Belle initiative que celle prise tout récemment par Enactus Tunisie en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer Stiftung de mettre face-à-face les jeunes universitaires tunisiens et les ambassadeurs d’Allemagne, de France, de Roumanie ainsi que le représentant de la CEE en Tunisie. Le but était de débattre des opportunités que pourraient offrir l’Europe aux jeunes tunisiens en termes d’enseignement, de stages, d’emplois, de recherche scientifique et d’échanges culturels. Comment nos jeunes voient leurs futures relations avec l’Europe, premier partenaire économique et très proche géographiquement de la Tunisie.
L’Europe a beaucoup apporté aux pays du Sud de la Méditerranée, ces pays ont également été très loin dans des contrées où, outre le modèle migratoire classique, nombreux ont été les surdoués qui ont brillé par leurs compétences, leurs expertises et leurs innovations.
Parmi eux, Nader Masmoudi, vainqueur du Prix Fermat 2017“ qui avait déclaré à l’occasion : «J’espère que cette distinction pourra être une source d’inspiration et de stimulation pour les jeunes tunisiens qui veulent réussir leur carrière, briller et remporter des prix de valeur».
Cet universitaire tunisien installé aux Etats-Unis est le premier et seul Arabe et Africain à remporter la médaille d’or aux Olympiades internationales de mathématiques. Mais avant de gagner ses galons aux USA, il a obtenu son baccalauréat au Lycée pilote de Tunis et est passé par la France où il a intégré l’Ecole normale supérieure et devenir doctorant au Centre national de recherches de Paris.
Des Nader Masmoudi, il en existe beaucoup en Tunisie, autrement dit des surdoués dans l’entrepreneuriat, dans les disciplines scientifiques, la recherche, la médecine, la biologie, les arts et la culture mais qui n’ont pas tous eu les mêmes opportunités pour s’imposer aussi bien en Tunisie qu’à l’international.
Des routes à ouvrir et des chemins à parcourir
«Aux jeunes, ne traçons pas un seul chemin; ouvrons-leur toutes les routes», disait Léo Lagrange sous-secrétaire d’État français aux Sports et à l’Organisation des loisirs dans le gouvernement Léon Blum I et II.
Et des routes à ouvrir, il y en a beaucoup pour les jeunes universitaires brillants et dont les avenirs devraient être plus prometteurs. Car des success stories, il y en a, et nous pouvons en avoir beaucoup mais à condition que l’on puisse leur ouvrir les portes et baliser le terrain.
Nombre d’observateurs s’accordent à dire que la science, la technologie et l’innovation jouent un rôle fondamental dans le décollage de la Tunisie et l’amélioration du bien-être de tous les Tunisiens. Mais dans un premier temps et au-delà du rassemblement des experts, des citoyens et surtout des jeunes, la mobilité des étudiants est fondamentale. Et qui dit mobilité dans le sens du processus de Bologne, dit mobilité au niveau des universités ainsi qu’au niveau des pays. Aujourd’hui, la mobilité entre les différentes institutions d’une même université est très difficile en Tunisie, ce qui est paradoxal! Cela coûte énormément d’argent et un surplus de charges administratives. A l’international et avec les pays européens, il va falloir arriver à un accord pour que chercheurs et étudiants bénéficient d’un type de “visa spécial“ de longue durée d’au moins 5 ans. Aujourd’hui, c’est la croix et la bannière pour avoir de visas pour les stagiaires et les étudiants-chercheurs.
Et pourtant, la Tunisie, telle que citée dans le mémo publié en mai 2017 par l’Union européenne, est, depuis le 1er janvier 2016, le premier pays arabe pleinement associé au Programme de recherche de l’UE “Horizon 2020“, offrant de nouvelles opportunités aux chercheurs et universitaires tunisiens. C’est aussi le seul membre du programme ‘Europe créative‘, le programme de la Commission européenne visant à soutenir les secteurs de la culture et de l’audiovisuel.
Cette adhésion permet aux acteurs tunisiens de la culture et de l’audiovisuel de bénéficier d’initiatives qui encouragent la coopération, les plateformes et les réseaux transfrontaliers, ainsi que la traduction littéraire et la conception et distribution d’œuvre audiovisuelles, et ce pour trois ans, 2017/2020. Les porteurs de projets, créateurs et associations, pourront bénéficier des subventions européennes à la culture dont l’enveloppe s’élève à 1,4 milliard d’euros. Ce programme peut promouvoir les livres, les arts et le patrimoine. Nos créateurs pourront en profiter à travers le desk «Europe Créative» ouvert à Tunis.
