Une sortie de la crise économique actuelle nécessite la mise en place d’un ensemble d’actions de court terme, sans toutefois perdre le cap des orientations futures, estiment deux experts économiques, en l’occurrence Safouane Ben Aïssa et Mustapha Mezghani.
Dans une interview accordée à l’agence TAP, axée sur la conjoncture économique difficile, ils soulignent que “les différentes phases d’expansion économique du pays, ont montré que son économie a connu ses périodes de gloire au court des quinquennats qui ont vu une innovation dans l’approche et une introduction de nouveaux instruments”. Et que le pays a très mal réussi les réformes structurelles et très bien réagi face aux nouveaux instruments qui permettent de voir des résultats rapides.
Analysant la conjoncture économique depuis la Révolution de 2011, les deux experts estiment que les politiques économiques mises en place depuis 2011 font souvent face aux mêmes entraves, à savoir la non prise en considération du secteur informel et de son importance.
Pour Mezghani et Ben Aïssa, les politiques économiques entreprises n’ont pas seulement permis une adhésion spontanée ou provoquée du secteur informel, mais, pire encore, ont parfois encouragé les acteurs du secteur formel à dévier vers le secteur informel.
Autre difficultés évoquées par les deux experts, l’absence d’une vision à long terme et de sa prise en considération dans les actions court terme, à l’instar des lois de finances, au point que l’équilibre budgétaire prime sur tout objectif de relance économique avec des études d’impact non réalisées après termes, alors que celles qui ont justifié la prise des décisions ou les orientations des lois de finances sont très souvent arithmétiques et linéaires et basées sur le fait que plus de pression fiscale aboutit inéluctablement à plus de recettes; une règle à maintes fois démentie, y compris dans un passé proche.
Ils ont en outre évoqué l’idée erronée stipulant que l’augmentation salariale n’a qu’un effet rétroactif de corriger un pouvoir d’achat érodé par l’inflation, en ignorant sa capacité prospective de génération d’inflation et de détérioration de davantage de pouvoir d’achat.
Les deux experts proposent un plan d’action à court terme qui comporte des dispositions ciblant 8 secteurs prioritaires, à savoir la fiscalité, l’endettement, le secteur bancaire, le marché des capitaux, la gouvernance des marchés, les subventions, le secteur informel et les entreprises publiques.
Fiscalité
Le plan d’action vise à œuvrer pour l’élargissement de l’assiette fiscale afin d’augmenter le nombre de contribuables ainsi que les bases de contributions par opposition à la politiques des taux, outre le recours à la digitalisation des services fiscaux et de leurs paiements.
Endettement
Les deux experts appellent à accélérer l’étude et la mise en place d’une agence nationale du trésor, Tunisie Trésor, chargée de la gestion de la dette publique et d’ouvrir un marché obligataire pour mobiliser plus de fonds extra-financiers et permettre aux banques de financer plus efficacement les différents secteurs économiques.
Système bancaire
Abolir la pratique des sociétés de recouvrement filiales de banques, pour plus de transparence et d’efficacité, et abolir les sociétés d’investissement à capital-risque “SICAR” (filiales de banques), et supprimer la défiscalisation a priori des fonds investis dans les SICAR et les fonds commun de placement à risque “FCPR”, afin que les SICAR ne soient plus qu’une continuité des instruments financiers de la banque.
Pour les deux experts, il s’agit également de revoir à la hausse le capital minimum des banques en le faisant passer à 200 MDT afin d’inciter aux absorptions, fusions et acquisitions entre banques et encourager la consolidation du paysage bancaire en Tunisie.
Ils a appellent en outre à encourager la bancarisation du tunisien par le lancement d’une banque postale, touchant un maximum de tunisiens, ainsi que le recours à la digitalisation et au mobile money et la transformation de la Caisse des prêts et de soutien des collectivités locales “CPSCL” en établissement financier.
Marché des capitaux
La création d’un marché boursier des produits de base, matières premières, essentiellement au service de l’agriculture (huile d’olive, dates, agrumes, tomates, etc.) permettra, soulignent les deux experts, de minimiser l’action des intermédiaires et de garantir plus d’ouverture aux produits agricoles tunisiens.
Ils ont également mis l’accent sur la nécessite de développer le marché secondaire à destination des PME et des startups à destination d’un public averti, outre l’introduction en Bourse d’au moins 10% de tous les opérateurs télécoms actifs sur le marché tunisien, et ce pour dynamiser le marché boursier, à l’instar de ce qui s’est fait à l’étranger, mais aussi pour forcer la transparence de ces entreprises.
Gouvernance des marchés
Légiférer sur les délais de paiement à l’instar de ce qui se fait dans les pays développés en limitant le paiement des prestations de services à trente jours et celui de la fourniture de biens à 60 ou 90 jours et en assortissant les dépassements abusifs de délais de lourdes pénalités qui reviendraient à l’Etat en plus de charges financières inhérentes au retard de paiement qui reviendraient au fournisseur ou prestataire.
Subventions
Les deux experts recommandent une levée totale des subventions alimentaires dans un horizon de six mois (sans attendre l’établissement d’une carte d’identité biométrique ou autre), en se basant sur la base de donnée relative à l’identifiant unique développée au sein du Centre national de l’informatique (CNI).
Il est aussi fortement recommander de bénéficier de cette opportunité pour généraliser le recours à la mobile money en attribuant des portes monnaie sur mobile à tous les tunisiens, porte monnaie sur lequel sera versée la subvention, ont-t-ils expliqué.
Secteur informel
Les deux experts mettent l’accent sur la nécessité d’encourager la bancarisation des liquidités en circulation moyennant un paiement forfaitaire au profit des caisses de l’Etat de l’ordre de 10 à 20% des montants non déclarés qui viendraient à être bancarisés avec une portée limitée ne dépassant pas les six mois.
Il s’agit en outre de récupérer les informations relatives aux actes légalisés (vente, location, etc.) par l’administration fiscale et la conservation foncière par le recours à un système informatisé reliant les rédacteurs d’actes, les municipalités, la conservation foncière et les recettes des finances.
Entreprises publiques
Le plan recommande de mener, en concertation avec les syndicats et les autres parties prenantes, une opération de full audit pour un plan de restructuration des cinq entreprises publiques les plus budgétivores (STIR, STEG, Tunisair, Office des céréales, RNTA).
Il s’agit en outre d’introduire des primes distribuées au personnel en fonction des résultats atteints par l’entreprise (chiffre d’affaires, bénéfices, ou autres) à l’instar de ce qui a été fait chez TTN afin de motiver le personnel et de l’intéresser aux résultats et aux performances.
Les deux experts appellent en outre à l’adoption d’une nouvelle loi organique du budget, de la comptabilité en partie double et des nouvelles normes comptables IFRS au niveau des entreprises publiques. Cette nouvelle loi, ont-ils encore expliqué, permettra de rendre le reporting et la consolidation comptable instantanés ; relever très vite les défaillances de gouvernance de ses entreprises et de mesure aisément leur performance.