Défendant, vendredi 10 novembre 2017, son budget pour l’exercice 2018 devant la Commission parlementaire de l’industrie et de l’énergie, Imed Hammami, ministre de l’Industrie et des PME, a révélé que “les zones industrielles ne sont pas suffisamment exploitées par les sociétés industrielles”. Selon lui, “sur une superficie totale de 5 mille hectares, seulement 50% sont exploités, annonçant que son département est déterminé à récupérer les lots industriels non exploités et à les redonner à des initiateurs de projets plus sérieux.
Il a ajouté que, par l’effet de la corruption, de la bureaucratie et de l’absence d’accompagnement, des milliers de projets n’ont pas pu être réalisés.
En fait, ces révélations ne sont pas nouvelles. Elles sont longuement développées dans une récente étude de l’Agence de promotion l’industrie et de l’innovation (APII). En voici l’essentiel.
Quelque 7.548 projets n’ont pas été réalisés
Intitulée “Les problématiques de création et de pérennisation des entreprises en Tunisie durant la période 2005-2015” et dont le montant d’investissement est supérieur à 100 MDT, cette analyse a révélé que “7.548 projets industriels ont été déclarés entre 2005 et 2015 et n’ont pas été réalisés par la suite”.
La même étude a également montré que le nombre des Projets Non Réalisés (PNR) a connu une augmentation significative en passant d’une moyenne de l’ordre de 600 PNR/an au cours de 2005-2009 à plus de 900 PNR/an en 2010-2012″.
Autre révélation de cette étude: les PNR, durant 2005-2015, ont cumulé un investissement non réalisé de 12,5 milliards de dinars. Parmi ces projets, 400 (5% des PNR) sont de taille importante (investissement >=5 MDT) et représentent 57% du total des investissements prévus. Dix d’entre eux sont de très gros projets avec des investissements unitaires dépassant les 100 MDT et cumulent, à eux seuls, environ 21% du total des investissements.
Toutefois, il est important de noter que ces déclarations ne correspondent pas forcément à des projets viables. Les causes de non réalisation de ces projets correspondent dans plusieurs cas de figure à des éléments intrinsèques au promoteur lui-même et/ou à des facteurs remettant en cause la viabilité et la pertinence même du projet.
4.319 entreprises fermées et 250.000 emplois perdus
L’étude s’est également intéressée aux entreprises industrielles fermées au cours de la période 2005-2015, s’agissant d’entreprises comptant plus de 10 emplois. D’après cette étude, quelque 4.319 entreprises ont passé la clef sous la porte, causant la perte de près de 250.000 emplois.
L’analyse relève que la fermeture des entreprises n’a pas connu une forte tendance haussière après la révolution à l’exception d’un léger pic en 2011.
L’impact de la révolution a été ressenti surtout au niveau de la création de nouvelles entreprises. En effet, le nombre moyen d’entreprises manufacturières créées par an est passé de 470 sur la période 2005-2011 à 292 sur la période 2012-2015, soit une baisse d’environ 40%.
Par secteur, la répartition montre la prépondérance du secteur textile-habillement & Cuir et chaussures qui représente 59% des fermetures, soit près de 2.600 entreprises fermées sur la période 2005-2016, suivi par l’industrie mécanique et électrique (IME, 13%) et l’industrie agro-alimentaire (IAA 11%).
Par régions, l’analyse montre un taux de mortalité particulièrement élevé dans le Centre-est (47%) et le Nord-est (45%), contre des niveaux se situant entre 27% et 34% pour les autres zones. Cet écart reflète les spécificités sectorielles des régions avec notamment la prédominance du secteur textile & Cuir dans la zone Est.
Le taux de mortalité des entreprises étrangères est de 53% contre seulement 40% pour les entreprises tunisiennes.
Les motifs de fermeture sont nombreux. Au nombre de ceux-ci, l’analyse cite les conflits avec les associés, l’impact négatif des accords internationaux (accord multifibre pour le textile), des problèmes techniques, des difficultés de gestion, la concurrence du secteur informel, les conflits sociaux, l’instabilité politique et l’insécurité, la concurrence forte, les difficultés de débouchés, l’endettement lourd, les problèmes de liquidité…
Les pistes à explorer
Au rayon des solutions à apporter aux fins de relancer l’industrie, de garantir la pérennité des entreprises et d’améliorer le taux de réalisation des projets déclarés, l’étude de l’APII propose une stratégie en cinq points évoquée par l’actuel ministre de l’Industrie et des PME.
Il s’agit de faciliter l’accès au financement des entreprises et de développer une offre financière adaptée aux différents cycles de vie du projet.
Au niveau du coaching, cette stratégie propose la mise en place un dispositif d’accompagnement et de formation performant et coordonné offrant une assistance dans les différentes phases du cycle de vie d’un projet et permettant une diffusion de la culture entrepreneuriale.
Le plan arrêté a aussi pour objectifs de stimuler l’innovation au sein des entreprises et d’assurer un accompagnement adéquat des projets innovants.
Last and not least, la stratégie recommande vivement la simplification des procédures et des démarches de réalisation de l’investissement, la réduction au maximum des autorisations et l’amélioration de la disponibilité et de la qualité du foncier industriel.
On peut donc penser qu’avec cette stratégie, la visibilité du secteur de l’industrie devrait nettement s’améliorer. Il ne reste que la volonté et la bonne gouvernance pour la mener à terme.
Abou Sarra