Le gouvernement est appelé à préparer un “Plan B” pour faire face à la crise qui va s’aggraver et qui ne sera pas résolue par la loi de finances 2018 (LF 2018) approuvée par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), soulignent des chefs d’entreprise et des experts-comptables.
Intervenant, vendredi 22 courant à Sfax lors d’une rencontre-débat organisée à l’initiative de la Section régionale de l’IACE (Institut Arabe des chefs d’entreprise), ils ont souligné que ce ” Plan B ” nécessite la mise en place d’une panoplie de mesures courageuses engageant, entre autres, le processus de privatisation d’un nombre d’entreprises publiques, la révision du système de compensation, la réforme du système administratif jugé très en retard par rapport aux aspirations des investisseurs et une vraie lutte contre le commerce parallèle, la contrebande et la corruption.
Le budget de l’Etat est ” sans vision stratégique, sans qualification politique et il a été élaboré sur la base d’hypothèses non confirmées et des réalisations incertaines… “, a estimé l’expert-comptable Walid Ben Salah, qui a présenté une analyse critique du budget de l’Etat et de la loi de finances 2018.
Et d’ajouter que ce budget qui a été préparé et approuvé “sous tensions politique, connaîtra des difficultés de levée de fonds, avec une pression fiscale et une dette publique trop élevées.
Ben Salah, qui intervenait en présence du conseiller du chef du gouvernement chargé des réformes fiscales, Fayçal Derbal, et de la consultante Habiba Louati, a fait savoir que les objectifs ambitieux de la LF 2018 n’auront pas de chances de réalisation -à l’image du taux de croissance de 3%- tant que les entreprises publiques continuent à peser lourdement sur le budget de l’Etat alors qu’elles étaient une source considérable pour l’Etat et la mobilisation des fonds propres..
“Le budget de compensation qui s’élève à 3,3% du PIB, l’évolution des dépenses et des rémunérations publiques qui ont évolué de 65% et l’augmentation de l’endettement de 25 points en 5 ans, en plus du déficit des caisses sociales, sont autant de facteurs qui ne peuvent permettre un redressement de la situation économique du pays et une vraie réforme du système que prévoit le budget de 2018”, a mis en garde M. Ben Salah..
Commentant cette analyse, le conseiller du Chef du gouvernement chargé des réformes fiscales, Faiçal Derbal a fait savoir que même si les analyses et données présentées par Ben Salah sont dans l’ensemble véridiques, le tableau n’est pas aussi sombre qu’il a été présenté.
Faisant allusion aux plateaux télévisés et aux hommes politiques qui se sont attaqués à la nouvelle loi de finances, Derbal a affirmé que “la politique pollue l’économique”, qualifiant la LF 2018 “d’audacieuse et ambitieuse …”.
Pour lui, elle ne doit pas être examinée de manière déconnectée du programme économique du gouvernement 2018/ 2020 qui trace un véritable chemin de sortie de crise de la Tunisie. Ce programme, a-t-il encore indiqué, prévoit à l’horizon 2020 un taux de croissance de 5% (augmentation d’un point par an), un déficit budgétaire de 3% maximum et un taux d’endettement plafonné à 70%.
La nouvelle loi comporte 56 articles qui traitent de la fiscalité, répartis presque à parts égales entre les dispositions destinées à mobiliser plus de ressources fiscales, celles visant la lutte contre la fraude et le renforcement de l’équité et enfin celles visant le soutien de l’investissement et l’encouragement, a-t-il expliqué. C’est vrai que 13 dispositions vont augmenter la pression fiscale mais elles vont permettre d’améliorer la contribution de l’impôt”, reconnaît-il.
Le Conseiller du Chef du gouvernement n’a pas manqué de rappeler les conditions contraignantes de préparation de la loi de finances en disant: ” c’est vrai la situation est très critique, mais c’est à cause de la lourdeur de l’héritage et de la pression du FMI qui exige une capacité de mobilisation des ressources propres “. ” Le FMI reste quand même la locomotive des autres bailleurs de fonds et la mission des ses experts du 28 novembre au 13 décembre en Tunisie, était une des plus lourdes “, a-t-il encore expliqué, estimant qu’il faut rester optimiste “.
Cet optimisme n’était pas partagé par le reste des intervenants. Le Président de la Section régionale de Sfax de l’IACE, Ahmed Masmoudi, considère que la LF 2018 propose “des mesures fortement contestées et surtout douloureuses pour les contribuables, des mesures enveloppées dans un projet de texte qui ne plait qu’à son auteur… et encore “. Pour lui, “nul n’était satisfait du projet, les patrons comme les salariés, les entreprises comme les ménages”.
L’ancien ministre et membre fondateur de l’IACE, Hedi Zeghal, a, pour sa part, tiré la sonnette d’alarme quant à la situation économique du pays. “Les ressources sont chez les voleurs et les contrebandiers qui sont toujours là alors que les chefs d’entreprises et les employés souffrent”, a affirmé le responsable, ajoutant que “malgré la bonne volonté du chef de l’Etat, la corruption est toujours de mise”.
Faisant allusion à la non-approbation par la Commission des finances relevant de l’ARP de la disposition relative à la révision du système forfaitaire dans le cadre de la réforme fiscale, Zeghal a appelé le gouvernement à dénoncer le comportement des députés qui s’opposent aux initiatives de réformes visant à permettre au pays d’éviter la dérive et le chaos..
“Pour qu’il y ait une vraie réforme et équité fiscales, il est impérativement d’instaurer des terminaux de paiement chez les commerçants et les professions libérales”, a recommandé l’un des intervenants.
Notons que la consultante Habiba Louati a analysé nombre de dispositions de la LF 2018 de point de vue technique et fiscaliste. Ses éclairages ont touché particulièrement la question de l’extension du champ d’application de l’Impôt sur les sociétés de 25 à 35%, l’augmentation du taux de la retenue à la source libératoire sur les dividendes distribués, l’institution d’une contribution sociale de solidarité (art 53) visant à atténuer le déficit des caisses sociales, la révision du régime forfaitaire, (art 16), la révision des taux de la TVA, et des taux du droit de consommation (art 45), visant à faire face au marché parallèle, et à la contrebande.