Le Tunisian Investment Forum (TIF) qui se tient les 9 et 10 novembre vise surtout à repositionner la Tunisie, via une communication ciblée, sur la carte internationale des sites les plus attractifs pour les investisseurs soucieux de trouver un cadre adéquat et des ressources humaines qualifiées et expérimentées.
La Tunisie reprend du poil de la bête, assure Khalil Laabidi DG de la FIPA, et tous les ingrédients –la stabilité politique, un nouveau code d’investissements incitatif et encouragent, l’innovation- nécessaires et indispensables pour attirer l’investissement sont là. Il faut tout juste que nous-mêmes Tunisiens le réalisions, y croyions et le communiquions pour récupérer la confiance des internationaux dans le site Tunisie.
Cela devrait peut-être commencer par la protection réelle des sites stratégiques, énergétiques entre autres, car ce secteur a vécu ses années les plus sombres depuis 2011.
Entretien
WMC : Vous avez assuré, le 31 octobre 2017 lors de la conférence de presse consacrée au Tunisian Investment Forum (TIF), que 50% des conventions financières qui ont été annoncées lors de la Conférence sur l’investissement «Tunisia 2020», organisée en novembre 2016, ont été conclues. Pourriez-vous nous rire, concrètement, quel est l’avancement des projets lancés depuis par le secteur privé?
Khalil Laabidi : Dans la partie concernant le secteur privé, il y avait deux grands projets qui ont enregistré des avancées notables. Le premier fait suite à la convention signée par Abderrahim Zouari, concessionnaire de la marque Peugeot en Tunisie, et le vice-président de la Stafim Peugeot, pour la réalisation d’une usine destinée à l’assemblage de la Peugeot Pick up. L’usine est d’ores et déjà en cours de construction. Nous nous attendons à ce que le premier véhicule sorte au mois de juillet prochain. Le site est El Mghira -et nous avons insisté auprès de si Abderrahim- pour que le taux d’intégration soit maximum et qu’une grande partie des composants du véhicule soit fabriquée localement.
Nous avons aujourd’hui atteint un taux d’intégration de 38% et nous ambitionnons d’atteindre les 40%, parce que c’est à partir de ce taux que nous pouvons parler du “made in Tunisia“ et que le produit peut bénéficier de tous les accords de libre-échange signés entre la Tunisie et ses partenaires européens. C’est important pour l’exportation.
Nous avons aujourd’hui atteint un taux d’intégration de 38% et nous ambitionnons d’atteindre les 40%, parce que c’est à partir de ce taux que nous pouvons parler du “made in Tunisia“
Il y a les accords avec l’Union européenne, ceux d’Agadir et peut-être aussi les accords bilatéraux avec la Turquie, ce qui donne un marché de 800 millions de consommateurs.
Si nous pouvons atteindre le 1% des parts de ce marché, ce sera pour nous une grande avancée.
Le deuxième accord avec le constructeur Peugeot, c’est que pour écouler les Pick-up Peugeot, tout le réseau de distribution de la célèbre firme sera mis à contribution. Vous voyez donc la portée de cet accord et les répercussions qu’il peut avoir sur l’image de notre pays à l’international.
Et qu’en est-il du deuxième grand projet privé ?
Le deuxième projet est celui de Telnet lancé entre Airbus Safran Launchers (leader de l’industrie spatiale européenne) et TELNET Holding pour développer une filière spatiale autour des microsatellites en Tunisie.
C’est un projet de mise en place d’une plateforme dans l’industrie de l’espace, en l’occurrence la fabrication de petits satellites de 50 kg maximum. Il s’agit de développer une filière spatiale, à travers la conception et la réalisation d’une capacité d’assemblage, d’intégration et de tests de microsatellites.
Les avantages de ce projet consistent à doter la Tunisie d’une capacité à produire et tester ses propres microsatellites.
A travers ce projet, nous voulons promouvoir l’image d’une Tunisie qui est enfin entrée de plain-pied dans les technologies de l’espace
A travers ce projet, nous voulons promouvoir l’image d’une Tunisie qui est enfin entrée de plain-pied dans les technologies de l’espace, et surtout ouvrir grandes les portes aux jeunes développeurs et créateurs de start-up de profiter des informations captées par le satellite. Cela peut servir, à titre d’exemple, à éditer des cartes, à amasser un grand taux d’informations pour des applications à même de servir à l’échelle nationale et répondre aux besoins d’entreprises locales ou de particuliers.
