Sous la pression de l’opinion publique exaspérée par l’ampleur que prend de plus en plus la corruption et du manque à gagner que génère ce fléau pour l’Etat, le gouvernement a commencé par prendre des initiatives encourageantes -mais pas encore suffisantes- aux fins de dénoncer les corrompus et de protéger les dénonciateurs. Trois cas méritent qu’on s’y attarde.
Empressons-nous de signaler tout de suite le rôle majeur qu’a joué dans cette optique l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) que préside Chawki Tabib. Celle-ci est intervenue ici sur la base de ses prérogatives de protection des dénonciateurs de corruption conformément à la loi organique numéro 10 de l’an 2017.
La BFT: “la plus grosse affaire de corruption qu’ait connue le pays”
Pour revenir à la première initiative anti-corruption, elle est à l’actif du chef du gouvernement, Youssef Chahed. Dans une déclaration télévisée, il avait qualifié l’affaire de la Banque franco-tunisienne (BFT) de “la plus grosse affaire de corruption qu’ait connue le pays“. Les médias ont mis à profit pour revenir sur ce dossier qui a des relents de “scandale d’Etat”.
En dépit de la politique de verrouillage suivie en la matière, de simples journalistes sont parvenus par recoupement à connaître approximativement le nombre d’hommes d’affaires qui ont bénéficié des largesses, voire de crédits sans garantie de cette banque. Ces hommes, qui seraient, selon des sources concordantes, au nombre de 780, auraient contracté des crédits pour un montant global de 300 MDT environ, sachant que jusqu’à fin 2016, le stock des créances carbonisées de la BFT s’élevaient à 450 MDT.
Youssef Chahed avait tout à fait raison quand il a précisé que “l’affaire de la BFT n’est pas due à une question d’arbitrage international, mais à la banqueroute qui a sanctionné la gestion de la banque, et à ceux qui en sont les auteurs”. Entendre par-là que les responsables de la banqueroute de la BFT, tout autant que ceux qui ont bénéficié des crédits par convenance doivent être les premiers à payer les pots cassés.
Dans ce contexte, le magazine “Réalités” (N°1680) va plus loin dans ces investigations et cite les noms d’hommes et de groupes d’hommes d’affaires qui ont cherché à racheter la BFT au temps de Ben Ali.
Autre révélation, c’est la Banque d’affaires de Tunisie (BAT), reconvertie récemment en CAP Bank, qui avait fait l’étude faisabilité de ce rachat. Cette banque est dirigée, jusqu’à ce jour, par Habib Karaouli.
Le magazine évoque également l’implication dans ce scandale d’Etat des experts-comptables : Mourad Guellati, Moncef Boussanouga, Abdeljelil Mouakher, Fayçal Derbal, Mohamed Affès, Yahia Chaabouni, Youssef Nouri …
Victoire de grands commis de l’Etat
La deuxième initiative anti-corruption est à l’actif de l’INLUCC et des ministères de la Santé et de l’Agriculture. Les deux départements ministériels ont “ordonné l’application d’une décision de l’INLUCC. En vertu de cette décision, la courageuse vétérinaire Siwar Guermazi, qui avait signalé la commercialisation d’un lait contaminé par la tuberculose au gouvernorat de la Manouba, bénéficierait d’une protection judiciaire, de l’annulation des sanctions disciplinaires prises à son encontre et de son transfert des services du ministère de l’Agriculture à celui de la Santé.
La troisième initiative consiste en la décision du ministère du Transport, conformément à une recommandation de l’INLUCC de réintégrer dans la SNCFT (Société nationale des chemins de fer tunisiens) le conducteur de train, lanceur d’alerte et dénonciateur de corruption, Issameddine Fitati.
Ce dernier a été licencié en 2016 pour avoir révélé aux médias une sordide affaire de corruption au sein de la SNCFT portant sur une transaction d’achat de locomotives comportant des vices de fabrication d’un montant de 165 MDT. Ces anomalies de fabrication auraient pu mettre en danger la sécurité et la vie des 41 millions de voyageurs qui utilisent le train pour se déplacer.
Cela pour dire au final que le courage de dépoussiérer, au plus haut niveau, un sale dossier comme celui de la BFT et la réintégration de cadres et agents qui ont fait leur devoir de dénoncer la corruption, augure d’une véritable volonté politique d’aller de l’avant sur la voie de la lutte contre la corruption et la mafia politico-financière qui gouverne le pays.
Les trois cas précités ont valeur de symbole et tous les lanceurs d’alerte sur des cas de corruption devraient être dorénavant perçus comme des héros et hautement récompensés.