Pour l’Europe au regard de la singularité de la Tunisie, et comme stipulé dans le mémo, il est important d’identifier toutes les opportunités, d’appuyer la transition et de renforcer les liens entre les Tunisiens et les Européens. Le Partenariat pour la mobilité (PPM), conclu en 2014, offrirait le cadre global et structuré pour le dialogue politique UE-Tunisie en matière de migration, et vise à mieux gérer le soutien opérationnel et financier apporté dans ce domaine.
Le PPM avec la Tunisie identifie un large éventail de priorités en matière de gestion de la migration: la mobilité, la migration légale et l’intégration, la lutte contre l’immigration clandestine et la traite des êtres humains, le retour et la réadmission, la gestion des frontières, la migration et le développement, l’asile et la protection internationale.
Au cours des deux dernières années, la migration a été un point soulevé régulièrement dans les échanges de haut niveau avec les autorités tunisiennes et la société civile. Et toujours d’après le rapport, les engagements réciproques dans le cadre du PPM prévoient l’ouverture des négociations sur un accord de facilitation des visas et un accord de réadmission.
41,5% des chercheurs tunisiens collaborent avec la France (premier pays partenaire de la Tunisie dans le domaine de la recherche), 4,5% avec l’Espagne, 4,4% avec les Etats-Unis, 4,2 avec l’Italie et 2,8% avec le Canada.
Ces chiffres pourraient être améliorés si l’on pouvait mettre en place des accords en faveur de visas spécifiques à l’intention des étudiants et universitaires chercheurs.
La Tunisie, pays le mieux nanti du programme Erasmus+
L’un des programmes les plus importants qui pourraient répondre à ces attentes est peut être Erasmus+, nouveau programme de mobilité internationale financé par la Commission européenne et basé sur l’excellence académique et scientifique entre l’Europe et les pays non européens, dans le cadre du programme Erasmus 2014-2020.
L’objectif principal de ce programme est de renforcer la coopération entre les établissements d’enseignement supérieur des pays européens (dits “pays du programme”) et des pays non européens (dits “pays partenaires”), grâce à l’attribution de bourses de mobilité d’excellence.
Les projets de renforcement des capacités consistent à former des formateurs issus des établissements universitaires, à mettre en place des programmes communs durant les différentes cycles d’études (licence, master, doctorat) et à moderniser et diffuser de nouveaux programmes et méthodes d’enseignement.
Les programmes de mobilité internationale Erasmus+ ont réussi à cibler pratiquement toutes les universités tunisiennes et tous les domaines d’études. Les écoles d’ingénieurs ont été les plus nombreuses à décrocher des projets.
Afin de maximiser les chances des établissements universitaires de tirer profit de ce programme, le bureau national Erasmus+ Tunisie a mis en place 154 points de contact dans les universités tunisiennes.
La Tunisie est l’un des pays qui profitent le plus des échanges avec les pays européens dans le cadre du programme Erasmus (près de 1.700 universitaires tunisiens en auraient bénéficié depuis son lancement en 2012).
Quoi de plus normal lorsque l’on sait qu’à l’aube de son indépendance, la Tunisie a consacré le tiers de son budget à l’éducation. La loi promulguée le 4 novembre 1958 stipule que l’enseignement supérieur a pour rôles fondamentaux de :
– dispenser, dans les divers domaines des sciences, des techniques, des lettres et des arts, une culture de plus haut niveau;
– contribuer dans ces mêmes domaines au développement et au progrès continus de la science, ainsi que des conceptions, des moyens et des méthodes de la recherche scientifique;
– former les chercheurs et les savants et de leur fournir les voies et moyens de nature à permettre l’épanouissement de leur activité scientifique créatrice;
– diffuser le savoir et l’amour du savoir, capacité de gérer la complexité du monde et de s’adapter aux métiers de demain;
– préparer à l’insertion professionnelle: formation pertinente adaptée aux besoins du marché du travail;
– assurer la formation des cadres supérieurs, scientifiques, techniques et non techniques, nécessaires à la vie de la Nation et notamment celle des maîtres de l’enseignement du second degré, et de faire bénéficier l’enseignement à ses divers degrés, des progrès de la science et des connaissances.
