Dans cette 2ème partie, Ali Ben Larbi, auteur de l’essai “ les politiques de la culture à prôner” évoqué, de façon détaillée, l’économie, de l’industrie et de l’investissement culturels en Tunisie, et surtout de sa plus-value pour l’économie du pays.
Vous avez réservé tout un chapitre à l’économie culturelle et à l’investissement culturel, pourtant, dans la réalité on ne voit aucune trace de cette industrie culturelle. Voudriez-vous nous expliquer pourquoi cela n’a pas marché?
Si on ne voit rien, c’est la faute des ministres des Finances et de l’Economie qui se sont succédé dans le pays qui n’ont jamais cru à la culture. Pour eux la culture n’est pas rentable. Pour eux, investir dans la culture c’est investir à fonds perdus. Leurs justifications consistaient à dire qu’il n’y pas de plus-values culturelles.
Cette approche a toujours été une raison pour dissuader les privés à investir dans la culture, c’est-à-dire que seul l’Etat providentiel peut s’aventurer dans ce domaine.
Pourtant l’industrie culturelle est une activité prospère et fort rentable dans des pays sans passé culturel?
L’UNESCO, dans ses études et lors de ses réunions régionales et internationales, a constamment tenu à prouver le contraire et à affirmer haut et fort que l’industrie culturelle est une activité rentable et à forte employabilité.
Dans cette perspective, j’ai montré dans mon livre que la Tunisie avait précédé cette prise de conscience l’UNESCO tant elle s’était employée, au lendemain de l’indépendance, à mettre en place la logistique nécessaire pour lancer cette industrie.
En 1965, Bourguiba et son ministre de la Culture avaient créé la SATPEC pour promouvoir la production cinématographique, la Société tunisienne de diffusion (STD) et la Maison de Tunisie d’édition (MTE) pour la distribution et la production du livre.
Ces trois fleurons de l’industrie culturelle en Tunisie ont permis au cinéma tunisien de se développer, à l’industrie du disque de se développer (société Ennagham, filiale de la STD) et aux maisons d’édition de se créer.
C’est seulement plus tard que l’UNESCO avait encouragé les pays membres à développer des industries culturelles.
Pour preuve, à la fin des années 60, Rafik Saied, homme de culture tunisien, avait publié, sur initiative de l’UNESCO, la collection “Politiques culturelles : études et documents” sur les politiques culturelles des Etats membres. Dans cette publication, il s’est étendu sur le cas de l’industrie culturelle en Tunisie.
L’enseignement à tirer ici c’est que si l’Etat peut créer une industrie culturelle, les investissements privés le peuvent encore mieux. Seulement leur peur de la non-rentabilité des projets culturels les a toujours freinés dans leur élan.
La chance n’était pas également de leurs côtés. L’arrivée, en 1970, de Hédi Nouira en tant que Premier ministre et sa politique purement économique, a fini par l’abandon pour non-rentabilité de tous les fleurons de l’industrie culturelle tunisienne : STD, MTE, SATPEC, Ennagham.
Les privés qui se sont jetés sur les restes de cette industrie ont fini par céder et jeter l’éponge à leur tour. L’exemple de Zina film, société qui produisait des feuilletons et dont le promoteur est un investisseur saoudien, a fini par rendre le tablier.
Même au temps de Ben Ali des projets ont vite été abandonnés après leur lancement. C’est le cas de la Société de production audiovisuelle.
Selon vous, qui en est responsable?
Tout simplement, les investisseurs privés qui se sont aventurés dans cette activité et les ministres de l’Economie et des Finances qui se succédé n’ont jamais cru à l’industrie culturelle.
Un ministre des Finances célèbre aimait dire chaque fois que le dossier de l’industrie culturelle se présentait devant lui : “de quelle industrie parlez-vous, de l’industrie de Zina et Aziza ?”, pourtant deux célèbres danseuses tunisiennes. Une formule lapidaire qui résumait son approche de la culture à cette époque.
Autre anecdote : durant les années 70, une ministre américaine du Commerce en visite en Tunisie avait demandé à son collègue tunisien pourquoi la Tunisie, connue internationalement pour son passé historique glorieux, n’arrive pas à connaître un élan économique comme les pays voisins (Algérie, Libye), lui suggérant d’intensifier les forages pour découvrir du pétrole.
Le ministre tunisien lui a répondu que ce legs historique nous coûte plus qu’il nous en profite puisqu’à chaque forage à la recherche du pétrole, on découvre des ruines et sites archéologiques, ce qui nous oblige à prévoir de nouveaux fonds pour les protéger et les préserver à fonds perdus.
Que faut-il faire pour relancer, sur de nouvelles bases, cette industrie culturelle qui fait le grand bonheur de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, la Chine…?
Il faut tout simplement de nouvelles générations et un autre gabarit de responsables pour croire à un nouveau projet culturel et son corollaire, le développement d’une industrie culturelle.
Pour mémoire, Bourguiba assistait aux réunions des écrivains tunisiens et les encourageait à créer une industrie du livre et à compter sur l’Etat pour le financement. Hélas, nous sommes bien loin de cette époque.
Concrètement, que peut-on faire dans l’immédiat?
Je pense qu’il y a un intérêt à commencer à valoriser la politique menée jusque-là avec succès pour le développement des musées, politique que l’UNESCO a qualifié d'”exemplaire”.
La Tunisie dispose en effet d’un réseau de musées très riche. Cela va du musée de Bardo à ceux de Raqada à Kairouan, à Sousse, à El Jem et à Djerba, sans compter Dar Ben Abdallah, le centre d’arts et de traditions populaires à la médina de Tunis…
Mieux, la Tunisie dispose, au musée de Sousse, de la plus importante collection de mosaïque dans le monde. Il suffit de promouvoir intelligemment ce patrimoine pour drainer des milliers de touristes étrangers.
Moralité de l’Histoire que doit-on retenir?
Nous sommes malheureusement dans un pays où on ne croit pas à la culture et encore moins à la plus-value de la culture.
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Propos recueillis par Abou Sarra