On savait la Nation reconnaissante aux grands hommes qui l’ont servie, de bonne foi. Ne revient-il pas à l’Etat de prendre ses responsabilités et d’honorer la mémoire de Tahar Ben Ammar ?
Sous la 1ère République, nous avions vécu dans le déni de l’histoire. Des faits réels, avérés, ont été remplacés par d’autres. On ne voyait pas de raison valable à cette manipulation. C’était une atteinte à la mémoire nationale, injuste et malveillante.
Après le déni, l’occultation
Tahar Ben Ammar a été tout bonnement retiré de l’histoire –officielle- de Tunisie. On réduisait son parcours prestigieux à celui qui aurait paraphé les Documents du protocole de l’indépendance.
Sous la 2ème République, nous vivons dans une semi-occultation des mêmes faits historiques. Et c’est tout aussi indélicat. Dans le livre consacré à son père, Chedly Ben Ammar a remis les choses dans l’ordre. Il s’est employé à restaurer les faits dans leur authenticité et leur séquencement chronologique, rafraîchissant la mémoire nationale. Et le livre a été validé de tous, y compris du cercle des bourguibiens inconditionnels.
Grâce à ce livre, chacun a repris sa place. Cependant, Tahar Ben Ammar n’est toujours pas revenu sur la scène et reste privé des honneurs qui lui reviennent.
Le sens de l’honneur
Tahar Ben Ammar a fait le choix de l’honneur. En rejoignant la cause du peuple, son engagement préfigurait les paroles de l’hymne national. Vivre dignement ou mourir comme les grands. Lui ne venait pas du néant, mais tout nanti qu’il était, le combat pour la patrie passait, à ses yeux et du fait de son éducation, avant la jouissance des plaisirs de la vie. Il donne de la hauteur aux paroles de Hugo dans Ultima verba. Il s’expose à la vindicte des prépondérants, ces colons maîtres de la Tunisie et des autorités coloniales pour vivre debout**.
Son combat contient les référentiels d’honneur de notre charte patriotique. La classe possédante fait corps avec le reste du peuple, scellant, par la vigueur du sang, l’unité nationale. Un démos tunisien s’est forgé. Dans l’honneur et le sens du devoir.
La patrie avant la vie. Jalelleddine Naccache l’aura plus tard sanctifié***dans un vers joliment rimé “Par la fureur de mon sang et au prix de ma vie, je me sacrifie au service de la souveraineté de la Tunisie“.
Loger Tahar Ben Ammar au panthéon national, revient à apaiser notre histoire et à réconcilier les Tunisiens, entre eux. Il convient de ramener les frictions du passé à de simples faits épisodiques. De cette façon, on reconnaîtrait à TBA le mérite de souder l’unité du peuple, de son vivant comme après sa mort.
Immortaliser son action et son souvenir
Pourquoi continuer, obstinément, à ne pas faire revenir TBA au devant de la scène, principalement le jour de l’indépendance du pays ? Donner à Tahar Ben Ammar ce qui lui revient et laisser à Bourguiba ce qui lui appartient préserverait notre mémoire nationale de la tentation de la manipulation. Notre patrimoine mémoriel en sortirait apuré, assaini et notre conscience nationale grandie.
Tahar Ben Ammar, patriote chef politique, fédérateur, homme d’Etat, a su faire le consensus autour de sa personne. Toutes les forces vives du pays et toutes les organisations nationales -UGTT et Néo Destour compris- ont forcé sa nomination comme président du Conseil -du mois d’août 1954 au mois d’avril 1956. A la tête de deux gouvernements successifs, il a conduit les négociations pour l’autonomie interne puis l’indépendance. C’est lui qui a pris l’initiative de convaincre le Bey d’appeler la Constituante de 1956. C’est encore lui qui a convaincu le Bey de désigner Habib Bourguiba pour lui succéder. Rendre le tablier, une fois le devoir accompli, de plein gré, en toute conscience et avec civilité, n’aura pas été le moindre de ses actes glorieux. Quelles mœurs politiques distinguées. Hélas, le pays s’en est parfois écarté.
L’heure est venue pour renouer avec la haute morale en politique. Rectifier les manuels scolaires d’histoire devient impérieux, intégrant le parcours honorable de cet homme d’Etat valeureux.
Immortaliser le nom de Tahar Ben Ammar s’impose de soi. On peut lui dédier des réalisations symboliques de la Tunisie indépendante. Les options sont nombreuses. On peut bien rebaptiser l’aéroport international de Tunis Carthage en son nom. Le nouveau billet de banque de cinquante dinars pourrait bien être à son effigie. Et, dans le pays qui a consacré tant de moyens à l’instruction publique, des promotions de diplômés de nos grandes écoles pourraient porter le nom de cette figure illustre. En élevant l’honneur de Tahar Ben Ammar on élèverait nos mœurs politiques.
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** Victor Hugo dixit : «Je serai proscrit voulant, vivre debout».
***Extrait de «Ala Khallidi» l’hymne que Bourguiba a choisi pour remplacer «Houmet el Hima» et qui disait «Bi Harry yadi wa bi ma fi yadi, ana li bilady fidaa».