La BCT (Banque centrale de Tunisie) vient de relever son taux directeur de 75 points de base (0,75%) pour le porter de 5 à 5,75 %. L’usage chez les Banques centrales du monde -BCE et FED compris- est de procéder par touche de quart de point, soit 0,25%, quitte à faire des bonds successifs. C’est l’emballement de l’inflation qui a dicté cette thérapie de choc, a indiqué le gouverneur de la BCT, Marouane El Abassi, en staff avec de nombreux directeurs généraux de l’Institut d’émission, lors d’un point de presse ce matin 8 courant, au siège de la Banque, le premier depuis son arrivée à la tête de Banque.
Empêcher la spirale inflationniste de s’installer
L’inflation a fait un saut de palier. A 7% à la fin du mois de février, malgré deux hausses successives du taux directeur durant l’année 2017, on craint de voir s’installer le risque d’inflation s’autoalimenter. De la sorte, elle saperait dans la foulée la fragile reprise, et à la fois le mental des investisseurs. Il fallait envoyer aux opérateurs économiques et aux marchés un signal fort.
Le message est que le pays possède une politique monétaire en cohérence avec la résolution du gouvernement de s’attaquer aux déficits jumeaux. Par conséquent, le relèvement consistant du taux directeur doit servir de brise-lame à l’inflation. D’ailleurs, le gouverneur de la BCT se défend d’avoir eu la main lourde car certains observateurs lui avouaient avoir tablé sur un relèvement de 1% et même davantage. Voulant ménager la chèvre et le chou, il a opté pour 0,75% afin de ne pas provoquer de panique chez les opérateurs. Cependant, il n’exclut pas d’avoir à décider d’autres augmentations, en cas de besoin.
L’objectif d’une moyenne de taux d’inflation à 7,2%
Même si l’on sait que ces augmentations n’auront accompli leur plein effet qu’à horizon de fin 2019, on pense que la récente augmentation stopperait l’inflation à un taux moyen annuel durant 2018 de 7,2%.
La deuxième finalité est de stopper les anticipations de l’inflation chez les opérateurs économiques. Fixer un objectif, quand bien il reste élevé, est le moyen de politique monétaire le plus approprié pour convaincre les opérateurs de ne plus spéculer sur la progression du fléau.
En effet, lors de son intervention, le gouverneur de la BCT rappellera que si les anticipations s’arrêtent, les opérateurs finiont par calmer le jeu et rationaliser leurs importations.
Ex-chef de projet, du temps où il siégeait au cabinet du ministre du Commerce, du programme de développement des exportations, El Abassi est revenu sur l’engorgement du port de Radès. Les importateurs affrontent des délais de dédouanement très longs, excédant les 30 jours. Cet état de fait les contraint à hâter leurs importations, en dépassement de leurs besoins du moment. Ce faisant, ils alimentent une pression sur le dinar, contribuant à booster l’inflation. Il convient là encore de savoir se mettre en intelligence avec la situation et de desserrer cette contrainte.
Un jeu d’adresse
Le gouverneur de la BCT a livré sa lecture de la situation économique du pays. Son verdict est on ne peut plus clair. On ne peut plus continuer, plus avant en laissant filer les déficits jumeaux. En relevant le taux, il relève, dans le même temps, sa garde. Il aurait rempli sa part du contrat. Tactiquement, il met le gouvernement devant l’obligation de finir le travail et de réformer en profondeur en s’attaquant, entre autres, aux déficits jumeaux lesquels, faut-il le souligner, ont atteint des plafonds records.
Qui endossera la responsabilité du glissement du dinar ?
Marouane El Abassi précise que le dinar est sous pression et qu’il subit les coups de butoir de l’énergie pour une facture de 760 millions de dollars, des importations de médicaments pour 100 millions de dollars et la facture céréalière pour 120 millions de dollars. Faut-il sacrifier nos réserves de change à maintenir vaille que vaille la parité du dinar ou préserver ces mêmes réserves de change à régler les factures les plus lourdes et les plus nécessaires et sauver la face devant les marchés ?
Grâce à cette pirouette, la BCT se défausse de la responsabilité du maintien de la valeur du dinar. On pourrait à la limite s’en féliciter car, au moins devant l’opinion, le gouvernement aura une certaine légitimité pour imposer les réformes qui fâchent qui peuvent comprendre le contrôle du change et, pourquoi pas, des importations.
Pourquoi ne pas avoir évoqué sa politique pour le décashing de l’économie et son opinion sur une plausible convertibilité du dinar et la possibilité d’une amnistie de change qui pourraient relever des compétences de la BCT ? Le gouverneur de la BCT est maître de son agenda de réformes. Et il sait qu’il sera apprécié sur la compatibilité entre les priorités qu’il choisit et les urgences qu’appelle la situation économique.
Ali Abdessalam