Lors de la cérémonie de signature, le 19 décembre 2017, du décret présidentiel convoquant les électeurs à voter pour les élections municipales, le président de la République, Béji Caïd Essebsi a qualifié ces élections locales de “phénomène nouveau” et du “plus important scrutin pour la Tunisie”.
Cette déclaration ne manque pas d’enjeux en ce sens où la Tunisie n’a jamais connu, depuis son accès à l’indépendance, des élections municipales libres et démocratiques. Autrement dit, les municipales de 2018 sont les premières élections démocratiques dans le pays. Depuis l’indépendance jusqu’à ce jour, les maires et les membres des conseils municipaux sont désignés par le pouvoir exécutif central.
Elle comporte également plusieurs messages codés dont le plus important est une mise en garde contre les conséquences imprévisibles de ce passage brutal des municipalités du stade du parrainage à celui de l’indépendance totale de décision.
L’article 132 du chapitre “du pouvoir local” dans la nouvelle élection locale stipule, justement, que “les collectivités locales sont dotées de la personnalité juridique, de l’autonomie administrative et financière. Elles gèrent les intérêts locaux conformément au principe de la libre administration”.
Cette éventuelle indépendance multiforme des maires et des conseils municipaux est fort redoutée par l’administration centrale et les partis politiques dont les représentants au Parlement discutent, actuellement, les 300 articles du code des collectivités locales en prévision de l’échéance des prochaines municipales dont la date a été fixée pour le 6 mai 2018.
Le pouvoir central et les partis craignent, particulièrement, l’abus que pourraient faire les maires élus démocratiquement de cette indépendance. Ils estiment que faute d’expérience et d’exercice démocratique dans le pays, ces derniers seraient tentés de tomber dans le piège de pratiques sous-développées telles que le clanisme, tribalisme, clientélisme, régionalisme, mauvaise gestion des deniers publics…
Pour anticiper ce scénario –qui pourrait être “catastrophique“, le gouvernement tunisien a commandité une étude auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les moyens de gérer, sans heurts, cette transition démocratique locale et de prévoir les dérapages.
L’étude commence par égrener les faiblesses structurelles dont souffrent les collectivités locales en Tunisie. Au nombre de celles-ci, elle cite: la forte centralisation en Tunisie, la dépendance des collectivités locales des dotations publiques, le sous-encadrement, l’insuffisance de ressources, d’équipements et de moyens humains…
Pour y remédier, l’étude considère dans l’ensemble qu’il est utile de mener, de manière concomitante et parallèle, la décentralisation politique, la décentralisation budgétaire et la déconcentration administrative.
Objectifs recherchés: consolider l’efficacité de l’administration de l’Etat au niveau local, assurer l’autonomie administrative et financière des collectivités locales et garantir la démocratie locale.
Au niveau juridique, l’étude recommande l’accélération de l’adoption de deux lois: la loi relative à l’organisation territoriale du pays et la loi organique sur la décentralisation. Cela requiert, d’après l’étude, un calendrier pluriannuel donnant le temps aux collectivités locales d’acquérir les compétences humaines et techniques nécessaires à une bonne mise en œuvre de la décentralisation.
Au plan du financement des collectivités locales, l’étude suggère de définir de nouvelles dispositions devant créer de nouvelles ressources financières en prévoyant notamment des mécanismes de financement et en mettant en place, parallèlement, des outils de suivi partenarial avec les municipalités. L’idée serait d’instituer un observatoire national des finances locales.
Dans le même contexte, l’étude recommande de revoir la procédure actuelle de dotations des crédits aux collectivités locales et de conférer à leur octroi davantage de souplesse. Il s’agit de faire en sorte que les budgets d’investissement et de fonctionnement deviennent exécutoires immédiatement après leur adoption.
L’étude insiste sur l’enjeu d’accorder un intérêt particulier au contrôle juridictionnel. Les auteurs de l’étude qualifient de déterminant le rôle que doivent jouer la Cour des comptes et le juge administratif dans la protection, d’une part, des biens et ressources publics, et, d’autre part, de l’Etat de droit au niveau local.
Pour ce faire, ils jugent primordial de créer des chambres régionales des comptes, voire des juridictions autonomes, dont les décisions seront soumises à l’appel devant la Cour des comptes et à la cassation devant le Tribunal administratif.
L’étude fait une mention spéciale pour le juge administratif. Elle souligne le rôle que ce dernier peut jouer dans la garantie du contrôle de la légalité des actes des collectivités locales et dans la facilitation de l’accès des citoyens à la justice administrative par l’implantation progressive de tribunaux de premier ressort dans les régions.
Par-delà ce diagnostic et ces préalables à réunir, il faut reconnaître que les prochaines municipales et leurs futurs résultats constituent un véritable défi que les Tunisiens se doivent de relever avec beaucoup de sagesse et de foi dans le bien-fondé, à long terme, de la démocratie locale. Le mot d’ordre est clair: il suffit d’en faire un bon usage dès le commencement. On l’aura dit.