Chawki Gaddes, président de l’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), estime inadmissible d’inclure les empreintes de plus de 8 millions de Tunisiens dans une seule base de données, en allusion au projet de loi portant institution de la Carte d’identité nationale biométrique.
Actuellement en examen en commission parlementaire, le projet de loi organique amendant et complétant la loi n°93-27 du 22 mars 1993, relative à la carte d’identité nationale, figure à l’ordre du jour de la séance plénière de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) prévue mardi 9 janvier.
“Les empreintes de 8,3 millions de Tunisiens seront loin d’être sécurisées”, s’inquiète Gaddes, soulignant que, dans un régime policier, une telle base de données serait un moyen de répression, sans compter le coût financier exorbitant d’une telle opération.
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Le stockage de cette énorme quantité de données est contraire à tous les standards internationaux de protection des données personnelles, affirme le président de l’INPDP. “Si la reconnaissance des données se fait à travers une puce électronique intégrée dans la carte d’identité et non grâce aux informations contenues dans la base de données, le stockage n’a alors aucun sens”, argumente-t-il.
Aucun Etat, même les Etats-Unis, n’a les moyens de protéger une telle “fortune” de données, dit-il, citant l’exemple de l’Inde où la base de données et des empreintes de plus d’un milliard d’habitants a été infiltrée. “Des empreinte de la population indienne sont, de nos jours, mis en vente à 17 euros sur internet”, déplore-t-il.
Réagissant aux propos du ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, affirmant lors de son audition vendredi 5 janvier par la commission des compromis de l’ARP sur ledit projet de loi, que son département dispose des moyens techniques nécessaires pour la protection des données, Gaddes le dément. “Il est clair que le ministre n’a aucune idée des moyens techniques. Il est plutôt un homme de terrain”, relevant qu’il a demandé à rencontrer le ministre à quatre reprises en vain.
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Gaddes critique, par la même occasion, le fait que l’avis de l’Instance n’a pas été pris en considération dans l’élaboration du projet de loi.
“En France ou en Allemagne, on ne peut pas créer une base de données générale de toute une population. Pourtant, ils n’ont pas une Constitution qui prévoit aussi clairement que la nôtre la protection des données personnelles”, souligne-t-il.
Un autre point est relevé dans le projet de loi: il porte sur l’accès de chaque personne à ses données personnelles incluses dans sa carte biométrique. “Le droit d’accès à ses données est une question fondamentale”, soutient Gaddes. Cependant, dans la carte biométrique proposée par ledit projet de loi, une partie des données est cryptée. “Dans d’autres pays, la carte biométrique ne contient pas d’informations cryptées. En Tunisie la partie cryptée ne pourra être consultée que par les agents de sécurité”, regrette-t-il.
La solution serait, selon lui, d’avoir un login et mot de passe permettant à chacun d’accéder à un compte contenant les données incluses dans la carte biométrique. “Il s’agit d’un principe garantissant le droit de chacun d’accéder aux informations le concernant et de vérifier la crédibilité de ce que le ministère de l’Intérieur a inscrit sur sa carte d’identité. L’inconstitutionnalité sera clairement établie si le projet de loi venait à être adopté en séance plénière (dans sa version actuelle)”, conclut-il.
Rappelons que Gaddes a été auditionné jeudi dernier par la commission des compromis sur ledit projet de loi.
Lors de son audition, le 5 janvier 2018, par la commission des compromis au sujet de la carte d’identité biométrique, Lotfi Brahem a estimé que l’appréhension des députés quant à un éventuel piratage des informations qui y seront contenues, n’est pas justifiée car “le système informatique du ministère de l’Intérieur est très sécurisé et ne peut être infiltré de l’extérieur”.
De son côté, Naouefel Jammali, président de la Commission parlementaire des droits, des libertés et des relations extérieures chargée de l’examen dudit projet de loi, a indiqué que lors de la discussion du projet de loi en présence du ministre de l’Intérieur, l’accent a été mis sur la nécessité de procéder à l’ajout d’un article permettant aux Tunisiens d’avoir accès à leurs données personnelles contenues dans la puce électronique et de fournir des garanties sur l’empreinte figurant dans la carte biométrique.
Il a annoncé que la commission des compromis au parlement devrait se réunir lundi prochain pour trouver des consensus sur le projet de la carte biométrique.
Le coût de ce projet s’élève à environ 40 millions de dinars, indique-t-on. Elle sera la seule carte biométrique dans le monde qui ne contient pas la signature de son propriétaire, selon Gaddes.