Slim Besbès, figure de proue d’Ennahdha et député membre de la Commission des finances à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a créé, mercredi 24 janvier 2018, l’événement. Il a déclaré que le gouvernement de Youssef Chahed peut réviser certains articles de la loi de finances 2018 et proposer de nouvelles mesures pour les remplacer. Il a ajouté que ce n’est pas la première fois qu’une telle révision se fait dans le cadre de lois de finances complémentaire.
Le dirigeant nahdhaoui, qui était au temps de la Troïka ministre des Finances par intérim pendant une longue période, sait apparemment de quoi il parle.
Portée d’une déclaration.
Par la voix de Mongi Rahoui, président de la Commission des finances à l’ARP, le Front populaire, accusé maladroitement en direct par le chef du gouvernement, Youssef Chahed, d’être à l’origine des récentes manifestations dans les rues pour protester contre la loi de finances 2018, a saisi l’occasion pour saluer cette prise de position du parti Ennahdha et l’exploiter afin de prouver que cette loi “scélérate” et “injuste“, selon ses dires, n’est pas du goût de toutes les forces politiques, y compris les partis au pouvoir.
Rien d’étonnant d’un parti caméléon
Le parti islamiste allié au pouvoir du parti Nidaa Tounès, qui a pourtant voté cette loi de finances 2018, semble avoir compris tout l’intérêt électoraliste qu’il y a pour lui de se joindre, à trois mois des élections municipales (prévues pour le 6 mai 2018), au mécontentement des partis de l’opposition, des organisations de la société civile et des corporations professionnelles qui ont rejeté et décrié, de manière virulente, cette loi de finances 2018.
Par ailleurs, cette déclaration est loin d’être fortuite, et encore moins une surprise. Elle est dans la nature génétique de ce parti “camélioniste“ habitué aux retournements de veste.
La déclaration de Slim Besbès ne manque toutefois pas d’enjeux pour le gouvernement Youssef Chahed. Elle vient le fragiliser davantage et chambarder totalement ces prévisions d’autant plus qu’elle intervient après le coup fourré que vient de lui porter, sans état d’âme, son parti, Nidaa Tounes, par le canal de son président d’honneur, le président de la République.
Ce dernier, réagissant au message de déstabilisation du pays que lui avaient lancé les insurrections non encadrées, ces derniers jours, a sommé le gouvernement de calmer la rue et d’adopter dans la hâte un arsenal de mesures dédiées aux catégories pauvres :
- garantie d’un salaire minimum fixe pour les familles pauvres,
- garantie d’une couverture sanitaire pour tous les Tunisiens,
- aide pour l’obtention d’un logement décent,
- augmentation de 100 MDT du budget alloué aux indemnités des familles défavorisées qui permettrait une augmentation de 20% de l’indemnité accordée à chaque famille démunie,
- attribution d’une pension de retraite minimum de pas moins de 180 dinars par mois,
- doublement de l’indemnité décidée au profit des enfants handicapés des familles démunies,
- création d’un fonds de garantie des crédits logement au profit de ceux qui ne bénéficient pas de revenus fixes (500.000 personnes concernées).
Ces nouvelles dépenses non prévues dans la loi de finances 2018 risquent d’être aléatoires et une simple promesse de foi dans la mesure où le gouvernement n’a pas prévu de budget pour le financement.
Moralité de l’histoire : le Gouvernement d’union nationale (GUN) est plus que jamais décrédibilisé auprès de l’opinion publique locale et internationale.
Youssef Chahed s’est fait piéger
Les risques qu’il encourt sont énormes. Il risque ainsi de décevoir une nouvelle fois le FMI qui peut reporter sine die le versement, prévu pour le mois de février 2018, de la 3ème tranche (320 millions de dollars), au titre du crédit MEDC (mécanisme élargi de crédit, 2,9 milliards de dollars) accordé à la Tunisie au mois de mai 2016. Il risque également d’être marginalisé à l’extrême et de connaître le même sort que son prédécesseur à la primature, Habib Essid.
Pour mémoire, Essid avait bénéficié d’un vote de confiance de la majorité parlementaire et avait été congédié par le vote d’une majorité parlementaire.
Il n’est pas étonnant que la loi de finances 2018, votée par une majorité parlementaire, soit remise en cause et révisée par une majorité parlementaire, ce qui devrait sonner le glas de Youssef Chahed.
D’ailleurs, par recoupement, on est tenté de penser que les deux partis au pouvoir, Nidaa Tounès-Ennahdha, n’avaient tenu à voter la loi de finances 2018 que pour créer des problèmes ingérables au jeune chef du gouvernement. Ce dernier n’est pas du tout apprécié par les deux partis pour une raison simple : il a osé s’attaquer au dossier dérangeant de la corruption qui constitue leur talon d’Achille.
Tout indique donc que Youssef Chahed suivra la même trajectoire de ces prédécesseurs, celle-là même qui consiste, pour sauver la face et faire semblant qu’il a accompli un exploit, à organiser avec succès des élections nationales. Son mandat au regard de son impopularité aura en principe pour deadline les prochaines échéances municipales prévues pour le 6 mai prochain au plus tard.