C’est étrange, l’ICG (International Crisis Group), ONG créé en 1995 par des personnalités transatlantiques pour anticiper et répondre efficacement aux conflits qui peuvent avoir lieu partout dans le monde, donne nettement l’impression que concernant la Tunisie, elle cherche plutôt à susciter des conflits.
Ainsi, dans son tout dernier rapport, on y parle de dérives autoritaires. Où? En Tunisie. Un pays où tout est devenu permis y compris des insultes, des campagnes de diffamation et de dénigrement qui partent dans tous les sens, qui détruisent des vies et surtout celles de personnes les plus exposées, qu’il s’agisse de représentants (e) de médias, de personnes engagées dans la lutte contre l’extrémisme ou encore dans la lutte contre les mafias qui sévissent dans le pays. Ceci sans parler des campagnes orchestrées et menées en toute liberté à l’encontre des ministres les plus valables et les plus patriotes dont ceux de l’Intérieur, de la Défense nationale et de la Justice.
Pour l’ICG, rien ne va en Tunisie. Et pour cause ? Selon ses dires, le pays tendrait «à retomber dans ses anciens travers autoritaires, en raison notamment du manque de volonté politique des deux partis pivots de la coalition au pouvoir (nationaliste et islamiste) à mettre en œuvre la Constitution de janvier 2014 de manière effective. En quoi est-ce significatif ? Cette dérive autoritaire s’explique en partie par la nostalgie du régime de Ben Ali. La Tunisie se doit d’endiguer cette dérive, à la fois pour éviter de nouvelles violences djihadistes ou un retour de la polarisation politique, et pour poursuivre sa trajectoire démocratique exemplaire entamée depuis les vagues de protestations de 2011 dans le monde arabe».
Et l’ICG de donner des ordres -et non de proposer des idées : «les décideurs politiques tunisiens doivent s’engager à renforcer les institutions, en allant de l’avant et non en tentant de revenir en arrière. Ils doivent rapidement mettre en place la Cour constitutionnelle, les instances constitutionnelles indépendantes et organiser les élections municipales de 2018, déjà reportées à de nombreuses reprises».
De quel droit une ONG internationale se permet-elle d’intervenir aussi librement dans les affaires intérieures d’un pays en pleine mutation qui a été lâché ou plutôt lynché par toutes les démocraties qui prétendaient soutenir «le printemps arabe» et qui se débat tout seul pour sortir des griffes d’une crise socioéconomique sans précédent dans toute son histoire post-indépendance.
Mais quoi de plus naturel que de se conduire avec les pays du «Sud» comme des assistés si ce n’est comme des simples d’esprit pour lesquels on établit les diagnostics et on ordonne les solutions.
L’ICG estime dans son dernier rapport que Nidaa Tounes et Ennahdha font la pluie et le beau temps dans la gestion économique et politique du pays et agissent au gré de la qualité de leurs relations, qu’elles soient au beau fixe ou tendues. «Lorsque l’alliance est au beau fixe, Nidaa Tounes et Ennahdha tentent de structurer la vie politique comme un duopole au détriment de l’autonomie du Parlement et des instances administratives indépendantes existantes. Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha, et Béji Caïd Essebsi, le chef de l’Etat, fondateur de Nidaa Tounes -qui continue à jouer le rôle occasionnel de dirigeant de ce parti-, personnalisent les canaux de discussion politique et de gestion de crise. Quant à Essebsi en particulier, il présidentialise le régime et légitime les voix qui appellent à amender la Constitution de 2014 afin d’élargir ses prérogatives».
Le rapport de l’ICG met au pilori non seulement le président de la République, Béji Caïd Essebsi, en insistant sur sa volonté d’exercer des prérogatives, en principe, relevant du chef du gouvernement uniquement de par la Constitution mais aussi l’appareil sécuritaire «hostile aux islamistes». C’est tout de même surprenant que de grands spécialistes dans les politiques internationales et les questions de guerre et de paix n’osent aucune observation à propos d’une Constitution bâtarde et handicapante mise en place par la Troïka au bout de trois longues années de discussions et de négociations acharnées qui ont accordé aux instances constitutionnelles, en principe régulatrices, plus de poids que le pouvoir exécutif.
D’après l’ICG, alors que l’écart se creuse entre les principes constitutionnels et la réalité du jeu politique actuel, le fait d’entamer un débat sur la révision de la Constitution reviendrait à rouvrir les hostilités, et ce dans un contexte national et international où les défenseurs des régimes autoritaires ont le vent en poupe (resic). «Si le parti islamiste, première formation représentée au Parlement, s’opposait à tout amendement constitutionnel qui remettrait en cause le caractère parlementaire du régime, une polarisation plus violente que celle que la Tunisie a connue en 2013 pourrait renaître. Lorsque ses appuis à l’étranger semblent faibles, Ennahdha se garde de rompre les équilibres clientélistes et régionalistes avec les forces politiques non islamistes, lesquelles lui réservent une place minoritaire au sein des corps professionnels, des syndicats, de l’appareil de sécurité, des établissements bancaires, des entreprises publiques et des oligopoles privés».
Des informations dont il vaut mieux en rire qu’en pleurer au vu du degré d’infiltration des islamistes dans toutes les arcanes de l’Etat et leur grande capacité de nuisance et efficience ainsi que le nombre d’amnistiés recrutés depuis 2012, nous ne pouvons que nous étonner de pareilles affirmations.
L’ICG ne semble pas conscient, édifié ou peut-être que dans la foulée des agendas établis à l’international pour la Tunisie, petit laboratoire de l’islamisme que l’on veut démocratique pour être rassuré sur les possibilités de la montée du radicalisme islamiste dans des contrées traditionnellement démocratiques et ouvertes. Les équipes de l’International Crisis Group devraient peut-être diversifier leurs sources d’informations pour que leurs évaluations ne soient pas faussées par les positions des ONG ou des droit-hommistes à la solde et des opportunistes politiques dont l’allégeance va plus vers leurs comptes bancaires que leur pays.
Aussi prestigieuse soit-elle, l’ICG devrait peut-être mettre de l’eau dans son vin et relativiser ses postures en ce qui concerne des pays comme le nôtre. Nous avons, depuis belle lurette, perdu l’habitude de croire aveuglément en tout ce qui nous vient de l’extérieur et principalement les rapports internationaux qui parlent de nous et nous jugent selon leur bon vouloir et leurs agendas et non en décrivant la réalité comme elle est.
Amel Belhadj Ali