Effrayant, effarant, angoissant ! C’est le constat amer du Pr Mahmoud Ben Romdhane et ancien ministre des Affaires sociales dans le gouvernement Habib Essid, relatif au contexte économique dans notre pays et exprimé lors de la rencontre-débat du Cercle Kheireddine et Académie Beit El Hekma intitulée: «Les défis de la consolidation démocratique face à la crise économique et sociale de la Tunisie».
Pour M. Ben Romdhane, la Tunisie est une martyre puisque, aujourd’hui, le budget de l’Etat consacre 2 milliards de dinars à la lutte contre le terrorisme, et que nous sommes à moins de 80 jours d’importations. Les entreprises publiques ont atteint, en 2016, le chiffre record de 1,2 milliard de pertes. La Tunisie a perdu 17% de son PIB en 2017 et la CNAM -dont les finances étaient excédentaires- doit aujourd’hui à ses prestataires plus de 368 MDT.
Une précision : 770 MDT ont été prélevés dans les Caisses de la CNAM pour renflouer la CNSS.
Ceci explique, entre autres, le fait que les dentistes, les pharmaciens et nombreuses franges des médecins de libre pratique aient résilié leurs conventions avec la Caisse nationale d’assurance maladie.
«Nous sommes tous en pleine zone de turbulences et nous devons nous attendre à plus d’une déflagration à nos portes», prévient Mahmoud Ben Romdhane qui dénonce un exercice des institutions publiques à la limite de la légalité. «Elles prennent ce dont elles ont besoin à la CNAM pour assurer les pensions des retraités aux dépens des soins qui doivent être dispensés aux malade. L’UGTT et l’Etat sont complices et préfèrent le silence des malades (qui souffrent et qui meurent) à celui de la colère des retraités. Quant aux régions, eh bien les gens s’y battent avec les moyens du bord et ces moyens sont destructeurs».
Aujourd’hui, il ne faut plus s’étonner de voir un corps de santé en plein désarroi quitter le pays car victime de la violence des citoyens qui les agressent parce qu’ils n’ont pas les moyens de les prendre en charge correctement.
L’Etat a cédé à tous les coups et il doit aujourd’hui assumer ses responsabilités, reconnaît M. Ben Romdhane. Il a sous-traité ses prérogatives aux ONG, à des intermédiaires et à des syndicats et failli à son rôle! Alors même que le chômage n’a pas augmenté, son taux est maintenu à 15,5%. «C’est la faille démographique de 1990 qui nous sauve aujourd’hui. Bourguiba est encore là à notre secours».
«Comment voulez-vous que les investisseurs prennent des risques dans un pays incapable de protéger ses propres biens?», s’est pour sa part exclamé Hédi Larbi, ministre de l’Equipement au gouvernement Mehdi Jomaa, consultant Banque mondiale pour les pays en transition économique et universitaire de renommée internationale.
Pour lui, la lutte entre les partis politiques fragilise l’Etat, le système judiciaire très réfractaire à la réforme n’est pas sécurisant et surtout les affaires Kerkennah et CPG n’aident pas beaucoup à renvoyer au monde l’image d’un Etat qui protège ses richesses et ses entreprises, décide et applique les mesures qu’il prend.
Mettre fin à la destruction de l’Etat, c’est l’appel lancé par Sadok Belaid, Pr de Droit et intervenant à la rencontre du Cercle Kheireddine. Il rappelle que s’il y a problème pour sauver les caisses sociales, c’est parce que les concernés refusent de signer et que l’Etat n’impose pas sa volonté, d’où, selon lui, la nécessité d’un gouvernement de salut public pour mettre fin à un enlisement vers une faillite proche et à l’effondrement de l’Etat.
Le gouvernement, estime Pr Belaid, se doit de dire toute la vérité sur la situation des finances publiques, la fragilité de l’Etat et les risques de son démembrement, afin de préserver la souveraineté nationale et de rétablir la confiance avec les citoyens.
Pour sauver la Tunisie, les trois intervenants estiment qu’il va falloir oser :
– demander aux citoyens des contributions justes et des sacrifices équitables ;
– mettre fin à la confusion des rôles et l’irresponsabilité des principaux acteurs politiques, économiques et sociaux ;
– préserver la liberté -seul acquis de la révolution- et sauver la démocratie gravement minée par les conflits politiciens, parfois sous-tendus par des actes législatifs et des accords non écrits conclus au service d’intérêts étriqués ou inavoués ;
– mettre fin à toutes formes de chantages-abus-destructions et autres débordements corporatistes, “mafieux” ou “territoriaux”, en toute légalité et dans la transparence ;
– imposer le respect de l’Etat par une application stricte, égalitaire et impartiale de la loi, faisant valoir en toute circonstance l’autorité de la loi ;
– préserver l’unité territoriale et assumer le devoir de solidarité nationale.
Pour ce faire, les élites du pays, jusque-là se complaisant dans un silence presque complice,, sont tenues de sortir de leur posture de spectateurs indifférents et démissionnaires, ou de “fuite” à la recherche de confort moral et matériel éphémère hors des frontières nationales.
Quant à la société civile, il est grand temps pour qu’elle sorte de son sommeil profond et prenne conscience des dangers du statuquo qu’elle maintient depuis des années. Il ne s’agit pas uniquement de revendiquer la liberté et la démocratie, il faut surtout les préserver et cela ne sera pas possible avec un Etat vulnérable, des institutions infiltrées et dévoyées aux desseins partisans et un leadership en mal de vision et de stratégie socioéconomique claire.
Certes, le diagnostic des intervenants à la rencontre «Les défis de la consolidation démocratique face à la crise économique et sociale de la Tunisie» est alarmant, mais le déterminisme n’existe pas dans l’histoire des peuples. La Tunisie peut se réveiller de son assoupissement et rebondir pour se sauver. Tout ce qu’il faut, c’est que les valeurs, les vraies, celles du travail, de justice, d’équité, d’égalité, de progrès et de liberté soient le socle sur lequel on construit l’édifice d’une Tunisie, certes en pleine dérive, mais dont le bateau n’a pas encore totalement chaviré.
Amel Belhadj Ali
Vidéo ¼ (Ouverture de la Rencontre + conférence de Mahmoud Ben Romdhane)
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Vidéo 2/4 (conférences de Hédi Larbi et Sadok Belaid + Intervenants au débat).
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