L’édition 2018 du Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) témoigne de l’accroissement des sentiments de haine à l’encontre des journalistes, a souligné mercredi Virginie Dangles, rédactrice en chef de RSF.
Lors d’une conférence de presse organisée à Tunis pour présenter le classement de 2018, elle la rédactrice en chef de RSF a indiqué que l’hostilité revendiquée envers les médias, encouragée par des responsables politiques et la volonté des régimes autoritaires d’exporter leur vision du journalisme menacent les démocraties.
Selon le rapport, l’hostilité des dirigeants politiques envers les médias n’est plus l’apanage des seuls pays autoritaires comme la Turquie (157e, -2) ou l’Egypte (161e), qui ont sombré dans la “média-phobie” au point de généraliser les accusations de “terrorisme” contre les journalistes et d’emprisonner arbitrairement tous ceux qui ne leur prêtent pas allégeance.
” De plus en plus de chefs d’Etat démocratiquement élus voient la presse non plus comme un fondement essentiel de la démocratie, mais comme un adversaire pour lequel ils affichent ouvertement leur aversion “, note le rapport.
Pays du Premier amendement, les Etats-Unis de Donald Trump figurent désormais à la 45e place du Classement, en recul de deux places, a indiqué Virginie Dangles.
Dans certains pays, la frontière entre la brutalité verbale et la violence physique est de plus en plus ténue. Aux Philippines (133e, -6), le président Rodrigo Duterte, coutumier des insultes et des menaces à l’encontre des médias d’information, a prévenu : être journaliste “ne préserve pas des assassinats”.
En Inde (138e, -2), les discours de haine envers les journalistes sont relayés et amplifiés sur les réseaux sociaux, souvent par des armées de trolls à la solde du Premier ministre Narendra Modi. En l’espace d’un an, dans chacun de ces deux pays, au moins quatre journalistes ont été froidement abattus, signale RSF.
Virginie Dangles a fait remarquer que les violences verbales des leaders politiques à l’encontre de la presse se sont multipliées aussi sur le continent européen, pourtant celui où la liberté de la presse est la mieux garantie.
En République tchèque (34e, -11), le président Milos Zeman, s’est présenté, en octobre dernier, à une conférence de presse muni d’une kalachnikov factice sur laquelle était inscrite l’expression “pour les journalistes”, a précisé la rédactrice en chef de RSF.
En Slovaquie (27e, -10), un journaliste, Jan Kuciak, a été assassiné en février, après la mort de Daphne Caruana Galizia dans l’explosion de sa voiture à Malte (65e, -18).
En 2018, la Norvège et la Corée du Nord conservent leur première et dernière place
Dans cette nouvelle édition, la Norvège reste en tête du Classement pour la seconde année consécutive, talonnée comme l’an dernier par la Suède (2e). Traditionnellement respectueux de la liberté de la presse, les pays nordiques n’en sont pas moins affectés par la détérioration générale. Pour la deuxième année consécutive, la Finlande (4e, -1), affaiblie par une affaire où le secret des sources a été menacé, baisse dans le Classement et perd sa troisième place, au profit des Pays-Bas. A l’autre extrême du Classement, la Corée du Nord (180e) conserve la dernière place.
Le Classement montre l’influence grandissante des “hommes forts” et des contre-modèles. Après avoir étouffé les voix indépendantes à l’intérieur de ses frontières, la Russie (148e) de Vladimir Poutine étend son réseau de propagande à travers le monde grâce à ses médias comme RT et Sputnik, et la Chine (176e) de Xi Jinping exporte son modèle d’information verrouillée en Asie. Dans leur répression implacable des voix critiques, ils confortent ainsi des pays qui figurent déjà en queue de Classement comme le Vietnam (175e), le Turkménistan (178e) ou l’Azerbaïdjan (163e).
Quand ce ne sont pas les despotes, c’est la guerre qui contribue à transformer des pays en trous noirs de l’information, comme l’Irak (160e, -2), qui a rejoint cette année les bas-fonds du Classement.
Le Classement mondial de la liberté de la presse 2018 révèle que les journalistes continuent de subir de multiples pressions en Afrique du Nord. Des cadres législatifs restrictifs, des entraves à l’exercice du journalisme sur le terrain, en particulier lors des manifestations, et les nombreux sujets tabous sont autant de contraintes qui empêchent les journalistes de remplir pleinement leur rôle et d’assurer une information indépendante, plurielle et libre.
La Tunisie (97e), le Maroc (135e), l’Algérie (136e) et la Libye (167e) figurent parmi les pays de la région où la situation de la liberté de la presse y est la plus mauvaise. Si la Tunisie stagne, le Maroc et l’Algérie poursuivent leur baisse au Classement mondial de la liberté de la presse, en perdant chacun deux places par rapport à l’an dernier. La Libye, en queue de peloton, gagne une place. Une hausse en trompe-l’œil qui s’explique par un effet mécanique de détérioration générale des pays situés en bas du Classement et par le fait que de nombreux journalistes ont fui une Libye devenue trop dangereuse, faisant ainsi baisser le nombre d’exactions.
Au regard des indicateurs utilisés pour mesurer les évolutions des pays, année après année, c’est dans la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord que la dégradation de l’indicateur environnement, c’est-à-dire du climat dans lequel travaillent les journalistes, est la plus forte Les conflits armés qui perdurent en Syrie (177e), au Yémen (167e, -1), les accusations récurrentes de terrorisme utilisées contre les journalistes en Egypte (161e), en Arabie saoudite (169e, -1), au Bahreïn (166e, -2) continuent de faire de cette région du monde l’endroit où il est le plus difficile et dangereux pour un journaliste d’exercer sa profession, constate l’organisation dans son rapport.