Retournement de situation, la supérette de quartier contre-attaque. Elle pratique le discount à tout va. La compétition avec les hyper va-t-elle flamber ?
Encore un paradoxe bien de chez nous. Les hyper, réputés pour le discount et parfois le hard discount, n’étaient pas au rendez-vous. Et certaines enseignes y allaient du revers de la cuillère en matière de prix. Au grand dam du client. Il faut dire que celui-ci a marché dans le jeu tel le dindon de la farce.
Pendant longtemps, la grande distribution était confinée dans un tout petit pourcentage d’à peine 10% du volume global du commerce de détail. A présent elle flirte avec les 30%. Dans son extension, le commerce grand public a littéralement broyé le petit épicier, le “jerbien“ du coin. Quelques rares survivants tiennent encore le coup mais sans lendemain de transmission. C’est-à-dire qu’on ne les voit pas passer le flambeau à de jeunes professionnels tant les perspectives pour eux sont peu prometteuses.
Et, voilà que surgit la supérette de quartier. Une formule pleine de vigueur et qui pénètre le marché via un accès imparable: le semi-gros. Le résultat est probant. Et il arrive parfois que des supérettes s’installent pile en face d’enseignes de renom et elles leur écrèment une frange substantielle de clients. Les files d’attente changent de camp et les clients font leurs emplettes chez ces nouveaux venus qui cassent les prix.
Une dette morale pour le petit épicier
A chaque coin de rue, son petit commerçant. Ce sont des visages mythiques et qui marquent les consciences du fait de cette proximité marchande. La vente au détail avec le vrac pouvait satisfaire toutes les bourses. A chacun selon ses moyens. On pouvait acheter l’huile au décilitre (Achouria zit), le thé noir par 10 grammes, le pain par moitié, l’harissa presque à la cuillère, le chocolat Kholer à la barre, le tabac à la cigarette.
On pouvait tout acheter à l’unité et à la semi-unité. Chacun y trouvait son compte. Le client achetait selon ses stricts besoins au gré de sa bourse. Et l’épicier faisait du chiffre sans mécontenter personne. Il lui arrive de moduler le prix si le client poussait trop loin la fantaisie, mais en général on fractionnait le prix selon la mesure sollicitée, notamment pour les cigarettes à la pièce. Et quand le client contestait, cela donnait lieu à des palabres d’un grand romantisme qui faisaient le charme relationnel des quartiers de jadis. Et, par-dessus tout, l’épicier faisait crédit.
C’est simple, le chef de famille traîne l’ardoise au café, et la ménagère surchargeait le “carnet“ de facilité chez l’épicier. Eh oui, l’épicier, tout comme le cafetier et le tavernier, faisait crédit et cela confortait son rôle social. Le découvert bancaire n’étant pas courant, quand le liquide faisait défaut, c’est l’épicier qui allonge. Magnifique contrat social.
Avec la prolifération des hyper, le petit épicier du coin a vu son champ d’affaires rétrécir comme peau de chagrin. L’hyper, en réalité, était toujours incrusté dans un Mall, et c’est ce dernier qui a provoqué la migration du chaland. Faire les emplettes est devenu un passe-temps, à part entière. Autant chez l’épicier on faisait une brève escapade pour se dépanner et discuter le coup vite fait sur le zinc, autant faire les emplettes en hyper était devenu l’occasion d’une évasion au Mall qui répond à la formule centre de vie et d’affaires. Une vraie sortie de famille.
Le titan et ses pratiques de mastodonte
On connaît les pratiques de la grande distribution. Le linéaire, le caddie, le linoleum, le catalogue des prix, les promos autrefois “réclames“, les Happy Hours, les rabais sur les achats groupés, les tickets cadeaux, les cartes de fidélité et le grand choix font le grand bazar, en somme. Tout cela attire le chaland. C’est en bout de caisse qu’on entend le client gémir ou hurler devant la douloureuse se jurant, un peu tard, à l’image du corbeau de la fable de la Fontaine, qu’on ne l’y prendrait plus. Mais ils finissent par remettre le couvert la semaine d’après.
Une évasion en hyper, c’est une occasion de sortie pour tous les membres de la famille, et alentour les autres magasins exercent leur fascination. Sans compter que les établissements de fastfood ont toujours des formules attractives qu’au bout du compte, lors d’une sortie en Mall, on finit par joindre l’utile à l’agréable.
Cependant, le petit commerce en a pris de l’ombre. Resté collé avec la clientèle peu friquée, le business en a pris un coup. On peut dire que le marketing offensif et conquérant de la grande distribution lui a réglé ses comptes, pour résumer la situation. Ce marketing, toutefois, ne lave pas tout blanc. Il se raconte que les promotions affichées sont souvent répercutées sur les fournisseurs. Ces derniers consentent ces rabais pour continuer à être référencés. Avec les super, ils réalisent des volumes. Et pour cela ils acceptent de grever leur marge. L’un dans l’autre ils finissent par se retrouver car le business avec les hyper est continu et ils arrivent à escompter leur papier auprès des banques, car les banques font confiance à la qualité de signature des hyper. Et il arrive que certains dirigeants d’hyper s’expliquent sur cette pratique. Ils soutiennent que près de 80% de la valeur se fait chez le fournisseur, par conséquent, en cas de promotion, il est le plus indiqué à supporter la baisse du prix.
Cette pratique directe découle davantage du pouvoir de marché des hyper que de la logique commerciale. Dotés d’une asymétrie de standing par rapport à leurs fournisseurs, ils se retrouvent en position de dicter les prix. C’est là un simple constat et non un jugement de valeur, nos lecteurs l’auront compris.
La supérette bouscule la donne
Et voilà que surgit la supérette. Elle rabote les prix par le haut. Les écarts sont très sensibles quoiqu’on en dise. Cela peut se vérifier sur tous les produits d’alimentation générale, et notamment les conserves alimentaires.
Les boites de thon -qui ont flambé sur le linéaire- restent à des prix abordables. Pareil pour les fruits secs et la droguerie et les produits d’hygiène. Les différences sont substantielles. On peut acheter à la pièce et à la coupe. On peut acheter un distributeur de mouchoirs, un rasoir, cent grammes de fromage à la coupe, mais les produits packagés, tels les packs d’eau, sont vendus en l’état. Et jamais de longue file à la caisse. Pas de perte de temps quand on est en commission en supérette. Et ils rendent la monnaie. Et ils donnent les sachets gratos. Et ils sont toujours disponibles.
Il faut reconnaître que pour l’instant ils font tourner leur boutique avec les restaurateurs et les fastfoods. Cela durera tout le temps que ces établissements ne seront pas assujettis à la TVA. Au-delà, on ne sait pas comment ils pourraient s’adapter, mais pour l’instant, à l’ombre du restaurateur, le client particulier fait ses affaires sans se ruiner, car il peut acheter à son gré et le tout à petits prix. Que demande le bon peuple !