Trois ans après son adoption, la Déclaration de Carthage est depuis quelques semaines au centre d’un débat dont les protagonistes, appartenant à différentes familles politiques, apportent des réponses éloignées les unes des autres, voire contradictoires, à la question que tout le monde se pose : que faire de ce document ? Autrement dit, faut-il l’amender comme y appellent certains, ou, plutôt, l’enterrer, ainsi que demandent d’autres ?
En fait, cette interrogation existentielle découle, consciemment ou inconsciemment, d’un constat –triste et désolant- qui s’impose : la classe dirigeante aux commandes du pays depuis 2015, et plus largement les partis politiques la composant, ou gravitant autour d’elle, ont échoué à faire ce que les Tunisiens attendaient d’eux, à savoir sortir le pays, politiquement, d’une transition dans laquelle il est depuis le 14 janvier 2011 et qui n’en finissait pas de finir; et économiquement, financièrement et socialement, mettre fin à ses difficultés endémiques.
Cet échec est incontestable et la preuve est là sous les yeux de tous: la Tunisie se porte aujourd’hui beaucoup plus mal qu’elle n’était au moment de la passation entre le gouvernement Jomaa et celui de Habib Essid. A supposer qu’elle y ait contribué, la Déclaration de Carthage n’est certainement pas la cause première ni principale de cette situation. Des problèmes elle en pose certes, mais ils sont imputables à ceux qui en ont eu l’idée puis l’ont écrite.
Car ses auteurs se sont contentés de lister un ensemble de priorités, sans s’entendre sur les programmes, les actions et les mesures à même de les concrétiser.
En effet, voulue par ses «pères» comme une feuille de route pour les gouvernements successifs depuis 2016, elle n’en a guère les caractéristiques. Car, une feuille de route doit être à la fois claire et précise. Celle imposée au gouvernement Chahed a peut-être le premier attribut, mais absolument pas le second. Car ses auteurs se sont contentés de lister un ensemble de priorités, sans s’entendre sur les programmes, les actions et les mesures à même de les concrétiser. Or, comme on dit, le diable est dans le détail.
Pour éviter à l’avenir de retomber dans pareille situation –dans laquelle le gouvernement de Youssef Chahed s’est lui aussi retrouvé-, et de perdre encore plus de temps, il faudrait que les partis politiques et les organisations nationales se réclamant encore de la Déclaration de Carthage, et ceux qui pourraient les rejoindre à l’avenir, élaborent une véritable plateforme de gouvernement. Qui ne soit pas un copier-coller de cette dernière, c’est-à-dire un énoncé de principes généraux, mais conçoive tous les programmes et toutes les mesures à prendre dans tous les domaines, sur une période donnée. Et que ce travail soit effectué avec le gouvernement et non en le tenant à l’écart comme c’est le cas actuellement.
on aurait pu éviter d’en perdre si Habib Essid avait mis à profit le legs que lui avaient laissé Mehdi Jomaa et son équipe : un diagnostic et une «ordonnance»
C’est de cette manière seulement qu’on pourra donner du sens à la Déclaration de Carthage et éviter de faire perdre beaucoup plus de temps au pays. D’ailleurs, on aurait pu éviter d’en perdre si Habib Essid avait mis à profit le legs que lui avaient laissé Mehdi Jomaa et son équipe : un diagnostic et une «ordonnance» -c’est-à-dire une véritable feuille de route- recommandant les réformes et les actions à mener dans chaque secteur afin de le redresser.