Le classement de la Tunisie sur la liste noire aura des impacts macro-économiques importants et les agences de notation financière vont revoir leur classement à la baisse. C’est ce que pense le conseiller exécutif de l’IACE, Majdi Hassen, au cours d’une rencontre sur le “Blacklisting et son impact sur l’entreprise tunisienne”, organisée vendredi 16 courant au siège de l’Institut arabe des chefs d’entreprise.
“Nous prévoyons que la Banque centrale de Tunisie (BCT) et le ministère des Finances vont retarder la sortie sur le marché financier international, en raison d’une possible démobilisation des investisseurs privés, qui ne permettra pas de mobiliser les fonds nécessaires”, a-t-il dit. Par conséquent, le ministère des Finances va recourir au financement sur le marché local, ce qui entraînera une diminution des liquidités au niveau du secteur bancaire parce que les banques de la place vont souscrire aux BTA (Bons de Trésor Assimilables), ce qui entraînera un renchérissement du taux de crédit et une difficulté d’accès des entreprises aux financements.
En outre, le retard de la sortie sur le marché financier aura des impacts sur les réserves de change et sur la dégradation de la valeur du dinar, alors que les entreprises seront amenées à fournir des justificatifs supplémentaires pour leurs différentes opérations à l’international.
Hassen souligné dans ce cadre que l’IACE a formulé 12 recommandations en se basant sur le rapport du GAFI (Groupe d’Action Financière) sur la Tunisie, dont la réforme de la loi régissant le Registre du commerce pour identifier le bénéficiaire effectif de la création d’une société, l’audit des entreprises Off Shore sans employés (1.000 entreprises) et la formation des juges dans le domaine du blanchiment d’argent, en vue d’accélérer la gestion des dossiers dans ce domaine.
Il s’agit aussi de renforcer les ressources humaines et les moyens techniques de la CTAF -Commission Tunisienne des Analyses Financières- (actuellement 19 personnes, contre 500 dans certains pays) et de revoir sa gouvernance, selon le conseiller exécutif de l’IACE.
Il recommande aussi d’intégrer les systèmes de détection des opérations suspectes au sein des banques, de renforcer les capacités du personnel des banques en charge de la conformité, outre la promulgation de guides de conformité des professions libérales et l’amélioration des capacités de leurs organes de supervision et la promulgation de la loi contre l’enrichissement illicite.
Pour sa part, Fayçal Derbel, ministre conseiller à la présidence du gouvernement, a précisé que le classement de la Tunisie sur la liste noire revêt deux dimensions: technique et politique, soulignant que l’échange d’accusations ne sert à rien, l’essentiel est d’engager les mesures nécessaires.
La Tunisie dispose des meilleures législations au monde (la meilleure loi sur la sécurité financière, la meilleure loi sur le blanchiment d’argent…) mais dans la plupart du temps, ce sont des législations de façade qui sont très mal appliquées, a-t-il ajouté.
Pour ce qui est du manque d’application de la loi, le rapport de la CTAF mentionne principalement les professions non financières et les autorités de contrôle. S’agissant des professions non financières, Derbel a cité les professions des notaires et les agents de la conservation foncière.
Il s’agit également des avocats qui sont au nombre 8.000 et qui n’ont fait que 5 “déclarations de soupçons”, entre 2011 et 2017, et les experts-comptables (plus de 1.000), qui ont déposé une seule déclaration de soupçons, en 2016.
Selon le rapport de la CTAF, un flux de liquidités extrêmement important a permis à des citoyens libyens d’acquérir 200.000 logements en Tunisie en 2015 (6% du nombre total de logements achetés dans le pays).
Les défaillances proviennent également des bijoutiers dont le nombre s’élève à plus de 6.000, mais dont plus de 50% opèrent dans l’informel, outre l’importation, en 2015, de la Turquie de 19.400 kg d’or.
Aussi, la promotion immobilière est une profession très exposée au phénomène de blanchiment d’argent, lequel a entraîné une augmentation des prix de 41%, entre 2011 et 2013, soit une hausse moyenne de 13,5% par an, outre l’existence de 100.000 logements vacants qui ne sont ni habités ni loués.
Ces professions non financières, a ajouté Derbel, n’ont pas de systèmes de contrôle interne et n’ont pas de règles de gestion claires qui fonctionnent convenablement, pour permettre de sensibiliser et d’orienter leurs membres.
Derbel a appelé à la désignation d’une personne chargée de lutter contre le blanchiment d’argent, au niveau de chaque corps professionnel, afin d’assurer la coordination avec la CTAF, sensibiliser ses confrères, recevoir les “déclarations de soupçons” puis s’assurer qu’il y a un système de contrôle interne fiable au sein de ces structures.
Pour sa part, le président de l’Association professionnelle des banques et établissement financiers, Ahmed El Karm, a appelé dans ce sens à organiser d’urgence une campagne de sensibilisation pour expliquer à toutes les professions non financières exposées au blanchiment d’argent la nature de la réglementation du blanchiment d’argent, la technique mise en place et les sanctions prévues au cas de non application.
Il a rappelé par ailleurs que la CTAF est composée de bénévoles qui se réunissent à la BCT, soulignant que le bénévolat ne garantit pas l’efficacité et que l’absence des moyens nécessaires ne lui permet pas de faire son travail convenablement.
El Karm considère que “l’inscription de la Tunisie sur la liste noire des pays les plus exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme est une chance pour le pays et un rappel à l’ordre, car tout le monde s’accorde sur la nécessité d’assécher les sources de financement du terrorisme, de lutter contre la corruption, le marché parallèle et le blanchiment d’argent”.
Et d’ajouter que les conditions demandées par le GAFI sont à la portée de la Tunisie, car certaines sont déjà sous forme de projets de loi, mais encore faut-il les mettre en application…