Ali Ben Larbi, universitaire spécialisé dans la sociologie culturelle et ancien haut cadre des départements de la Culture et de l’Information, vient de publier, en langue arabe, un ouvrage intitulé : “Les politiques de la culture à prôner “(Siasset Ethakafa allati nourid).
Cet essai est truffé d’informations exclusives sur les politiques et projets culturels menés en Tunisie avant et après l’indépendance.
Loin d’être un simple travail documentaire, cet essai est un précieux témoignage d’un universitaire doublé de chercheur.
Dans cette interview accordée à Webmanagercenter, Ali Ben Larbi revient, dans une première partie, sur les raisons qui l’ont amené à écrire cet ouvrage sur les repères historiques de la politique culturelle en Tunisie depuis 1946 jusqu’à 2011, sur les acquis accomplis en matière de logistique et de développement culturel et sur les obstacles qui ont entravé la réalisation de certains projets avant-gardistes.Â
Entretien
WMC : Comment l’idée vous est venue pour écrire cet essai sur la culture en Tunisie?
Ali Ben Larbi : J’ai écrit cet ouvrage pour trois raisons principales. La première consiste en le fait d’avoir été responsable au sein du département de la Culture, d’avoir été au centre de la vie culturelle des décennies durant et d’avoir participé à trois conférences mondiales de l’UNESCO sur la politique culturelle: celles de Venise en 1970, de Mexico en 1982 et de Paris en 1996.
Si les deux premières conférences internationales s’étaient intéressées à la dimension culturelle du développement, la troisième a porté sur la diversité culturelle.
J’ai participé également à des réunions régionales en Europe et en Afrique.
Pour mémoire, Chedli Klibi, Mahmaoud Messadi, Habib Boularés, Bechir Ben Slama avaient conduit les délégations tunisiennes à ces conférences internationales et régionales. Ces quatre ministres au temps de Bourguiba ont contribué, de manière significative, à la conception du Projet culturel tunisien.
La deuxième raison est d’ordre universitaire. En 2005, le directeur de l’IPSI de l’époque, Mohamed Hamdane, m’avait demandé d’assurer un cours sur les politiques culturelles en Tunisie. J’ai accepté sa demande et assuré ce cours de 2005 à 2010 à la faveur de mon background personnel et des travaux de recherche menés dans les bibliothèques de l’UNESCO. Ce qui m’a permis de confectionner un cours de grande facture et d’une richesse inédite.
La troisième raison qui m’a encouragé à écrire cet essai est la dégringolade qu’a connue la culture après la révolution du 14 janvier 2011, et le sentiment de faire quelque chose pour rappeler aux jeunes générations que leurs aînés avaient travaillé avec passion sur des projets culturels antérieurs.
Quels sont selon vous les grands moments de l’histoire de la politique culturelle en Tunisie? Est-ce que vous pouvez nous citer des repères?
Le titre m’a été inspiré, justement, par une succession de repères et d’événements de politiques culturelles que je vais énumérer.
En 1946, l’écrivain Mahmoud Messai avait écrit un article de presse dans la revue “El Mabaheth intitulée “Quelle culture prôner pour la Tunisie?”.
En 1956, la revue El Fikr avait publié un numéro spécial ayant pour thème “quelle culture prôner?” et demandé à une trentaine d’intellectuels de répondre à une dizaines de questions sur la politique culturelle tunisienne et de répondre surtout à la question “cette culture devrait-elle être une culture arabo-musulmane, une culture orientale ou une culture occidentale?“
Parmi les intellectuels qui avaient participé à ce questionnaire figuraient Ali Belahouane, Ahmed Ben Salah, Amine Chebbi, Mahmoud Messadi, Ferid Ghazi, Mahjoub Ben Miled, Ahmed Abdessalem, Tahar Guiga, Mohamed Yahiaoui…
Ils étaient unanimes pour plaider dans leurs réponses, avec des nuances près, pour une biculture, une culture arabo-musulmane ouverte sur le monde, notamment le monde occidental.
En 1961, le président Bourguiba avait décidé de créer un département dédié à la culture qu’il avait confié à Chedly Kilibi, lequel avait présenté le meilleur projet culturel.
Ce projet, inspiré de celui du ministre français de la Culture de l’époque, André Malraux, avait été axé sur la création de comités culturels dans de toutes les régions et de maisons de la culture dans les délégations.
En 1968, lors du 2ème congrès des comités culturels régionaux au Kef, Bourguiba, qui suivait à la radio les travaux de ce congrès, décida de créer un fonds budgétaire dédié au financement des activités culturelles.
En 1980, Ridha Ben Slama, alors ministre de la Culture dans le gouvernement de Mohamed M’zali, a créé le Fonds de développement culturel qui sera financé à partir de taxes prélevées sur les boissons alcoolisées.
En 1986, Zakaria Ben Mustapha, nouveau ministre de la Culture en remplacement de Ridha Ben Slama, annula le Fonds de développement culturel sans supprimer les taxes créées pour alimenter ledit Fonds. Ces dernières sont allées renflouer les caisses de l’Etat.
Entre 1987-2011, 10 ministres se sont succédé à la tête du ministère de la Culture. Durant cette période, la politique culturelle est tracée à partir de la Journée nationale de la culture. Désormais, c’est Ben Ali qui décide en la matière et c’est aux ministres de la Culture d’exécuter.
2011-2016, c’est la transition démocratique, plus de 5 ministres se sont relayés à la tête du département de la Culture, à savoir Azedine Bachaouch, Mehdi Mabrouk, Latifa Lakhdar, Mourad Sakli, Sonia MBarek, Mohamed Zine El Abidine. Six ministres en sept ans pour une poignée de décisions dont les plus importantes sont prises au temps de Mourad Sakli, s’agissant de la création du mécénat.
Comment expliquez-vous que 61 ans après l’indépendance et la succession de 20 ministres à la tête du ministère de la Culture, le secteur de la culture ne soit pas encore affirmé comme une activité solide et pérenne?
Il faut reconnaître qu’il y a eu de bonnes décisions qui auraient dû améliorer sensiblement l’image de la culture en Tunisie. J’en citerais deux : la création, en 1982, d’un code d’investissement culturel, la création, en 1975, d’un Conseil supérieur de la culture pour superviser l’activité culturelle.
Si jamais ces projets avaient vu le jour, ils auraient suffi, aux côtés de la logistique déjà en place -maisons de culture, comités culturels régionaux, festivals réguliers, Journées culturelles internationales (théâtre, cinéma), instituts de formation (Institut supérieur d’arts dramatiques, Institut supérieur de musique et Institut de formation des animateurs culturels)- à améliorer la visibilité de la culture dans le pays. Cela n’a pas été le cas malheureusement, car il n’y a eu ni application rigoureuse ni suivi de la part des administrateurs du ministère de la Culture. Cela est dû au fait que ces administrateurs n’ont jamais eu la formation requise pour être des administrateurs culturels. C’est un mal qui ronge toujours ce ministère.
Propos recueillis par Abou Sarra
Suivra la deuxième partie