Mais même si elle est aujourd’hui classée au 60ème rang mondial en termes de publications scientifiques et 1ère position à l’échelle africaine rapportées au PIB ou au nombre d’habitants, la recherche scientifique en Tunisie reste handicapée par des contraintes administratives. D’où le besoin d’un appui sérieux de la part des partenaires européens pour mettre en place des politiques complémentaires et renforcer ses moyens dans la recherche scientifique non pas uniquement par des lignes de financement, mais par une politique consistante d’échanges de chercheurs et universitaires tunisiens et européens.
A lire et relire les clauses du Partenariat pour la mobilité (PPM), on a l’impression qu’il a été mis en place beaucoup plus pour sécuriser les frontières des pays européens et juguler une immigration sauvage qui pourrait menacer une Europe qui vient de réaliser qu’elle est vulnérable sur le plan sécuritaire que pour réellement aider la Tunisie à se repositionner sur l’échiquier international pour tout ce qui se rapporte à la recherche scientifique, innovation, culture entrepreneuriale et arts.
En Tunisie, il existe 13 universités, 205 établissements d’enseignement supérieur et de recherches scientifiques et 37 écoles doctorales, 40 Centres de recherches comprenant 21 centres équipés de laboratoires évalués par le CNEARS. Le pays se prévaut de 314 laboratoires de recherches et 324 unités de recherches dans les universités et centres de recherches. Un financement réparti ainsi : l’enseignement supérieur (73%); l’agriculture (12%); la défense, l’intérieur, les affaires sociales, la jeunesse, sports et technologies de la communication (3%).
En Tunisie, il y a 20.000 chercheurs dont la moitié est titulaire de diplômes de doctorat et 14% d’enseignants-chercheurs de rang A.
Le financement de la recherche est à 95% public et correspond à 0,66% du PIB. Ces financements avaient presque doublé entre 2000 et 2012. Ils ont été réduits durant la période 2013-2015.
Le financement de la recherche par le secteur privé en Tunisie reste très limité malgré les bonnes performances de la recherche. En 2016, parmi les 59.000 diplômés, on a dénombré 1.100 docteurs et relevé le faible nombre de contrats avec les entreprises ainsi que celui des brevets.
De l’expertise, des compétences non exploitées et des opportunités non saisies en l’absence, en dehors du programme Enactus, lancé il y a 8 ans, de l’introduction de la culture entrepreneuriale au sein des universités. Des conditions plus souples au niveau de la mobilité des universitaires et des chercheurs ainsi que l’augmentation du nombre de stages à l’international serviraient à améliorer la qualité des formateurs en Tunisie et le rendu des recherches grâce aux échanges enrichissants avec des centres de recherches dotés de moyens plus substantiels.
En Tunisie, les chemins de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique sont escarpés et les progrès réalisés sont en dents de scie pour nombre de raisons comme nous en avons déjà parlé: entraves financières, réglementations désuètes et difficultés pour les chercheurs tunisiens de se mouvoir dans des environnements propices à la recherche tels ceux existants en Europe ou dans d’autres pays.
Beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire, et nous voulons toujours croire en cette Europe de l’ère des lumières qui pourrait offrir aux jeunes universitaires tunisiens brillants l’opportunité de faire montre de leurs capacités et d’en faire profiter leur pays.
«L’Europe a toujours eu les meilleures et les plus belles Universités du monde. C’est là que sont nées nos plus belles idées, celles qui ont inspiré nos plus grandes œuvres : les notions de liberté, de dignité humaine, de fraternité», disait Romain Gary. Ce à quoi pourrait correspondre la citation de Bachir Mazouz, Pr titulaire à l’Ecole nationale d’Administration publique du Québec : «Je me souviens ! Plus que l’ambition humaine, c’est le sens du devoir qui devrait rendre légitime toute quête d’excellence».
L’Europe du 21ème siècle estime-t-elle qu’il est de son devoir de légitimer toute quête d’excellence venant de ses voisins du Sud?
La question mérite réponse.
Amel Belhadj Ali