La purge que viennent d’opérer les autorités de Riyad, dans les rangs des princes, ministres et hommes d’affaires a touché le principal investisseur tunisien Salah Kamel et ses fils dont la fortune est estimée à 2,2 milliards de dollars selon les calculs de Forbes.
Ces derniers ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête sur la corruption menée par la commission ad-hoc conduite par le prince héritier Mohamed Ben Salmane. Leur holding Dallah-Al-Baraka aurait perdu 47 millions de dinars en un jour suite aux nouvelles sur leur arrestation.
Selon les informations en provenance de Riyad, les avoirs du père et des fils ont été gelés mais leurs entreprises sont autorisées à poursuivre leurs activités.
Normalement, il en sera de même pour les entreprises du milliardaire implantées dans des pays étrangers dont la Tunisie.
Cela ne peut pas nous empêcher de se demander dans quelle mesure cette arrestation va impacter les investissements du milliardaire Salah Kamel et ses fils en particulier, et saoudiens en général, en Tunisie.
Interpellé sur cette question, l’expert économique Hassine Dimassi, ancien ministre des Finances, estime que cet impact ne sera pas immédiat et si jamais il aura lieu, il sera perceptible sur le moyen et le long terme. D’une manière générale, l’expert pense que les investissements du milliardaire saoudien ne sont pas aussi importants pour qu’on s’inquiète outre mesure.
Les investissements de Cheikh Salah Kamel
Pour mémoire, la holding Dallah-Al-Baraka, propriété de Salah Kamel, a entrepris, depuis les années 1980, des investissements en Tunisie.
Les plus visibles de ces investissements sont, manifestement, la construction de la nouvelle ville “Madinat El Bouheira” sur les berges nord du Lac de Tunis et la création de la première banque islamique en Tunisie, Baraka bank Tunisia.
Le premier investissement dans l’aménagement des berges nord du lac de Tunisie est géré par la Société tunisienne de promotion du lac (SPLT).
Le capital de cette entreprise, d’un montant de 34 MDT, est détenu paritairement par l’Etat tunisien et El Baraka, tandis que celui de la banque (100 MDT) est détenu à hauteur de 78,4% par la Holding El Baraka, 10% par l’Etat tunisien, 10% par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et 1,6% par d’autres actionnaires.
Les tunisiens sont particulièrement satisfaits de l’investissement dans la nouvelle ville édifiée sur une superficie globale de 1.324 hectares sur les berges du lac nord de Tunis, soit deux fois le centre de la capitale.
Aujourd’hui, cette ville est un «véritable poumon» pour les habitants du Grand Tunis. Grands et petits s’y rendent aux fins de décompresser, s’amuser, travailler, faire des affaires, du shopping, ou tout simplement faire de la marche et contempler la beauté du lac.
Le quartier des berges du lac nord de Tunis est une success story environnementale et urbanistique. Il a permis à la capitale d’avoir pour la première fois de son histoire une corniche digne d’une métropole littorale.
La SPLT, ouverte à tout ce qui est innovation urbaine, ne compte pas s’arrêter là. Elle a mis à profit la visite qu’avait effectuée en Tunisie, en 2016, Salah Kamel, pour annoncer toute une stratégie pour valoriser et animer le lot non construit à l’ouest d’El Bouheira et valoriser le plan d’eau accordé sous forme de concession au milliardaire pour y réaliser des projets futuristes de loisir et d’animation.
Mieux, la SPLT se veut une entreprise à la page de son temps. Elle compte s’adapter au smart urbanisme et s’y préparer avec le maximum de chances de succès.
L’impact au quotidien
Ce sont ces derniers projets, voire cette extension de la ville El Bouheira qui risquent d’être compromis par l’effet des arrestations du milliardaire Salah Kamel et de ses fils.
Au quotidien, ce sont les pratiquants musulmans qui accomplissent leurs prières à la grande mosquée d’El Bouheira qui risquent de pâtir d’une éventuelle dégradation de la qualité du service dans ce lieu du culte. Est-il besoin de rappeler que cette mosquée a été contruite et est entretenue par les soins de Salah Kamel. Par conséquent, si ce dernier ne peut plus assurer les frais d’entretien, cela risque de se faire sentir.
L’autre face de la médaille
Abstraction faite de ces satisfactions et ces éventuels risques, il faut rappeler que le nom de Salah Kamel et celui de son groupe ont figuré dans plusieurs rapports américains et européens faisant état de leur implication dans le financement de groupes terroristes.
Le nom de Salah Abdullah Kamel a été largement évoqué dans l’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001. Plus exactement, il a été cité dans la liste de la chaîne d’or ou «Golden Chain List» dans laquelle étaient mentionnés les 17 comptes suspects au lendemain de l’attentat.
Le lien idéologique entre les groupes financiers saoudiens et la diffusion du salafisme djihadiste a été, également, signalé, en 2013, dans un rapport d’enquête du Parlement européen. D’après ce rapport, l’Arabie saoudite a investi, par le biais de ses groupes financiers dont Al Baraka Group -qui est en même temps actionnaire de Bank Al-Chamal au Soudan (dont le co-fondateur était Oussama Ben Laden)- plus de 10 milliards de dollars dans la propagation du fondamentalisme islamique wahhabite dont les actes terroristes ne sont pas à démontrer.
Cela pour dire que l’investisseur n’est pas apparemment aussi propre qu’on pourrait le penser. La Tunisie, où le terrorisme djihadiste a fait plus de 200 morts dont l’assassinat de deux leaders politiques (Chokri Belaid et Haj Mohamed Brahmi), des dizaines de soldats et de sécuritaires et une cinquantaine de touristes, semble pourtant s’en accommoder.
A bon entendeur.