Résidant depuis plus de 30 ans en France avec à son actif plusieurs romans traduits dans plusieurs langues (français, anglais, allemand et italien), le romancier tunisien Habib Selmi aborde dans ses livres la réalité tunisienne dans un style particulier et original en dépit de son absence sur sa terre natale.
Certains de ses romans ont pu atteindre la liste finale pour le prix international du roman arabe “Booker”, et malgré ses réussites, chaque fois qu’il écrit un roman, Habib Selmi dit ressentir une certaine angoisse.
Dans un entretien accordé à l’agence TAP, Habib Selmi a parlé de la création littéraire comme un processus “mystérieux”, de son dernier roman “Bakara” (Virginité), de la révolution qui est selon lui un long processus en Tunisie, un pays sur la bonne voie.
Invité à la “Rencontre du Roman” qui se déroulera du 3 au 5 mai 2018 à la Cité de la Culture à Tunis, Habib Selmi a évoqué aussi dans son entretien… sa position face à l’adhésion des intellectuels tunisiens dans des partis politiques en affirmant que la Révolution tunisienne réussira à atteindre ses objectifs à la fin et que la Tunisie aura un avenir meilleur et sera un modèle pour les pays arabes.
Habib Selmi a expliqué que son roman “Bakara” (Virginité) écrit en 2016 et édité chez Dar Al-Adab (Beyrouth) n’est pas un roman sur la révolution.
Les événements de l’histoire se déroulent à partir de la révolution, qui était à l’origine de la rumeur ayant construit la trame narrative du roman.
Pour l’auteur, auquel un hommage lui a été rendu lors de la 34ème foire internationale du livre de Tunis, le choix de la rumeur en relation avec la thématique de la virginité illustre l’importance de la notion de virginité dans sa relation avec la virilité d’une part, la relation entre l’homme et sa femme qui commence à se tisser à partir de la nuit de Noces d’une autre part. Il a, à ce sujet, fait observer que la nuit de Noces reste aujourd’hui essentielle dans l’instauration de toute relation de mariage et de toute la vie conjugale dans nos sociétés arabes.
Répondant à la question portant sur la non obtention du prix international du roman Booker et son lien avec le caractère audacieux des sujets abordés dans le roman “Bakara”, Selmi a indiqué que le sujet de la virginité est un sujet tabou dans une société arabe qui demeure encore conservatrice, avouant que le traitement audacieux de certains sujets tabous dans le monde arabe peut ne pas être en faveur du roman.
Pour l’auteur de “Les femmes de Bassatine” et “Les odeurs de Marie-Claire”, l’écrivain doit porter son intérêt sur toutes les préoccupations de la société sans prendre en considération les exigences d’un prix donné. Car l’écriture est avant tout un acte de liberté.
“Quand je parle de la sexualité dans le roman je ne cherche pas le Buzz ou à provoquer le lecteur mais je décris un fait social au service des faits narratifs du roman”a-t-il encore expliqué.
Parlant de ses projets futurs, l’écrivain tunisien Habib Selmi a fait savoir que deux romans sont aujourd’hui prêts pour l’édition, deux romans dont les sujets traités n’ont aucune relation avec la révolution.
Parallèlement à l’histoire de la relation entre le couple à la lumière de la rumeur autour de la virginité de la femme, Habib Selmi évoque la révolution comme une nouvelle naissance avec l’apparition de nouveaux concepts pour les Tunisiens à l’instar de la démocratie et la justice sociale.
Le roman a voulu aussi illustrer cette difficulté de s’approprier ces concepts nouveaux pour les tunisiens, en particulier ceux qui habitent (comme dans le roman) dans les zones rurales.
S’agissant de l’évaluation de la révolution tunisienne après 7 ans de son déclenchement, l’écrivain tunisien a tenu à réaffirmer sa confiance et sa foi dans sa réussite car la révolution, selon lui, n’est pas seulement des manifestations et la chute d’un régime.
La révolution est un long processus plein de souffrance et de sacrifices car l’Histoire évolue par la souffrance comme le témoigne d’ailleurs l’Histoire des pays développés.
Le processus démocratique de la Tunisie s’oriente dans la bonne direction en dépit des perturbations et des difficultés sociales, estime Selmi. Et d’ajouter “la révolution n’est pas une ligne droite et n’est pas une chose facile”.
Evoquant le rôle de l’intellectuel arabe face aux transformations vécues par les pays du “printemps arabe”, l’écrivain tunisien pense que l’intellectuel doit poser les bonnes questions sans être influencé par le discours politique: “ce que je reproche aux intellectuels d’une façon générale c’est quand ils parlent du sociétal et du politique ils adoptent un discours politique et pour moi c’est une erreur car le but du politicien est d’atteindre le pouvoir tandis que pour l’intellectuel ce qui importe c’est atteindre la vérité telle qu’il la conçoit dans un moment donné”.
Pour Habib Selmi, l’écrivain, qui constitue en lui même un pouvoir, ne doit appartenir dans son travail créatif à aucun parti politique au pouvoir ou à l’opposition. Il a, dans ce sens, estimé que l’intellectuel peut adhérer à n’importe quel parti dans le cadre de l’exercice de son rôle de citoyen mais quand on parle d’intellectuel, on parle de textes et d’une réflexion loin de toute logique politique.