En l’espace de deux mois, la Tunisie a été blacklistée par les pays membres de l’Union européenne, “paradis fiscal” (5 décembre 2017) et “pays fortement exposé au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme” (7 février 2018).
Globalement, l’Union européenne estime, pour le premier classement, que la Tunisie “a des régimes fiscaux préférentiels néfastes et ne s’est pas engagée à les modifier ou à les abolir”.
Pour le second classement, le Conseil de l’Europe a parrainé celui du Groupe d’Action Financière (GAFI), organisme intergouvernemental créé en 1989 par le G7 pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ce groupe a inscrit, le 4 décembre 2017, la Tunisie sur la liste des “juridictions à haut risque et/ou non coopératives”.
Attention dorénavant à l’AEOI
Sur le plan technique, ce classement fort préjudiciable pour l’image du pays en tant que site de production international, trouve son explication dans le manquement de certaines banques tunisiennes et de l’administration fiscale à l’application de deux dispositifs d’échange d’informations internationaux.
Le premier concerne l’échange automatique d’informations, plus connu sous le sigle AEOI (Automatic Exchange of Information). Son objectif est de combattre l’évasion fiscale. Il s’agit d’une norme établie par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le premier concerne l’échange automatique d’informations, plus connu sous le sigle AEOI (Automatic Exchange of Information). Son objectif est de combattre l’évasion fiscale.
Selon cette norme à laquelle la Tunisie n’aurait pas encore adhéré, les pays signent des accords pour échanger automatiquement (et non sur demande, comme c’était le cas avec les Tax information exchange agreements “TIEA“) les informations des comptes bancaires détenus par des personnes –physiques ou morales– qui résident dans tout état signataire.
L’AEOI permet donc au fisc de chaque pays signataire de connaître les comptes bancaires offshore ou onshore –de façon directe ou indirecte– dans tout pays signataire. Et dans le cas où un compte n’avait pas déjà été déclaré au fisc, cela déclenchera des contrôles fiscaux et amendes.
Plus de 100 juridictions n’ont pas signé l’AEOI, ce qui signifie qu’elles n’échangeront pas d’information de façon automatique.
Plus de 100 juridictions n’ont pas signé l’AEOI, ce qui signifie qu’elles n’échangeront pas d’information de façon automatique.
Cependant, l’absence d’accord AEOI entre ces juridictions ne signifie pas qu’il n’y aura aucun échange d’information, toutes les juridictions peuvent toujours utiliser d’autres moyens sur demande ou de façon spontanée.
Si vous disposez d’un compte bancaire dans une juridiction AEOI (un Etat signataire de l’AEOI), la juridiction concernée fera automatiquement un rapport sur votre compte bancaire à l’autre juridiction dans laquelle vous êtes résident.
La norme oblige les institutions financières (banques, dépositaires, compagnies d’assurance-vie…) implantées dans des pays signataires à donner des informations vérifiables sur les comptes de personnes morales et physiques. Aucun seuil n’est applicable.
La démarche suivie consiste à collecter des renseignements devant identifier les titulaires et bénéficiaires de comptes bancaires des résidents fiscaux de pays avec lesquels un accord d’échange a été conclu. Il s’agit aussi de rapporter. Les institutions financières doivent transmettre annuellement ces informations à leur administration fiscale laquelle doit échanger, ensuite, ces mêmes informations avec d’autres juridictions signataires.
La juridiction «bénéficiaire» de l’échange est en principe celle du pays de résidence du bénéficiaire du compte.
Legal Entity Identifier, le nouveau passeport des entreprises tunisiennes
Le deuxième mécanisme a pour nom “Legal Entity Identifier“ (LEI), qui vise à répondre au besoin d’identifier de façon univoque les entités juridiques (autres que des personnes physiques) impliquées dans les transactions financières.
Dans les justificatifs fournies par la Banque centrale de Tunisie (BCT) pour expliquer le classement de la Tunisie en tant que «pays fortement exposé au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme», cette institution rappelle qu’elle avait invité en 2017 les banques tunisiennes à prendre les dispositions nécessaires afin d’adhérer aux recommandations du Conseil de stabilité financière concernant l’obligation de l’obtention par les sociétés des identifiants d’entité juridique ou “Legal Entity Identifier (LEI)”.
La BCT devait révéler ensuite que sur un total de 24 sociétés tunisiennes concernées, seules 6 banques ont pu disposer de leurs propres LEI.
Et la BCT de préciser : “Ces identifiants pouvant être réclamés par les correspondants bancaires étrangers, et ce lors de l’établissement des relations d’affaires avec les banques tunisiennes surtout dans un contexte de de-risking alimenté par une nouvelle politique internationale d’aversion aux risques”.
La BCT devait révéler ensuite que sur un total de 24 sociétés tunisiennes concernées, seules 6 banques ont pu disposer de leurs propres LEI.
Lire aussi: Les conséquences du classement de la Tunisie sur la liste noire
Par-delà ces éclairages, tout indique que le fisc et les établissements financiers tunisiens ont trop traîné le pied pour adhérer à ces nouvelles normes de dissuasion de l’évasion fiscale, du blanchiment d’argent, de financement du terrorisme et de la criminalité financière.
Moralité de l’histoire : nous ne pouvons en vouloir qu’à nous-mêmes. Nous méritons amplement ce qui nous arrive. C’est le tribut de l’irresponsabilité, de l’impunité et de l’incompétence qui prévaut dans le pays.
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