Nayef, le roi rompt avec une tradition vieille de plus d’un demi-siècle qui veut que le pouvoir se transmette entre frères. Plus qu’une rupture familiale, c’est une véritable révolution.
Depuis sa nomination, Mohamed Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud -que l’on surnomme “MBS”- s’est imposé dans le paysage politique saoudien. Son ascension a été, le moins que l’on puisse dire, fulgurante. Il est désormais l’homme fort du royaume et derrière toutes les décisions à connotation moderniste.
Rejet de l’extrémisme religieux
La deuxième réforme est idéologique. Elle concerne la religion. Trois nouveautés méritent qu’on s’y attarde.
Il s’agit en premier lieu de cette déclaration faite par le prince héritier MBS à l’ouverture de la conférence “Future Investment Initiative: “Nous voulons vivre une vie normale. Une vie où notre religion signifie tolérance et bonté. Nous ne ferons que retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions”. Et MBS d’ajouter : “70% de la population saoudienne a moins de 30 ans et, franchement, nous n’allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes, et nous allons les détruire maintenant et tout de suite”.
L’autre nouveauté réside dans l’initiative du Roi Salman de créer une institution chargée de la vérification de l’authenticité de certains Hadiths rapportés du prophète Mahomet et de repérer les faux concepts religieux répandus. Ces hadiths sont souvent exploités par les extrémistes pour justifier les actes de violence, de terrorisme, et de meurtre. L’objectif de cette relecture est perçu comme une étape historique qui va élaguer la Sunna des textes falsifiés et de paroles mensongères.
Ainsi, la voie de l’interprétation –jusqu’ici inimaginable en terre saoudienne- est désormais grande ouverte. Une initiative qui ne va pas être du goût des sbires du Wahhabisme primaire en Tunisie.
La dernière nouveauté est cette mise en garde du “Comité des Grands Savants“ au Royaume d’Arabie Saoudite contre les dangers et menaces que présentent certaines organisations internationales et régionales d’obédience islamiste, telle l’Union internationale des musulmans dont Youssef Al Quaradawi est le Président. Celles-ci seraient, selon les nouveaux maîtres du Royaume, la matrice des organisations terroristes comme les frères musulmans et dérivés.
Pour un rôle plus dynamique de la femme saoudienne
La troisième réforme est d’ordre social. Elle est focalisée sur la femme et sur le rôle qu’elle peut jouer dorénavant dans l’impulsion de la croissance économique du pays et la modernisation de la société saoudienne.
Dans cette perspective, la femme saoudienne est autorisée à conduire –dans certaines grandes régions du pays, dans un premier temps. Selon le New York Times, cette avancée ne serait toutefois pas dénuée d’arrière-pensées économiques. Le royaume, frappé par la chute des cours du pétrole, voudrait inciter un plus grand nombre de ses citoyens -dont les femmes- à se mettre au travail dans un pays marqué par une culture rentière.
Par ailleurs, l’interdiction de la mixité est assouplie. À titre d’exemple, des centaines de Saoudiennes avaient pris place pour la première fois dans un stade de Riyad, à l’occasion de la fête nationale qui a donné lieu à des concerts et des feux d’artifice. Jusque-là, les femmes n’étaient pas admises dans des arènes sportives en application de la règle de séparation entre les sexes dans les espaces publics.
Autre signe par ricochet en faveur de l’émancipation de la femme : l’Arabie Saoudite compte développer sur les rives de la Mer Rouge des stations balnéaires haut de gamme destinées aux étrangers et qui seraient dotées d’un statut juridique spécial. Entendre par-là que les femmes touristes pourraient porter le bikini.
Option pour l’économie numérique
Last and not least, la dernière réforme majeure consiste en l’engagement de l’Arabie Saoudite dans l’économie numérique post-pétrole.
Le prince héritier MBS a évoqué, lors de Futur investment initiative, le projet pharaonique d’une ville hypermoderne qui ferait la part belle à la technologie. Une fois mise sur pied, on trouvera dans cette future ville, vingt fois la superficie de New York, plus de robots que d’êtres humains, des drones taxis, des services publics entièrement dématérialisés et automatisés, un e-gouvernment, de l’Internet haut débit, des nanotechnologies et même des jeux vidéo, un air ultra pur grâce à l’énergie solaire et éolienne… Tout cela pour un budget de 500 milliards de dollars.
Un regard sur l’ensemble des réformes précitées montre que l’exemple dont veut s’inspirer ce projet “de modernisation autocratique” serait le modèle du pays voisin, en l’occurrence les Emirats arabes unis (EAU). Cette fédération de sept cités-Etats combine ouverture socioculturelle et verrouillage politique, “un relatif libéralisme en absolutisme intégral, question pouvoir”.
Un exemple pour les intellectuels tunisiens
Pour la Tunisie, ces changements que le Royaume des Saoud est en train de mettre en place sont à saluer. Le prince héritier MBS rappelle en cela le président Bourguiba quand il avait, au début de l’indépendance, remué les usages et émancipé les femmes à travers la promulgation du Code du statut personnel (CSP) et la création d’un Etat moderne.
Soixante-et-un ans après l’indépendance, la Tunisie a récolté les fruits de ce pari sur la femme. C’est grâce elle que le pays est parvenu à échapper à la pire des dictatures, celle de l’islam politique au temps de la Troïka sous la conduite du parti Ennahdha et ses dérivés.
C’est pourquoi nous pensons que nos intellectuels ont le devoir moral de soutenir les réformes en Arabie Saoudite et d’en expliquer le bien-fondé aux citoyens tunisiens.
Quant aux autorités religieuses tunisiennes, elles ont intérêt à tirer les enseignements des réformes religieuses et à sensibiliser nos prédicateurs à l’option de l’Arabie Saoudite pour un retour aux sources, c’est-à-dire à un islam modéré et ouvert et par conséquent au bannissement du wahhabisme à l’origine de tous les malheurs et de la régression du monde arabo-musulman.
Moralité: La Tunisie, qui a beaucoup souffert du terrorisme de Daech et compagnie, aurait tout intérêt à être à l’écoute de ces évolutions en Arabie Saoudite. Des évolutions qui, espérons-le, augurent une nouvelle ère de paix, de progrès et de stabilité pour le monde arabe. Une zone qui en a vraiment besoin après tant de guerres dévastatrices et inutiles.
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