Une centaine de personnes, dont des célébrités tunisiennes, ont abusé de la plage de Ghar El Melh à l’écosystème fragile dans la région de Bizerte, en y construisant illégalement des maisons et des appartements, en infraction de la loi sur le domaine public maritime qui stipule, dans son article 18, qu'”aucune construction ou édification d’ouvrages nouveaux ne peut être entreprise en bordure du domaine public maritime, qu’il soit délimité ou non, qu’après obtention d’un arrêté d’alignement délivré par les services relevant du Ministère de l’Equipement”.
L’auteur d’une enquête d’investigation publiée sur le site “Al-Arabi Al Jadid”, Al Hussein Ben Amor, a constaté que les autorités ne réagissent pas et sont presque complices de “personnalités influentes” qui envahissent le lac et le rechargent pour y construire des maisons. Les contrevenants ont profité de l’interférence des prérogatives des autorités chargées de la protection de ce domaine fragile pour bâtir des constructions anarchiques sur les plages de Sidi Ali Mekki et Ghar El Melh, depuis 2010.
Il a indiqué que les experts qu’il avait rencontrés ont appelé à arrêter l’implantation provisoire sur la plage de Sidi Ali Mekki pour une durée de 5 ans, à annoncer la zone “interdite de séjour en vacances” et à hâter l’identification de solutions alternatives de développement au profit des jeunes, la finalité étant de protéger tout le littoral fragile dans cette région.
La région de Ghar El Melh se caractérise par un écosystème fragile et unique et des pratiques d’agriculture ancestrales encore utilisées et qui s’avèrent bénéfiques à l’environnement. Il s’agit du système des “Guettays”, une technique locale et unique qui consiste à planter des végétaux autour des lagunes et qui profite pour l’irrigation de l’activité de la marée.
L’enquête a aussi dévoilé le manquement de la part du ministère de l’Environnement et des autorités locales et régionales et leur échec à appliquer la loi pour protéger le domaine public maritime des transgresseurs.
En vertu de la loi du 24 juillet 1995, le domaine public maritime se compose du domaine public maritime naturel et du domaine public maritime. Il comprend le rivage de la mer : constitué par le littoral alternativement couvert et découvert par les plus hautes et les plus basses eaux de la mer, et par les terrains formés par les lais et les relais ainsi que par les dunes de sable limitrophes de ces terrains sous réserve des dispositions du code forestier.
Il comprend également les lacs, étangs et sebkhas en communication naturelle et en surface avec la mer, le sol et le sous-sol des eaux maritimes intérieures et de la mer territoriale.
Les contrevenants sont allés, dans leurs infractions, jusqu’à convertir les appartements et les résidences construites déjà illégalement, en unités touristiques, selon le secrétaire général du gouvernorat de Bizerte, Hammadi Ben Amor.
L’ex-directrice générale de l’Agence de protection et d’aménagement du Littoral (APAL), Kawthar Tlich a déclaré à l’auteur de l’enquête qu’un rapport auquel elle avait accès durant son mandat (2015-2017) révèle, photos à l’appui, la construction illégale de 60 maisons ou étages de maisons sur les rives du domaine public maritime.
Une menace pour le patrimoine andalous agricole et l’écosystème en général
Selon une étude scientifique intitulée “le littoral fragile de Sidi Ali Mekki” réalisée en 2003 par le bureau d’études privé “khrystal engineering” les Guettayas, sont “un élément important du patrimoine historique, culturel et naturel à la fois. C’est un patrimoine unique en son genre de l’écosystème en Tunisie, voire dans le monde, introduit au début du 17ème siècle par les Andalous et les Maures, fondateurs de la région de Ghar El Melh après avoir été renvoyés de l’Espagne.
Cette particularité d’irrigation naturelle a incité l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à créer une commission nationale des systèmes du patrimoine agricole spécifique à la Tunisie, en vue de l’annonce et du classement des Guettayas en tant que réserve naturelle, comme l’a souligné l’expert en environnement Sami Belhaj, à l’auteur de l’enquête. Une publication sur le site de la FAO indique que “le but de cette commission est d’aider à la promotion des politiques et activités de sauvegarde des systèmes agricoles hérités et d’importance internationale”.
Selon la FAO, Ghar El Melh est une région très importante pour les oiseaux migrateurs où résident une faune et une flore menacée par les constructions en cours.
Le site de Ghar El Melh inscrit sur la liste Ramsar, un traité international, adopté le 2 février 1971, pour la conservation et l’utilisation durable des zones humides, qui vise à enrayer leur dégradation ou disparition, aujourd’hui et demain, en reconnaissant leurs fonctions écologiques ainsi que leur valeur économique, culturelle, scientifique et récréative.
La Convention porte le nom de la ville de Ramsar, en Iran, et plus de 1.888 sites, s’étendant sur une superficie de 1,8 million de m2 sont protégés par cette Convention. Ils sont répartis entre 159 pays (mai 2010).
Le ministère de l’Environnement ne protège pas le domaine public maritime
L’ enquête souligne la nécessité pour le ministère de l’environnement d’appliquer l’article 30 de la loi sur le domaine public maritime qui lui donne la prérogative ‘d’exécuter les travaux nécessaires pour réparer les dégâts subis par le domaine public maritime”, en l’occurrence les travaux de démolition.
Seulement, les ministres de l’environnement qui se sont succédé depuis 2010 n’ont pas appliqué l’article 30, comme l’a relevé l’auteur de l’enquête.
Par ailleurs, l’APAL n’a pas accompli les mesures réglementaires qui s’imposent, huit ans depuis l’agression continue du littoral à Ghar El Melh. Sachant que l’article 31 de la même loi soutient le nécanisme d’exécuton des dispositions de l’article 30 en indiquant que “les agents de la police judiciaire évoqués dans l’article 10 du Code de procédures pénale et la police municipale sont habilitées à mettre en oeuvre cette loi”, ce manquement n’a pas de raison d’être, ont affirmé les experts.
Après avoir été confronté par l’auteur de l’enquête à l’ensemble des dépassements survenus au niveau du littoral, Riadh Maouakher, ministre de l’Environnement et des Affaires locales, depuis août 2016, a reconnu la nonchalance du ministère dans l’arrêt de ces débordements et infractions, insistant sur le droit du ministre d’appliquer l’article 30 et d’ordonner la démolition immédiate des constructions illégales sur le domaine public maritime.
Toutefois, a-t-il dit, l’exécution revient au gouverneur de la région en vertu du décret gouvernemental relatif à l’octroi de certaines prérogatives des ministres aux gouverneurs.