Fadhel Abdelkefi : La Bourse de Tunis est un moulin moderne avec peu de grain à moudre

Intermédiaire en Bourse dans l’âme, Fadhel Abdelkefi a exercé ce métier pendant une bonne dizaine d’années. De cette expérience, l’ex-ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, et des Finances par intérim, ne garde pas un souvenir impérissable. Il en conçoit même une déception certaine, qu’il a dévoilée lundi 2 novembre 2017, lors de la 5ème édition du Forum de la gouvernance, consacré cette année au passage de la 2ème à la 3ème génération dans les entreprises familiales.

Pourtant, le nouveau président du Conseil d’administration de Tunisie Valeurs, qui a le premier de celui de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis (BVMT) de l’ère post-Ben Ali (2011-2014), espérait, avec ses collègues intermédiaires, un développement du marché des capitaux, avec l’introduction en Bourse d’un grand nombre d’entreprises et de groupes, notamment comme moyen de résoudre le problème de la transmission. «J’ai été très enthousiaste avec d’autres quant au développement du marché des capitaux en Tunisie», se rappelle l’ancien ministre. Enthousiasme qui est loin d’avoir été récompensé.

En effet, malgré «beaucoup de textes législatifs» et l’investissement dans une infrastructure technologique à la pointe du progrès, la Tunisie a aujourd’hui, en fait de Bourse -et l’image est de Fadhel Abdelkefi-, «un moulin très moderne et très peu de grain à moudre».

Alors que les intermédiaires tablaient sur 200 à 300 entreprises cotées à la BVMT, celle-ci n’en compte que 78, a une capitalisation de seulement 19 milliards de dinars et ne contribue au financement de l’économie qu’à hauteur de 7%.

Ceci est le premier motif de déception de l’ancien directeur général de Tunisie Valeurs.

Le second est que, même les entreprises et groupes qui ont franchi le pas sont, selon M. Abdelkefi, sont loin d’avoir eu un comportement exemplaire. Le président du Conseil d’administration de de Tunisie Valeurs est particulièrement déçu par «l’introduction la plus emblématique» celle qui devait restructurer un groupe –dont il n’a pas dévoilé le nom- créé «par 3 ou 4 personnes» et qui, à la veille de cette opération, «comptait plus de 140 actionnaires directs et indirects».

La décision du «patriarche», président du groupe en question, d’aller en Bourse «a été motivée par l’aspect patrimonial, d’abord, et l’avantage fiscal, ensuite, indique M. Abdelkefi. Et elle n’a pas été facile à mettre en œuvre, notamment parce que «ce genre de groupes est très compliqué» à restructurer. Pour diverses raisons. Dont, en particulier, le mélange des genres et la quasi-absence de frontière entre le patrimoine de l’entreprise ou du groupe et celui de la famille.

Fadhel Abdelkefi se remémore de cas où «on n’hésite pas à acheter un terrain sur le bilan de l’entreprise, alors que manifestement (il doit) servir à construire une maison pour un des actionnaires». Et il n’est pas près d’oublier que dans le cas de «l’introduction la plus emblématique» le flottant –c’est-à-dire la part des actions susceptibles d’être échangées en Bourse- a fondu comme neige au soleil au fil des ans –passant de 20% à moins de 5%- parce que «la famille a racheté ces titres après l’introduction».

Enfin, l’intermédiaire en Bourse s’insurge contre le fait qu’en fait de réunions du Conseil d’administration, on se contente parfois de préparer un procès-verbal et de le «faire tourner parmi les administrateurs» pour signature.

Le président du conseil de Tunisie Valeurs regrette que «les quelques abus-dérives n’aient pas été nécessairement relevés au bon moment». Et l’ancien DG de Tunisie Valeurs semble en imputer la responsabilité –en partie du moins- puisqu’il s’étonne de voir des commissaires aux comptes «rester 50 ans chez un même groupe. En cinquante ans, des liens d’amitié se créent. Or, un commissaire aux comptes n’est pas censé être l’ami d’un actionnaire. Il est censé le contrôler».

«Résultat des courses : tout au long de ces décennies, les principaux groupes familiaux ne se sont pas institutionnalisés», se désole Fadhel Abdelkefi.

MM