L’ancien Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, a créé l’événement en déclarant, mercredi 28 février 2018, sur les ondes de RTL, qu’il existe une menace islamiste en Tunisie, avant d’ajouter : «La Tunisie est en train de dériver. La Tunisie peut être l’espace politique où l’islamisme peut conquérir le pouvoir de manière démocratique».
Pour les gens avertis qui connaissent bien ce grand ami de l’establishment politico-financier tunisien, ce n’est pas une surprise. Car ce n’est la première fois que l’ancien Premier ministre français tient ce genre de propos.
Dans une interview accordée, le 29 juin 2017, au journal Le Monde, il avait annoncé qu’après son départ du Sénat au mois d’octobre, il comptait créer une ONG lanceuse d’alerte “Leaders pour la paix” sur les questions de paix, et que le premier conflit sur lequel il allait attirer particulièrement l’attention, c’était la frontière tuniso-libyenne.
La France est concernée
Et Raffarin de préciser sa pensée à l’époque: «La Tunisie, ce “petit“ pays de 10 millions d’habitants, a 2 millions de réfugiés avec des islamistes proches du pouvoir. Si on ne gère pas mieux cette ligne de conflit, et donc le dossier libyen, la Tunisie sera fragilisée, et par ricochet nous aussi. C’est ce que je reproche le plus à François Hollande. Il avait un bon contact avec la Tunisie, il n’a fait que trop peu pour aider ce pays».
C’est dans cet esprit que la récente déclaration du président de la fondation “Leaders pour la paix” trouve sa pleine signification, tout autant que son appel à «aider la Tunisie»,… la Tunisie qu’il considère de “proche frontière de la France”.
Il reste maintenant aux analystes de vérifier si cette inquiétude de Raffarin était fondée ou non.
Trois raisons pour croire à un retour des islamistes au pouvoir
A priori, cette inquiétude est bel et bien fondée. Trois indices militent en sa faveur.
Le premier est perceptible à travers le fait que les islamistes tunisiens au pouvoir, en l’occurrence les nahdhaouis, bien qu’ils n’aient jamais rompu, officiellement, leurs liens avec la confrérie transnationale des Frères musulmans, matrice de tous les groupes terroristes, sont pratiquement les seuls fréristes qui demeurent, légalement, actifs.
A l’origine de leur maintien, le coup de pouce que leur a donné l’actuel président laïc de la République tunisienne, Béji Caïd Essebsi, qui a accepté dès son accession à la magistrature suprême de partager le pouvoir avec eux.
Pis, ce dernier, grisé par l’exploit d’être arrivé enfin président, a fait flèche de tout bois pour que son parti, Nidaa Tounès, parti victorieux aux dernières élections, ne soit jamais un grand parti mais plutôt un parti minus, émietté et sans aucun impact. Il est allé jusqu’à en faire un petit joujou qu’il a offert à sa progéniture Hafedh Caïd Essebsi, provoquant un dégoût et un désintérêt général des Tunisiens de la vie politique.
Ce désintérêt risque d’être exploité par les islamistes nahdhaouis. Ces derniers, réputés pour être opportunistes, unis et disciplinés, vont, à coup sûr, profiter de cette décomposition de Nidaa Tounès. Ils peuvent ainsi légalement aspirer démocratiquement à prendre le pouvoir dans sa totalité lors des prochaines échéances électorales.
L’exemple édifiant de ce risque de scénario d’abstention élevée s’est vérifié avec les dernières élections législatives partielles d’Allemagne qui ont permis à un salafiste d’exploiter cette désaffection pour le politique et les remporter avec seulement quelques centaines de voix sur 80.000 inscrits.
Le deuxième indice qui inquiète, plus d’un, sont les déclarations scissionnistes, faites récemment sur un journal argentin, par le gourou d’Ennahdha, Rached Ghannouchi. Il a prétendu que “la Tunisie n’a jamais été un pays laïc” et que le premier article de la Constitution stipule clairement “La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime”.
Le gourou en déduit cyniquement que “si le peuple choisit les valeurs de l’Islam, les lois devraient les refléter”.
Le message est, désormais, des plus clairs. Le gourou, qui aime s’afficher à des fins de propagande à l’étranger comme “islamo-démocrate”, n’est en fait qu’un salafiste qui avance caché et son objectif ne serait que l’application de la Chariaa (loi islamique).
Le troisième indice est perceptible à travers la menace libyenne, particulièrement de l’organisation frériste surarmée Fajr Libya, alliée du parti Ennahdha, qui contrôle l’ouest de la Libye, c’est-à-dire le sud-est de la Tunisie.
Cette partie de la Libye est, depuis sept ans, un foyer terroriste doublé d’un sanctuaire pour les commandos daechistes qui menacent ouvertement la sécurité de la Tunisie, du Maghreb et du Sahel. Ils ont déjà essayé de le faire avec l’agression de la ville frontalière de Ben Guerdane, le 7 mars 2015.
Les Tunisiens du sud, conservateurs, acquis en majorité à la cause nahdhaouie et farouchement opposés au pouvoir central tunisien, peuvent constituer à tout moment un cheval de Troie pour l’expansion vers l’ouest de ces bataillons terroristes libyens.
Inculture, analphabétisme, pauvreté, terreaux pour l’achat des consciences
Abstraction faite de ces trois indices, il faut admettre que le processus démocratique en Tunisie est biaisé par l’ampleur de l’inculture, de l’analphabétisme et de l’extrême pauvreté qui prévalent dans le pays par l’effet de l’inaction et de l’incompétence des gouvernements qui se sont succédé depuis le soulèvement du 14 janvier 2011.
Est-il besoin de rappeler ici que sur 12 millions d’habitants, la Tunisie compte plus de 4 millions d’analphabètes et illettrés et de 2 millions vivant en dessous du seuil de la pauvreté ?
Cela pour dire que ces communautés sous-politisées, fragiles et démunies de tout, peuvent à tout moment être tentées de vendre leur voix et leur conscience au parti Ennahdha. Un parti extranationaliste, riche…
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Ennahdha, en prévision des prochaines municipales du 6 mai prochain, est le seul parti -bien le seul parti-, selon l’ISIE, à avoir présenté, aisément, 350 listes dans 350 arrondissements municipaux, contre 345 listes pour le parti Nidaa Tounès. Mieux, dans ces arrondissements municipaux, les nahdhaouis disposent d’une forte logistique composée de pas moins de 6.000 mosquées fréquentées par des fidèles acquis idéologiquement à Ennahdha.
Conséquence : au regard de la puissance organisationnelle et matérielle d’Ennahdha, de l’émiettement des autres partis et de l’absence de conscience de l’écrasante majorité du peuple, les inquiétudes de l’ancien Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin sont, pour nous, pleinement justifiées.