Réagissant à l’annonce du limogeage du gouverneur de la banque Centrale, Cjedly Ayari, Samir Brahimi, DG des services juridiques de la BCT et Président du Groupe d’Action Financière pour le Moyen orient et l’Afrique du Nord , Secrétaire Général de la Commission Tunisienne des Analyses Financières (Cellule de Renseignement Financier- FIU), a posté le texte suivant:

 

L’ARP délibérera, le 15 février 2018, sur la proposition du chef du gouvernement de mettre fin aux fonctions de l’actuel gouverneur.

Je n’ai pas l’intention d’épiloguer ici sur les motifs qui sous-tendraient la décision du chef du gouvernement, mais je suis tenté de faire quelques commentaires sur la «disposition des choses», le modèle de gouvernance retenu en Tunisie concernant le statut juridique du gouverneur et, au-delà, les rapports entre la Banque centrale et le gouvernement.

(i) Le chef du gouvernement a usé des pouvoirs que lui confère la Constitution du pays et rien ne peut lui être reproché sur ce chapitre.

La récente décision du chef du gouvernement de démettre le gouverneur Ayari semble me conforter dans mon opinion formulée il y a déjà deux ans: le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie ne dispose plus de mandat, sous la nouvelle Constitution.

(ii) Les statuts de la Banque centrale, en fixant à six (6) ans la durée du mandat du gouverneur, ont violé ouvertement les dispositions pourtant claires de l’article 78 de la Constitution, lequel ne fixe aucune durée pour l’exercice de cette fonction et autorise la révocation de son titulaire «ad nutum» ou «sur un signe de tête» ou encore plus simplement, sans besoin d’avancer de motifs. La récente décision du chef du gouvernement de démettre le gouverneur Ayari semble me conforter dans mon opinion formulée il y a déjà deux ans: le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie ne dispose plus de mandat, sous la nouvelle Constitution.

dans la foulée, la problématique essentielle, celle de la nécessaire indépendance organique et fonctionnelle de la Banque centrale à l’égard du gouvernement, fut éludée, ignorée, sacrifiée.

(iii) Les choix opérés pour la nomination/révocation du gouverneur de la Banque centrale traduisent un souci immédiatement perceptible chez la Constituante d’impliquer, dans le cadre de la recherche d’un équilibre éminemment politique, les trois pouvoirs (l’ARP, le PR et le chef du gouvernement). Mais, dans la foulée, la problématique essentielle, celle de la nécessaire indépendance organique et fonctionnelle de la Banque centrale à l’égard du gouvernement, fut éludée, ignorée, sacrifiée.

Or, «le principe d’indépendance se définit uniquement par rapport au gouvernement et réclame de priver ce dernier de la possibilité de faire des injonctions à la Banque centrale. Les promesses électorales d’un niveau d’activité économique plus soutenu ainsi que la tentation d’un financement plus aisé des déficits publics à travers la création additionnelle de monnaie incitent en effet à soustraire aux gouvernements l’instrument monétaire pour le confier à des organismes plutôt techniques, les Banques centrales, car moins exposés aux «political business cycles» et aux influences des divers groupes de pression, et donc plus aptes à mener une politique monétaire saine et à même de rassurer les opérateurs économiques».

L’enjeu est donc de taille, car plus la Banque centrale est indépendante, plus la politique monétaire est crédible, et vice versa.

Son indépendance, même relative, constitue un corollaire du vieux principe de la séparation des pouvoirs chère au Baron de la Brède et de Montesquieu, à cette nuance toutefois qu’il se joue dans l’enceinte d’un seul pouvoir : l’Exécutif.

(iv) Le fait de réserver au gouverneur un statut constitutionnel me paraît constituer une démarche inutile, voire contre-productive. D’abord, parce que la Banque centrale est une personne morale (Etablissement public) distincte de l’Etat et qui oppose à ce dernier son caractère plutôt technique. Son indépendance, même relative, constitue un corollaire du vieux principe de la séparation des pouvoirs chère au Baron de la Brède et de Montesquieu, à cette nuance toutefois qu’il se joue dans l’enceinte d’un seul pouvoir : l’Exécutif.

Ensuite, car, si l’on venait à admettre la pertinence de ce propos, il serait beaucoup plus complexe aujourd’hui de réviser la loi fondamentale pour recadrer le modèle retenu. Si le régime réservé à la nomination/révocation du gouverneur avait une nature législative, une révision éventuelle de ce régime aurait été beaucoup plus facile à entreprendre.

(v) Dans la logique de l’article 78 précité, il aurait été plus opportun de consacrer le principe du mandat dans la Constitution et non pas dans les statuts de la Banque centrale, mais tout en soumettant la révocation du gouverneur, avant l’expiration du terme, à des conditions relativement sévères : la commission d’une faute lourde, par exemple.

«Moi, je trouve la version actuelle de meilleur confort, car dans la logique de la tienne, on m’inventera une faute pour écourter mon mandat, et au meilleur des cas, on dira que j’en ai commis une!»

Je me souviens d’une discussion avec le mémorable gouverneur Khélil, au cours de laquelle je lui avais présenté cette proposition. A l’époque, je me rappelle avoir visité tout ou presque de ce qui a été écrit sur cette grande invention depuis la nuit des temps, la Banque centrale, que Will Rogers rangeait volontiers à côté du feu et de la roue, et je croyais naïvement détenir enfin la clé de l’autonomie organique de la mienne. Avec son sourire habituel qui ne le quittait que rarement, l’illustre gouverneur me rétorqua tendrement comme pour ne pas froisser ma susceptibilité : «moi, je trouve la version actuelle de meilleur confort, car dans la logique de la tienne, on m’inventera une faute pour écourter mon mandat, et au meilleur des cas, on dira que j’en ai commis une!».

C’était en 1988. Aujourd’hui, à la réflexion, je me dis qu’il avait sûrement raison, mais que moi, de mon côté, je n’avais peut-être pas tout à fait tort !

C’était en 1988. Aujourd’hui, à la réflexion, je me dis qu’il avait sûrement raison, mais que moi, de mon côté, je n’avais peut-être pas tout à fait tort !

Pour plus de détail sur cette question, je renvoie à ma contribution sous le titre «Le mandat du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie : Mythe ou réalité?» paru sur “LEADERS” le 14/12/2015.