Grâce à ce projet et ce satellite, ils ne seront pas obligés d’acheter des informations qui se vendent très cher à l’international et ils pourront surtout être instruits en temps réel.
Nos développeurs sont doués et innovants, ce qui leur manquait c’était l’information et là nous allons nous doter de cette technologie. Nous allons construire ce microsatellite, qui sera lancé à partir d’une plateforme existante en Europe du Nord.
Le programme prévoit le lancement d’une dizaine de microsatellites à des prix très compétitifs. C’est la nouvelle politique d’Airbus Safran Launcher : démocratiser la technologie de l’espace.
Nous avons été choisis parmi 6 autres pays dont le Mexique en Amérique Latine et en Afrique c’est nous. Nous allons désormais pouvoir être plus précis pour ce qui est des données météorologiques, prévoir à titre d’exemple les inondations, les mouvements des troupes n’importe où dans le pays et par conséquent sécuriser encore plus nos frontières. Nous pourrons également aider nos agriculteurs.
Le satellite est déjà largement utilisé en agriculture de précision, il permet une acquisition et une gestion des données à distance et l’exploitation des données en vue d’améliorer la fiabilité des rendements agricoles et d’optimiser les récoltes.
Quel serait le rôle de la FIPA pour faire valoir cette entrée, certes modeste mais importante, de la Tunisie dans les technologies de l’espace mais surtout rassurer les investisseurs potentiels dont l’enthousiasme est très souvent freiné par une lourde machine administrative et des commis de l’Etat qui font du zèle ?
Le premier message est que la Tunisie est le premier pays de l’Afrique du Nord à avoir réussi à accéder à cette industrie de l’espace. Cela prouve que notre pays regorge de talents et de jeunes qui peuvent assurer. Si nous avons pu relever ce défi, c’est que nous pouvons mettre en place n’importe quelle industrie.
A l’étranger, nombre de compétences tunisiennes peuvent être très intéressées par cette nouvelle réalité. Nos ingénieurs peuvent revenir en Tunisie s’ils trouvent des conditions adéquates, mais comme vous venez de le dire, la mère des réformes est celle de l’administration. Il faut que tous les chantiers aillent de pair. Il ne suffit pas de mettre en place des projets mais encore faut-il que les mécanismes qui simplifient les procédures pour faciliter la vie à ces investisseurs soient efficients. Aujourd’hui, nous avons une Instance de l’investissement, dont j’ai la charge. Nous travaillons d’arrache-pied pour qu’elle démarre le 1er janvier 2018.
Qu’est-ce que cette instance a de particulier ?
Pour commencer, il n’y aura pas de “guichet unique“ pour l’investisseur mais plutôt l’“interlocuteur unique“ qui se chargera de son dossier de bout en bout. Cela peut démarrer du conseil et se terminer par la livraison à l’investisseur de toutes les autorisations dont il a besoin. Dès qu’il arrive il va trouver un chargé de l’investisseur, celui-ci accueille dans son bureau, il examine son dossier, il étudie tout, et s’il y a des documents qui manquent il va le prier de compléter son dossier. Si le dossier est complet, c’est le chargé qui va faire le tour de tous les services concernés, viser le dossier au guichet unique et le remettre ensuite à l’investisseur. Donc le guichet unique sera un back office pour l’investisseur.
Quel est l’Etat d’avancement de l’Instance de l’investissement ?
Nous travaillons aujourd’hui sur le système d’information, pour dématérialiser les procédures, et nous le faisons avec Microsoft. Nous sommes les premiers à bénéficier d’un projet signé lors de Tunisia 2020 entre le ministère des Technologies de la communication et Microsoft.
Est-il vrai que les IDE sont de retour ou c’est seulement des discours qui ne trouvent pas leurs échos dans la réalité économique du pays ?
Je ne peux que vous répondre dans la langue des chiffres. Pour les 9 premiers mois de 2017, les statistiques mentionnent une progression générale de 13,16% par rapport à 2016. Donc il y a un début de reprise.
Quels sont les secteurs les plus concernés par cette croissance ?
Le secteur qui a le plus souffert est celui de l’énergie qui est un secteur très important pour nous. Il a reculé d’environ 9,5%, par contre dans un secteur comme les industries manufacturières, il y a une augmentation de 40%. En clair, les 40% de progression de l’industrie manufacturières moins les 9% régression pour l’énergie, ce qui donne 13,6% globalement. Pourquoi ? Parce que le poids de l’énergie est plus grand que les industries manufacturières, donc une petite baisse engendre une perte plus grande.
