Presque totalement absente du paysage bancaire, financier et économique du pays, il y a une trentaine d’années, la finance islamique est en train de progresser à grands pas en Tunisie. Sur trois fronts en même temps : le secteur financier lui-même, l’enseignement supérieur-formation et la société civile. En cinq ans, le paysage financier du pays a de ce fait sensiblement changé.
Limitée pendant près de trente ans à la seule Al Baraka Bank (ex-Best Bank), la finance islamique compte aujourd’hui de nombreux acteurs. Le deuxième à faire son entrée –fracassante- en mai 2010 sur ce marché alors naissant n’est autre que la Banque Zitouna. Dont l’initiative revient, rappelons-le, à l’un des gendres de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, Sakher El Materi. Qui, pour lancer cette banque, a réuni un tour de table regroupant quelques-uns parmi les plus importants groupes et chefs d’entreprise du pays (…).
Depuis, le secteur financier a vu de nombreux établissements financiers déjà existants lancer des produits de finance islamiques et de nouveaux se créer, dont trois sociétés d’assurances Takaful, et une nouvelle banque islamique (ex-El Wifak Leasing) en 2015.
Ce mouvement a été facilité un tant soit peu par l’adoption d’une nouvelle loi bancaire en mai 2016 qui est venue donner la possibilité aux banques et aux établissements financiers «conventionnels» de s’adonner aux opérations bancaires islamiques sur la base d’une autorisation préalable de la Banque centrale de Tunisie (BCT), et encadrer de telles opérations.
Ayant vu naître une demande et un besoin pour des formations dans un secteur, la finance islamique, dont les opérateurs financiers ignorent presque tout, les universités se sont mises à rivaliser d’offres. Aujourd’hui, plusieurs d’entre elles proposent des cursus sanctionnés par des licences, masters ou masters professionnels. C’est notamment le cas de l’École Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis (ESSEC).
Parce que la Tunisie «entame une migration vers un système financier mixte qui regroupe à la fois des institutions financières conventionnelles et des institutions financières islamiques», et aura de ce fait besoin de cadres spécialisés, cet établissement a mis en place à partir de l’année universitaire 2012-2013 un master professionnel intitulé “l’exécutive MBA en finance islamique”.
D’autres en ont fait de même à la même époque ou par la suite, comme l’Université Internationale de Tunis, l’Institut des hautes études de Tunis (IHET), la Faculté des sciences économiques et de gestion de Sfax, l’Institut supérieur de comptabilité et d’administration des entreprises (ISCAE), etc.
D’autres établissements, à l’instar de l’Ecole du commerce de Tunis ou de l’Université Zitouna ont opté pour un autre format –les séminaires- afin de diffuser la culture et la finance islamiques.
Des bureaux de formation se sont également lancés sur ce créneau. Le dernier en date a été créé début novembre 2017. Il s’appelle Islamic Finance Training Institute et est destiné à assurer une formation professionnelle en matière de finance islamique. L’initiative en revient à Mohamed Anouar Gadhoum. Ce spécialiste de la finance islamique, très actif en Tunisie où il est déjà engagé avec le groupe Banque Zitouna (membre du comité charaïque des Assurances El Amana Takaful et membre du conseil de Zitouna Tamkeen mais également sur le plan international puisqu’il exerce également à BNP Paribas (Islamic Wealth Management Center), au The international shariah Research Academy in Islamic Finance et au Malaysian International Financial centre (Kuala Lampur, Malaisie). Mais Islamic Finance Training n’est pas le seul à proposer ce genre de service. Plusieurs bureaux de ce genre ont été créés, surtout à partir de 2012.
Le troisième canal de l’offensive de cette discipline est la société civile. Plusieurs associations (Association tunisienne de la finance islamique, Conseil de la finance islamique de Tunisie, Sfax International Forum Islamic Finance, etc.) ont été lancées au cours des cinq dernières années dans le même but : pousser à l’intégration de la finance islamique dans le système financier tunisien.
Last but not least, les partis de la mouvance islamique -Ennahdha en particulier- ont été le plus important vecteur de l’offensive pour la diffusion de la culture et de la pratique de la finance islamique en Tunisie. La preuve en est que le Conseil de la finance islamique de Tunisie (COFIT), créé en mars 2012, c’est-à-dire au tout début du règne de la Troïka, a pour promoteurs des personnalités affiliés du parti présidé par Rached Ghannouchi ou proches.