L’industrie agro-alimentaire reprend aussi, et c’est une bonne chose. Maintenant il y en a qui vous diront que c’est grâce à la dévaluation du dinar. Oui, c’est possible, mais même si l’évolution n’est pas spectaculaire, la reprise est là et il faut en prendre compte.
Quels sont les plus grands investisseurs étrangers en Tunisie ?
C’est la France qui occupe le haut du pavé, suivie de l’Italie ; arrivent ensuite les Allemands qui font des efforts surtout dans les secteurs des énergies renouvelables et de l’économie verte: produire propre et moins de CO2 pour un cadre de vie plus sain.
Ce qui nous ramène à parler du grand projet annoncé lors de Tunisie 2020 : le câble sous-marin qui relie la Tunisie à l’Italie. Il y a en fait deux projets. Celui annoncé par la STEG et dont le financement vient d’être bouclé avec l’Union européenne et c’est un projet énorme. Il s’agit de relier deux continents, l’Afrique et l’Europe, électriquement. Il n’y aura plus de chut-down de l’électricité en Europe ou en Afrique puisque rapidement l’un des deux continents va renvoyer l’électricité à l’autre. C’est un projet sur lequel nous avons très bien avancé.
L’autre projet est Elmed qui a été élaboré dans le but d’éviter la pénurie d’électricité durant la saison estivale et surtout au mois d’août.
L’autre projet est Elmed qui a été élaboré dans le but d’éviter la pénurie d’électricité durant la saison estivale et surtout au mois d’août.
En Europe, durant cette période on utilise moins d’électricité, donc ils peuvent nous exporter de l’énergie pour sécuriser notre consommation.
Mais il y a aussi le projet Tunur, qui est un projet britannique porté par un développeur britannique. L’idée est de développer un projet d’électricité dans le Sahara, et de l’exporter vers l’Europe.
Tunur, on en parle depuis des années, mais on ne le voit pas venir, c’est comme s’il s’agit d’une start-up qui n’arrive pas à décoller ?
Tunur a été conçu par des développeurs d’idées, de projets qui commence à intéresser les investisseurs surtout les asiatiques, et ils ont pratiquement terminé leurs études. Il suffit d’avoir la bonne idée et qui fait gagner de l’argent et de trouver les investisseurs qui ont l’intelligence d’y croire.
Qu’attendez vous du Tunisian Investment Forum ?
Pour moi, le TIF est une action de communication, parce que nous souffrons beaucoup de la communication négative sur la Tunisie en interne et qui est relayée par les médias étrangers qui lui donnent de l’ampleur alors qu’elle ne reflète aucunement la réalité du pays. Les investisseurs, les décideurs et les financiers sont influencés par ces informations.
Pour nous, le TIF est une action de communication qui consiste à inviter les investisseurs à vivre en Tunisie pendant 2 ou 3 jours, rencontrer les décideurs publics et privés et leurs homologues tunisiens.
Nous prévoyons des rencontres BtoB, et plusieurs projets naissent de ces rencontres-là. Le TIF est une opération d’information sur ce que nous, en tant qu’Etat, avons réalisé à ce jour. On parle toujours de ce qui n’a pas été fait et on oublie souvent ce qui a été fait et ce qui a progressé; on ne le valorise pas.
Nous avons élaboré une nouvelle législation sur l’investissement, adopté une loi sur les PPP, une autre sur les énergies renouvelables, ce n’est quand même pas peu. Il y a des réformes qui ont été réalisées. Les participants au TIF vont vivre avec nous et voir de leurs propres yeux l’évolution des choses. Il n’y a pas pire que d’être absents sur la scène internationale.
Il faut reconnaître que, dans certains pays, les médias se sont acharnés sur nous. Nous ne le méritons pas. Notre pays est grand par son histoire et par ses réalisations et nous devrions nous atteler ensemble à le valoriser comme ce qui ce passe dans d’autres contrées beaucoup moins chanceuses et moins nanties mais où on n’hésite pas à faire preuve de solidarité dès qu’il s’agit de préserver l’image de marque de leur patrie. Il faut aimer la Tunisie, cesser de la dénigrer, au contraire il faut la présenter au monde en la parant de ses plus beaux atours.
Propos recueillis par Amel Belhadj Ali